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mis, ils se transportaient immédiatement sur les lieux, constataient le corps du délit et commençaient l'information. Ils procédaient à la fois aux actes purement préparatoires, tels que les saisies et procès-verbaux, et aux actes de la procédure elle-même, tels que les interrogatoires des inculpés et leur arrestation et l'audition des témoins. L'article 16 du titre 1er de l'ordonnance de 1670 avait voulu restreindre à cet égard la compétence des juges inférieurs aux cas de flagrant délit ; mais cette restriction ne fut point observée dans la pratique, et l'article 21 de la déclaration du 5 février 1721, en la supprimant, ne fit que consacrer une jurisprudence établie. La police judiciaire avait donc pour agents tous les juges, non-seulement les baillis, sénéchaux, prévôts et châtelains royaux, mais aussi ceux des seigneurs, sans distinction des hautes, moyennes et basses justices; or, le territoire était couvert de ces officiers et par conséquent la surveillance était facile et pouvait être efficace.

Au cas de flagrant délit, la rigidité des principes cédait même devant la nécessité du fait. Le droit d'informer, le droit de réunir les premiers éléments de la poursuite pouvait être exercé par des officiers inférieurs les exempts de maréchaussée, les huissiers et les sergents eux-mêmes pouvaient encore soit informer, soit au moins procéder aux premiers actes de l'information et ordonner l'arrestation de l'inculpé'.

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1130. Mais il ne faut pas perdre de vue en même temps qu'à côté des juges ordinaires qui informaient d'office à raison des crimes communs, se trouvaient les juges spéciaux, que la législation avait multipliés, et qui avaient une compétence exclusive pour informer de nombreuses catégories de crimes spéciaux. Tels étaient: 1o les officiers des chambres des comptes, qui procédaient à la recherche et à l'instruction des faits de divertissement des deniers de l'État, falsification et altération des registres et pièces comptables 2; 2° les élus, grènetiers, contrôleurs et autres juges des aides, qui informaient des querelles, débats, rébellions, injures, outrages, meurtres, exactions, concussions, fraudes, relatifs à la perception des droits des aides, tailles et gabelles 3; 3o les

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1 Ord. 1535, ch. 6, art. 11; édit mars 1720, art. 8; Jousse, tom. I, p. 423. 2 Édits des 28 janv. 1347, 4 févr. 1450, 12 févr. 1552, etc.; Décl. 7 janv. 1727, art. 4 et 5.

3 Edits de juin 1500, déc. 1559, 20 janv. 1736.

juges, gardes, prévôts généraux et provinciaux des monnaies, qui connaissaient exclusivement des malversations et abus relatifs aux monnaies, des contraventions concernant la marque et le poinçon des matières d'or et d'argent et des vols commis dans les hôtels des monnaies'; 4o les juges gruyers, royaux et seigneuriaux, ressortissant aux maîtrises, et qui avaient la recherche et le jugement de tous les délits, abus et malversations commis dans les eaux et forêts; 5o les juges des capitaineries royales, qui avaient une juridiction spéciale sur les faits de chasse; 6° les juges de la connétablie et maréchaussée et les juges de l'amirauté, qui jugeaient seuls les crimes commis par les gens de guerre ou les marins et les crimes commis sur la mer ou dans les ports *; 7° le grand voyer, les trésoriers de France et en dernier lieu le bureau des finances, qui avaient une compétence spéciale sur les contraventions concernant la police des bâtiments, des grands chemins et des ponts et chaussées3; 8° les lieutenants généraux de police, établis dans chaque ville où il y avait juridiction royale et qui pouvaient informer de tous les faits de débauche publique, assemblées illicites, mendicité et vagabondage, impression et vente de livres prohibés, jeux défendus, etc. ".

1131. Si l'Assemblée constituante renversa les institutions judiciaires qui couvraient le sol de l'ancienne France, elle maintint religieusement la plus grande partie des principes qui dirigeaient ces institutions. En ce qui concerne la police judiciaire, elle ne fit à peu près que transférer aux juges de paix les attributions des juges royaux et seigneuriaux et restituer aux capitaines et lieutenants de la gendarmerie nationale les pouvoirs des prévôts et lieutenants de la maréchaussée.

