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dans de semblables circonstances on ne saurait marcher avec trop de rapidité, et cependant il faudrait s'attendre à des lenteurs, si le préfet était obligé de s'adresser au juge d'instruction, qui trèssouvent même ne sera pas sur les lieux. On objecte que les cours impériales seront assez fortement organisées pour qu'on se repose sur elles de la répression de tous les crimes, quels qu'ils soient. Ce n'est pas là une raison pour se priver du secours des préfets; mais n'est-ce pas affaiblir le pouvoir et par suite la responsabilité que de le diviser entre l'autorité judiciaire et l'autorité administrative? On ne divise pas le pouvoir, on ne provoque pas de rivalité. Le préfet n'agit que dans des occasions qui sont très-rares. Son action ne contrarie point celle de la justice, lorsque ayant, par exemple, surpris des conjurés, il dresse procès-verbal, interroge, entend les témoins et livre les prévenus aux tribunaux. » M. Pelet, M. Cambacèrès, M. Defermon, firent remarquer qu'en donnant aux préfets le titre d'officiers de police judiciaire, on les plaçait sous la surveillance du procureur général; que cette position affaiblirait leur autorité et ferait renaître les froissements qui existaient autrefois entre les cours souveraines et les intendants. M. Treilhard répondit : « Qu'il ne peut pas s'élever de rivalité, puisque le préfet n'est qu'accidentellement officier de police judiciaire; on ne peut pas lui refuser le droit qu'on accorde au juge de paix de constater les faits et de mettre les prévenus sous la main de la justice. Si on le réduit à provoquer l'action de la justice, les traces du crime seront effacées avant que la justice se soit mise en mouvement. Par exemple, un préfet est instruit qu'il se tient actuellement une assemblée de conjurés; il s'y transporte à l'instant même, et saisit tout à la fois et les hommes et les pièces de conviction. Tout aurait disparu, s'il lui avait fallu s'adresser au ministère public. » Plus loin, M. Treilhard ajoutait ces paroles « Ce qui touche la section avant tout, c'est l'intérêt de ne pas laisser dépérir les preuves dans cette vue, elle appelle le préfet à les recueillir, et comme alors il remplit les fonctions d'officier judiciaire, on a cru devoir lui en donner la qualité. Sans doute il est possible de la lui ôter, mais ce changement ne paraît ni nécessaire ni avantageux. On craint qu'il ne tourmente les particuliers pourquoi les tourmenterait-il plus que les maires et les juges de paix? On dit qu'il peut s'adresser au procureur impérial: il peut se rencontrer des circonstances où le préfet ne

doive confier son secret à personne avant d'avoir pris ses mesures. On objecte qu'il sera sous la surveillance du procureur général : qu'importe dès qu'il n'y est pas indéfiniment assujetti et que cette surveillance ne s'exerce que dans des cas très-limités ? Cependant on peut retrancher les préfets de la nomenclature des officiers de police judiciaire, pourvu que par d'autres articles on leur en donne les fonctions. » L'empereur se rangea nettement à cette dernière proposition: «Sa Majesté dit que le préfet, comme chargé de la police administrative, veille sur les malfaiteurs, évente leurs projets, fait saisir les pièces de conviction et s'empare des coupables. Il semblerait donc utile qu'il pût aussi interroger sur-lechamp et constater les traces de tout crime quelconque... La section lui donne la police judiciaire pour les cas qui intéressent la sûreté publique, parce qu'elle sait qu'il a tous les moyens de la bien exercer pourquoi l'empêcher de diriger ces mêmes moyens contre les autres crimes? C'est apparemment parce qu'on ne veut pas le subordonner au procureur général. Mais cette subordination existerait déjà pour les affaires de sûreté publique ; car si, comme la section en convient, il y a concurrence entre le préfet et les officiers de police judiciaire, le procureur général est toujours le magistrat supérieur. On peut tout concilier en autorisant le préfet à rédiger des procès-verbaux, à instruire, à envoyer ses actes au procureur général, et en laissant au procureur général l'alternative ou de les recommencer ou de leur donner le caractère d'actes judiciaires, lorsqu'il les trouvera suffisants. Par là, on éviterait l'inconvénient de refaire sans nécessité la procédure, sans toutefois subordonner le préfet au procureur général. Cet officier n'aurait point d'ordres à donner au préfet; il pourrait opérer par ses agents, et néanmoins les actes du préfet seraient plus que de simples renseignements. » M. Cambacérès déclara, aussitôt après ces observations, qu'il fallait retrancher le préfet de la nomenclature des officiers de police judiciaire et se borner à établir, par des dispositions particulières, les règles que Sa Majesté venait de poser'. Telle est la source de l'article 10.

