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comtés, fut subdivisé par le pacte entre Childebert et Clotaire, de 593, en petits districts appelés centaines. Chacune de ces centaines avait pour chef un officier élu par les hommes libres du lieu et nommé centenier'. Les habitants de chaque centaine étaient responsables des vols qui s'y commettaient, mais ils avaient en même temps l'obligation de poursuivre les voleurs et de les arrêter. Il est à présumer que quelques-uns des habitants, ou chacun à leur tour, étaient chargés d'exercer une surveillance continue; c'est ce que le pacte et les édits rendus pour son exécution appellent vigiliæ 3. C'était là évidemment une institution de police judiciaire : la responsabilité imposée aux hommes du lieu n'avait pour but que de provoquer leur vigilance dans la découverte des crimes et leur concours pour l'arrestation des coupables; chacun devenait l'auxiliaire de la justice et avait une mission publique pour aider ses actes. La loi du 10 vendémiaire an IV a puisé dans cette institution la responsabilité des communes à raison des attentats commis sur leur territoire, mais elle n'a point donné à leurs habitants les droits de police qui sembleraient néanmoins devoir être la conséquence nécessaire de leur responsabilité.

Enfin, à côté de ces droits de police attribués soit aux personnes lésées, soit à tous les hommes du lieu du crime, il ne faut pas omettre de placer le droit du juge. A toutes les époques, le chef de la justice a été investi du pouvoir de poursuivre les malfaiteurs et d'ordonner leur arrestation. Nous avons précédemment constaté ce pouvoir qui s'exerçait d'office et sans autre provocation que la perpétration même du crime (voy. suprà, n° 118); il serait inutile de reproduire ici nos observations sur ce point.

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1125. Vers le XII° siècle, ces éléments de police se modifient. Nous retrouvons, à la vérité, le droit d'accusation que les parties lésées continuent d'exercer (voy. no 168). La conséquence de 1 Capit. ann. 809, art. 22. Baluze, I, 466 : Ut centenarii, cùm comiti et populo eligantur et constituantur ad sua ministeria exercenda.

2 Decretum est, quia in vigilias constitutas nocturnos furis non caperent, centenas fieri. In quâ centenâ qui aliquid deperierit, capitale recipiat, et latro insequatur...

3 Pardessus, Loi salique, p. 405. — Capit. Childebert, ann. 595, art. 9 et 11. Baluze, tom. I, p. 19, et tom. II, p. 1305.

4 Assises de la cour des bourgeois, liv. II, chap. 39.

ce droit était le pouvoir de rechercher et de saisir le coupable: « Cascuns peut penre en son héritage ou fere penre celi qui il y » trueve meffesant, comment qu'il tiengne heritage de sègneur, » ou en fief ou en vilenage; mais si le prise est fete en ce qu'il >> tient en vilenage, il le doit tantost faire mener en la prison du » segneur de qui il tient l'heritage, et doit requerir du segneur qu'il li fasse restorer son damace'. »

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Nous retrouvons encore, mais dégagé de l'organisation des centaines, le droit de tout habitant de saisir les malfaiteurs surpris en flagrant délit : « Cascuns pot porsuivir le larron qui est » saisis et vestus, soit de sa coze, soit de l'autrui, soit en se » justice, soit en l'autrui, et arester les et prendre, en quelque » liu qu'il le truist, hors du liu saint, et bailler le à la justice du liu; car c'est li communs partis que cascuns soit sergans et ait » pooir de penre et d'arrester les malfeteurs". "

Nous retrouvons enfin le droit du juge de poursuivre d'office, et sans le concours d'aucun accusateur, les crimes notoires : « Le viscomte est tenu par son office de faire prendre et arrester tous les maufaitours, soit homes ou femes, ou clercs et lais, ou de quelque condiction que ils soient, trouvant les avé la malefaite ". " Beaumanoir ajoute : « Car tel fet, qui sont si apert, doivent être vengés par l'office du juge, tout soit ce que nus ne s'en fasse partie droitement*. »

1126. Mais, auprès de ces différents droits qui, même en se modifiant, doivent nécessairement se perpétuer, parce qu'ils tiennent à la nature même des choses, de nouveaux éléments de police vont se développer. Les justices d'Église introduisent, à côté de l'accusation, la voie de la dénonciation. Les justices royales amènent les officiers inférieurs et puis le ministère public qui vont concourir directement à la police judiciaire.