Le système de cette législation, évidemment emprunté à la législation antérieure, était très-simple. L'instruction du 29 septembre 1791 l'expose en ces termes : « L'Assemblée nationale n'a point créé de nouveaux mandataires pour exercer la police

1 Édits de janv. 1551, art. 6; mai 1557; Décl. 5 févr. 1731, art. 5.

2 Ord. nov. 1669, tit. IX; Décl. 1er mai 1708.

3 Ord. 1669, tit. I, art. 7 et 31; Décl. 12 oct. 1699.

4 Ord. 1607, tit. I, art. 12; Ord. 1681, tit. II, art. 10.

5 Ord. déc. 1670, 29 mars 1754.

6 Édits mars 1667, oct. 1699, 26 juillet 1713, 12 mai 1717, 28 juillet 1724. Voy. au surplus, sur la compétence de toutes les juridictious spéciales, no 331.

de sûreté; elle l'a confiée à des agents déjà honorés par la Constitution du dépôt d'une grande confiance : c'est principalement aux juges de paix qu'elle en a conféré la plénitude. Mais il est des cas où un juge de paix ne suffirait pas à tant de détails. La police de sûreté exige souvent des déplacements: ce n'est point assez que ceux qui l'exercent soient impassibles et intrépides, il faut encore qu'ils soient agissants, qu'ils voient par leurs yeux, et que leur présence prenne sur le fait, s'il est possible, les auteurs du délit, ou du moins en saisisse les traces encore si récentes qu'elles décèlent inévitablement leurs auteurs. Cette considération a dû conduire l'Assemblée nationale à associer, dans les circonstances actuelles, les officiers de la gendarmerie nationale à une grande partie des fonctions de police attribuées aux juges de paix, relativement aux délits commis hors de l'enceinte des villes. »

Ainsi la police judiciaire était exercée par des officiers de police ces officiers de police étaient les juges de paix et les officiers de la gendarmerie.

La loi du 16-29 septembre 1791 portait : « Article 1. Le juge de paix de chaque canton sera chargé des fonctions de la police de sûreté. - Article 2. Il y aura de plus un ou plusieurs fonctionnaires publics chargés d'exercer, concurremment avec les juges de paix des divers cantons, les fonctions de la police de sûreté. Article 3. Cette concurrence sera exercée les capitaines et lieutenants de la gendarmerie nationale. »

par

1132. A ces agents officiels la loi joignait des agents pour ainsi dire officieux. L'article 1er du titre VI était ainsi conçu : « Tout homme qui aura été témoin d'un attentat, soit contre la liberté et la vie d'un autre homme, soit contre la sûreté publique et individuelle, sera tenu d'en donner aussitôt avis à l'officier de police du lieu du délit. » Cette dénonciation civique, puisée dans le principe même qui avait établi dans d'autres temps le droit d'accusation, était expliquée en ces termes par le législateur : « Ce ne sont pas seulement des plaintes que les citoyens sont autorisés à porter devant l'officier de police; il est encore de leur droit et même de leur devoir de dénoncer tous les attentats dont ils auront été témoins, soit contre la liberté ou la vie d'un autre homme, soit contre la sûreté publique ou individuelle. La liberté

ne pouvant subsister que par l'observation des lois qui protégent tous les membres de la société contre les entreprises d'un homme puissant ou audacieux, rien ne caractérise mieux un peuple libre que cette haine vigoureuse du crime, qui fait de chaque citoyen un adversaire direct de tout infracteur des lois sociales. Rien n'est plus éloigné des formes obscures et perfides de la délation que la dénonciation civique; mais elle ne prend le caractère généreux qui la distingue et ne devient une véritable dénonciation civique que par la fermeté du dénonciateur, lorsqu'il consent à déclarer, sur la réquisition de l'officier de police, qu'il est prêt à signer et affirmer sa dénonciation. » Cette démarche publique, en effet, imposait à l'officier de police la nécessité de donner une suite à la dénonciation et d'entendre les témoins qui lui étaient indiqués.