Pour compléter les documents qui se rapportent à cet article, il faut rapporter encore les paroles suivantes de M. Treilhard, dans l'exposé des motifs du Code : « Il n'est pas difficile de se

1 Procès-verbal de la séance du 26 août 1808.

convaincre qu'il peut être infiniment urgent de saisir le coupable et les instruments du crime, et qu'un instant perdu serait souvent irréparable; il a donc paru très-utile de donner ce droit aux préfets, qui, par des voies administratives, obtiennent quelquefois des lumières dont le fruit pourrait s'évanouir par le retard d'un recours à l'officier de police judiciaire. C'est ainsi qu'on légalise des actes de leur part qui, jusqu'à ce jour, n'étaient considérés que comme de simples renseignements, ne faisaient réellement pas une partie essentielle de la procédure. L'inconvénient en avait été vivement senti dans plusieurs occasions; la société en sollicitait le remède et la défense des accusés n'en peut jamais être en aucune manière altérée 1.

1206. Maintenant de toutes ces explications, de toutes ces discussions, essayons de faire sortir le véritable sens de l'art. 10.

La première pensée de l'empereur avait été de placer les magistrats de sûreté sous l'autorité des préfets, relativement à la poursuite des crimes et délits politiques, afin qu'ils en reçussent non-seulement des documents et des renseignements sur ces affaires, mais une direction sur la marche qu'ils devaient suivre. Cette pensée fut promptement modifiée par la discussion, et le conseil d'État se borna à décider que les préfets et les magistrats de sûreté communiqueraient entre eux relativement aux affaires de sûreté générale, et le Code réglerait l'objet et le mode de ces communications. Tel fut le seul résultat des séances du conseil d'État des 27 et 29 frimaire an XIII.

Cette première délibération n'eut d'ailleurs aucune suite. La section, loin de déférer au vou du conseil, lorsqu'elle représenta, quatre années après, la question à son examen, lui soumit une proposition évidemment contraire à cette délibération. En effet, le conseil avait entendu subordonner sous quelques rapports l'officier du ministère public au préfet, et la section subordonnait le préfet au procureur général; le conseil avait voulu que l'officier du ministère public rendit compte au préfet de certaines affaires et prît ses instructions, et la section se bornait à donner au préfet la qualité d'officier de police judiciaire, en cas de crimes intéressant la sûreté intérieure et extérieure de l'État, et à le ranger parmi les officiers auxiliaires du procureur impérial. C'était donc 1 Locré, tom. XXV, p. 238.

là une disposition toute nouvelle. Cette innovation était justifiée, il faut le dire, par la nouvelle organisation judiciaire, par la constitution des cours et les développements du ministère public. Il importe donc de dégager la question de toutes les discussions des deux séances de l'an XIII. Ces discussions, intervenues dans d'autres circonstances, avaient envisagé cette question à un point de vue qui n'existait plus en 1808, elles n'eurent aucune influence sur la délibération qui fut prise à cette dernière époque. Elles ne firent que poser le problème; elles ne servirent point à le

résoudre.