La simple dénonciation, dès qu'il fut admis qu'elle suffisait pour saisir le juge, devint un moyen très-actif de police. En dégageant les parties des formes et de la responsabilité de l'accusation, elle les porta à s'adresser plus fréquemment à la justice et p. 440.

1 Beaumanoir, chap. 30, n. 82, tom. I,
2 Beaumanoir, chap. 31, n. 14, tom. I, , p. 463.
3 Assises de la cour des bourgeois, liv. II, chap. 7.

P. 240.

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Ed. Beugnot, tom. II,

4 Coutumes de Beauvoisis, chap. VI, n. 12; et suprà tom. I, no 168.

à provoquer son action. « La dénonciation, dit un ancien jurisconsulte, n'est proprement de la solennité de l'instruction du procès criminel, ainsi seulement elle fait ouverture au juge pour informer1. » L'information avait alors lieu d'office et sans le concours de la partie.

Cette information, purement préparatoire, était, la plupart du temps, abandonnée aux soins des officiers subalternes des justices, tels que les sergents, les notaires et les greffiers. Jean Imbert, qui écrivait au commencement du seizième siècle, constate cet usage: « Le procureur du roy et la partie civile font faire information du cas commis par un sergent royal ou du seigneur haut justicier, appelé avec luy un notaire royal ou de cour laye. Et en aucuns lieux on prend mandement du juge pour ce faire. En d'autres lieux on ne prend point mandement du juge 3. » Cet usage s'était perpétué jusqu'au XVII® siècle : « Dans l'origine primitive des choses, dit un légiste du XVIIIe siècle, et même avant l'ordonnance de 1670, une information se faisait aisément par un notaire, ou par un huissier ou sergent, en vertu de commission de juge *. » L'article 145 de l'ordonnance de 1539 autorisait cette délégation expresse ou tacite : « Sitost que la plainte des dits crimes et excès et-maléfices aura été faicte, ou qu'ils en auront autrement été advertis, ils informeront ou feront informer bien et diligemment *. » Ces délégations abusives furent signalées dans la discussion de l'ordonnance de 1670: « Il y a bien des abus, disait M. Talon, dans les commissions qui se donnent dans les provinces aux sergents, archers et notaires". >>

Il est donc certain que, pendant plusieurs siècles, les sergents et huissiers, les greffiers et notaires, les archers et autres officiers subalternes exerçaient quelques-unes des fonctions de la police judiciaire. Ils recevaient les plaintes; ils se transportaient sur les lieux et procédaient aux informations, entendaient les té1 Charondas le Caron, Notes sur le grand Coustumier, tit. XXXIV, p. 406. 2 Jean Bouteiller, Grand Coustumier, p. 377.

3 Jean Imbert, Pratique civ. et crim., p. 633.

4 De la manière de poursuivre les crimes, tom. I,

P. 109.

5 Voy. aussi Comm. Constant. in Constit. regias, p. 298, 2o; Damhouder, cap. 12, n. 2.

6 Procès-verbal des Conférences, p. 64. -Ayrault dit également : « Les informations se baillent ordinairement à des sergents, archers, et tels autres moins qualifiés, lesquels constancièrement volent tout ce qu'il y a de plus précieux et riche dans les maisons. » Liv. III, p. 28.

moins, recueillaient les traces du crime, déléguaient aux experts les vérifications nécessaires à la justice et pouvaient même ordonner l'arrestation des inculpés'. Ainsi, soit qu'ils procédassent en vertu de leur office ou par une délégation expresse ou tacite du juge, ils accomplissaient à peu près tous les actes qui sont du domaine de la police judiciaire.