1133. Les fonctions des officiers de police consistaient: 1° à recevoir les plaintes ou les dénonciations qui leur étaient portées ; 2o à constater par des procès-verbaux les traces des délits qui en laissent quelques-unes après eux, et à recueillir les indications sur les individus qui s'en étaient rendus coupables; 3° à entendre les individus inculpés de délits et à s'assurer de leur personne.

Le droit de recevoir les plaintes et les dénonciations emportait, aux termes de l'article 6 du titre V de la loi du 16-29 septembre 1791, celui de recevoir la déposition des témoins et d'ordonner la visite des personnes et des lieux. C'était dans sa forme, mais non dans ses effets, l'information de l'ancienne procédure criminelle. « Ces déclarations, disait l'instruction du 29 septembre 1791, ne sont point destinées à faire charge au procès; leur principal objet est de corroborer la plainte et de servir à l'officier de police de guide sur la conduite qu'il doit tenir envers les personnes inculpées. » Cette inculpation purement préliminaire devait simplement fournir les renseignements nécessaires pour commencer la procédure, mais elle n'était plus un acte de cette procédure; elle indiquait au juge la voie qu'il devait suivre, mais elle n'apportait en elle-même aucunes charges; les charges ne pouvaient résulter que de la procédure orale.

L'un des actes les plus importants des officiers de police était la rédaction des procès-verbaux. « Tout délit, porte l'instruction déjà citée, dont l'existence et dont les circonstances peuvent être

constatées par un procès-verbal doit l'être ainsi dans le temps le plus voisin du temps auquel il a été commis. En effet, plus cet acte suit de près l'époque où le délit a eu lieu, et plus les renseignements sont véridiques et propres soit à faire connaître le délit en lui-même, soit à désigner quel en est l'auteur. » De là l'obligation imposée aux officiers de police, comme aux juges des lieux dans l'ancien droit, de se transporter immédiatement sur le lieu du délit. « Il est du devoir de l'officier de police, aussitôt qu'il est informé d'un délit, soit par une plainte, soit par une dénonciation, soit enfin par la rumeur publique, de se transporter sur les lieux, et de se faire accompagner des personnes qui sont désignées par leur art comme les plus capables d'en apprécier la nature et les circonstances, et après avoir visité avec elles toutes les traces qu'il pourra découvrir, de les constater, ainsi que les observations des gens de l'art, dans un procès-verbal. »

Enfin les officiers de police avaient le droit d'arrestation : ils délivraient contre l'inculpé, même hors le cas de flagrant délit, un mandat d'amener, et s'ils trouvaient, après l'avoir entendu, qu'il y avait lieu de poursuivre criminellement, ils donnaient l'ordre de le conduire à la maison d'arrêt'. Il y avait toutefois à cet égard entre le pouvoir du juge de paix et celui de l'officier de gendarmerie une différence essentielle : le juge de paix qui décernait un mandat d'amener devait toujours faire amener l'inculpé devant lui; l'officier de gendarmerie, s'il jugeait nécessaire de faire comparaître l'inculpé, devait ordonner de le conduire devant le juge de paix.

Dans les cas de flagrant délit, les devoirs des officiers de police devenaient plus impérieux, et leurs attributions s'étendaient : ils étaient tenus de se transporter aussitôt sur les lieux, d'y dresser procès-verbal du corps du délit et de toutes ses circonstances et de faire saisir et amener devant eux les inculpés, sans attendre les déclarations des témoins. L'officier de gendarmerie devenait alors compétent pour les interroger et statuer provisoirement sur l'arrestation ou la mise en liberté.

1134. Cette organisation fut bientôt modifiée par le Code du 3 brumaire an IV. Sans toucher aux principes qui en formaient

1 Art. 1, 2 et 5 du tit. II de la loi du 16-29 septembre 1791.

2 Art. 1 et 2, tit. IV, même loi.

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