La solution de la section du conseil d'État fut de donner aux préfets la double qualité d'officier de police judiciaire et d'auxiliaire du procureur impérial pour les crimes qui intéressent la sûreté intérieure et extérieure de l'État. Or, sous quel rapport cette solution fut-elle débattue dans l'assemblée du 26 août 1808? Toutes les objections se résument en une seule la crainte d'amoindrir l'autorité des préfets en les soumettant comme officiers de police judiciaire à la suprématie du procureur général. Nul ne demande pour eux d'autres pouvoirs que ceux que leur conférerait cette qualité; nul n'élève la prétention d'étendre leurs attributions au delà des attributions de la police judiciaire : les fonctions sont hors du débat. On n'est préoccupé que de la pensée de placer les préfets en dehors de la surveillance de la magistrature. Vainement M. Treilhard répond que le préfet ne sera qu'accidentellement officier de police judiciaire; on insiste, et il consent alors à ce qu'on retranche les préfets de la nomenclature des officiers de police judiciaire, pourvu qu'on leur en donne les fonctions. Ce fut là la solution que l'empereur adopta définitivement. Il résulte, en effet, des paroles qu'il prononça et que nous avons rapportéés, qu'il propose, pour concilier les deux opinions débattues devant lui, de donner d'une part aux préfets les fonctions de la police judiciaire, et de ne pas leur donner cependant le titre d'officier de police pour ne pas les subordonner au procureur général. C'est pour exprimer cette décision qué l'article fut renvoyé encore une fois à la section.

Or, cette fois, la section remplit fidèlement sa mission. En effet, que porte l'article 10, rédigé à la suite de cette délibération? Il donne aux préfets le pouvoir de « faire tous actes nécessaires à l'effet de constater les crimes, délits et contraventions et

d'en livrer les auteurs aux tribunaux chargés de les punir ». Or, ce pouvoir, ainsi que cela résulte de ces termes mêmes, c'est la police judiciaire elle-même, ce sont les fonctions qu'elle donne; et pour qu'aucun doute ne pût subsister à cet égard, l'article ajoute « conformément à l'article 8 ci-dessus; » et l'article 8 définit les attributions générales de la police judiciaire. Le législateur, en retirant le titre d'officier de police judiciaire, que le projet avait donné aux préfets, leur a donc en définitive délégué les fonctions que ce titre leur attribuait.

1207. Et la loi n'a pas voulu leur conférer d'autres attributions que celles-là. Comment, en effet, leur attribuer des droits plus étendus? Sur quel texte les appuierait-on? Tous leurs pouvoirs dérivent de l'article 10. Or il résulte, d'abord, comme on vient de le voir, du rapprochement des termes de cet article avec ceux de l'article 8, que la loi n'a eu en vue que les pouvoirs de la police judiciaire, et si ces expressions sont vagues, elles reçoivent une limite précise de ces mots conformément à l'article 8, qui indiquent qu'elle a resserré les pouvoirs qu'elle accordait dans le cercle de la police judiciaire. On a vu que M. Treilhard, le rẻdacteur principal du Code, avait lui-même proposé cette limite : << On peut retrancher les préfets de la nomenclature des officiers de police judiciaire, pourvu qu'on leur en donne les fonctions. » C'est là toute la pensée de l'article 10. On peut objecter que les termes de cet article sont indéfinis, qu'ils semblent créer un droit général de constatation, et étendre ce droit à tous les actes de l'information et à toutes les infractions. Mais on ne doit pas perdre de vue que ce pouvoir est restreint aux actes de police judiciaire par les mots qui terminent l'article. Et si l'on ne s'arrêtait pas à cette limite, quels seraient donc les droits des préfets? Le droit de constater, s'il n'est pas restreint par les distinctions que la loi a posées, peut comprendre tous les actes qui tendent à rassembler les preuves des faits, l'interrogatoire des inculpés, l'audition des témoins, la visite des lieux, la recherche des indices dans le domicile des citoyens, les procès-verbaux d'expertise et de vérification. Faut-il admettre que les préfets puissent procéder à tous ces actes dans toutes les affaires, que le fait soit qualifié crime ou délit par la loi, que le crime soit flagrant ou non flagrant? Mais alors ce seraient les pouvoirs du juge lui-même qui

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