1127. L'institution du ministère public au XIV siècle apporta dans cette organisation un élément nouveau. Le procureur du roi, attaché à chaque justice royale, les procureurs des seigneurs, placés auprès de chaque justice seigneuriale, participèrent activement à la recherche des crimes (voy. n° 252). Comme parties jointes, ils surveillaient les poursuites intentées par les parties lésées; comme parties principales, ils provoquaient eux-mêmes et d'office les investigations judiciaires, sans qu'il fût nécessaire qu'une dénonciation quelconque les eût saisis2 (voy. no 418). Nous avons précédemment décrit les admirables résultats que la création de ces officiers introduisit dans l'administration de la justice criminelle (no 422). Il est évident que la police judiciaire dut en ressentir les premiers effets : leur surveillance, en enveloppant tous les agents subalternes, tous les officiers inférieurs, dut leur imprimer une impulsion plus active et contenir leurs écarts; leur mission, qui fut, dès l'origine, le maintien de l'ordre et la garde des lois, rattacha la recherche des crimes à un intérêt social et la rendit par là même plus efficace; enfin, leur action directe, indépendante des intérêts des parties, supérieurs en général aux influences qui pouvaient protéger les malfaiteurs, lutta contre les forces individuelles qui paralysaient les répressions et aida puissamment à les courber sous le joug de la justice.

1128. Les procureurs du roi avaient, d'ailleurs, de puissants auxiliaires dans les vice-baillis et vice-sénéchaux ou lieutenants criminels de robe courte, qui furent remplacés par les prévôts des maréchaux. « Ces officiers pouvaient informer de tous cas ordinaires commis dans l'étendue de leur ressort, mesme décréter les accusés et les interroger, à la charge d'en avertir incessamment les baillis et sénéchaux royaux et de leur remettre les procédures

1 Beaumanoir, chap. 30, n. 83 et 84.

2 Ord. de Blois de 1579, art. 184; Ord. 1670, tit. XXV, art. 19.

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et les accusés, sans attendre mesme qu'ils en fussent requis '. » Leurs fonctions consistaient à chevaucher sans cesse, dans l'étendue de leur ressort, accompagnés de leurs lieutenants et de leurs archers, pour aider à purger la province des gens mal vivants2; à faire procès-verbaux de leurs chevauchées pour les représenter en justice'; à communiquer incontinent aux juges des lieux les informations et procédures par eux faites 1. Il leur était enjoint de monter à cheval sitost qu'ils seront avertis de quelque volerie, meurtre où autres délits commis aux lieux où ils sont établis, afin d'en informer, prendre et appréhender les délinquants, et aussi exécuter promptement et sans remises les décrets et mandements de justice. Enfin, ils pouvaient convoquer tous les habitants des lieux, nobles et roturiers, à tocsin, au cry public ou autrement, pour appréhender les coupables et exécuter les décrets de justice o.

1129. L'ordonnance de 1670, en maintenant toutes les attributions du ministère public et des prévôts des maréchaux, fit cesser l'usage de donner des commissions pour informer aux archers, notaires-tabellions, huissiers et sergents. Il fut établi en principe général que les juges seuls, royaux ou seigneuriaux, avaient pouvoir d'informer et de dresser les procès-verbaux et autres actes de l'information. L'article 2 de la déclaration du 5 février 1731 portait « Voulons que tous juges du lieu du délit, royaux et autres, puissent informer, décréter et interroger tous accusés, quand même il s'agirait de ces royaux ou de ces prévôtaux. Leur enjoignons d'y procéder aussitôt qu'ils auront eu connaissance des dits crimes, à la charge d'en avertir incessamment nos baillis et nos sénéchaux. » Il suit de là que les actes de la police judiciaire étaient, en général, exclusivement accomplis par les juges euxmêmes aussitôt qu'ils avaient connaissance, soit par une dénonciation, soit par la rumeur publique, qu'un crime avait été com

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