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de l'ordre moral, qu'à l'instant même où le crime vient d'effrayer les populations, la justice apparaisse pour prêter sa force au droit et placer à côté de l'attentat l'idée et la certitude de la réparation. Il est nécessaire, en même temps, dans l'intérêt de la justice ellemême, que le procès-verbal soit rédigé sans délai, afin d'empêcher que les preuves ne dépérissent, et que cet acte soit appuyé des témoignages des personnes présentes et de la saisie des pièces de conviction, afin de surprendre, pendant qu'elles vivent encore, les traces du crime et de les transmettre au juge dans leur première énergie.

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Mais si le flagrant délit, si la réclamation qui s'élève de l'intérieur d'une maison ont dû faire attribuer à la police judiciaire une puissance extraordinaire, cette puissance devait-elle être étendue à tous les officiers auxiliaires? Fallait-il que tous ces officiers, sans distinction, exerçassent les mêmes fonctions, qu'ils fussent également investis de l'attribution extraordinaire et exceptionnelle de procéder à des actes d'instruction? Cette attribution devait-elle notamment être déposée entre les mains des membres du ministère public? Nous avons vu précédemment que cette question donna lieu à une longue et intéressante discussion dans le sein du conseil d'État la solution négative, soutenue par les membres les plus influents du conseil, fut éludée à l'aide d'un terme qui limitait le droit extraordinaire attribué au ministère public au seul cas de flagrant délit1. Mais il est évident que les objections ne sont pas moins fortes pour les faits flagrants que pour les faits non flagrants. Le ministère public, par cela seul qu'il est partie poursuivante, ne peut procéder à des actes d'instruction, car, en procédant à ces actes, il fait office de juge; or, il n'a pas le caractère, il ne peut avoir l'impartialité du juge; il n'apporte donc point au prévenu les garanties qui doivent l'entourer; n'est-il pas étrange que le même magistrat poursuive et rassemble les preuves, dénonce le crime et interroge les témoins, soit à la fois partie et juge? Il ne s'agit, il est vrai, que des actes préliminaires de l'instruction. Mais les premières dépositions sont d'une extrême importance, elles s'obtiennent ordinairement par interrogation; le juge met le témoin sur la voie, il le fixe sur les points les plus graves de sa déclaration, il prend acte des rẻponses qui plus tard lui seront redemandées aux débats. Il est 1 Séances des 4, 7 et 11 juin 1808. Locré, tom. XXV, p. 123 et suiv.

donc essentiel que ces premières réponses soient reçues par le juge. Et puis on sait les funestes préjugés qui naissent des premiers actes de l'instruction, on sait l'influence qu'ils exercent sur la direction de la procédure, il est donc nécessaire que ces actes soient purs de toute prévention, de toute partialité. C'est peutêtre à ce premier pas de la procédure que la liberté individuelle a le plus besoin de protection, l'inculpé de garanties, car n'est-il pas possible, et n'arrive-t-il pas souvent, que des indices ou des préventions s'élèvent contre un innocent? Et n'est-il pas indispensable dès lors qu'ils ne soient recueillis que par un magistrat dont la mission soit, non de poursuivre, mais de rechercher la vérité? Tous les motifs allégués en faveur de cette attribution extraordinaire du ministère public se résument à dire qu'il importe d'accélérer la procédure, de saisir les preuves au moment même où elles se produisent, d'agir immédiatement. Cela est vrai; mais le ministère public ne peut-il, en agissant lui-même, se borner aux actes de la police judiciaire, à la recherche et à la constatation des traces du délit, à la rédaction des procès-verbaux, à la saisie des pièces de conviction? Est-il indispensable qu'il se livre en même temps à des actes d'instruction que le juge seul peut faire? Que si ces actes sont nécessaires, le juge d'instruction ne réside-t-il pas, comme le procureur impérial, au chef-lieu de l'arrondissement? Ne peut-il pas se transporter comme lui? Le juge de paix ne se trouve-t-il pas au chef-lieu de chaque canton, et son transport sur les lieux ne peut-il pas être requis, s'il n'a pas lieu d'office? C'est donc en résumé à ces deux magistrats, c'est-à-dire au juge d'instruction et au juge de paix, qu'il conviendrait peut-être de réserver le droit d'entendre les témoins, de décerner les mandats et de faire même tous les actes qui tiennent à l'instruction. Que les officiers du ministère public et leurs auxiliaires procèdent à tous les actes qui sont du ressort de la police judiciaire, qu'ils se transportent sur les lieux dans les cas de flagrant délit, qu'ils dressent des procès-verbaux et recueillent les renseignements propres à éclairer le juge, ce droit ne leur est pas contesté, il émane du droit de la justice elle-même, il s'étend à tous les actes préliminaires qui précèdent l'action judiciaire; mais qu'ils empiètent sur cette action, qu'ils soient investis, même accidentellement, des fonctions du juge, que, sans en avoir le caractère ni les garanties, ils en usurpent le

pouvoir, qu'au lieu de rechercher ils informent, qu'ils influent par leurs actes sur la direction de la poursuite, qu'ils disposent de la liberté des personnes et du domicile, ce sont là des attributions qui ne sont point indispensables aux intérêts de la justice et qu'il est difficile de concilier avec les droits de la liberté civile.

1145. Maintenant nous arrivons à la deuxième face de cette matière. Après avoir apprécié les attributions générales des officiers de police judiciaire, il faut examiner si les agents auxquels ces fonctions sont confiées remplissent toutes les conditions d'aptitude qu'elles exigent.

Cet examen soulève deux questions: les agents désignés par la loi sont-ils, par leur nombre et leur capacité, en rapport avec toutes les exigences de leur mission? Leur organisation apportet-elle toutes les garanties que sollicite une bonne administration de la justice?

Sur le premier point, nos observations seront brèves. Les agents désignés par la loi sont, en général, ceux qu'une longue expérience et la nature même de leurs fonctions indiquaient au législateur.

Les procureurs impériaux et les juges d'instruction sont nécessairement les premiers agents de la police judiciaire. Chargés soit de poursuivre les crimes et les délits, soit d'instruire ces poursuites, ils sont par là même appelés à participer à la recherche de ces infractions, aux investigations que cette recherche entraîne, à tous les actes qui tendent à les constater. Leur concours ne doit pas même se borner là; délégués de la justice, ils doivent régler, par une active surveillance, l'action d'une police qui n'a pas d'autre mission que de préparer l'action de la justice ellemême. Nous examinerons tout à l'heure si la loi a suffisamment assuré sous ce rapport l'autorité hiérarchique qu'ils doivent exercer sur tous les autres agents.

Les juges de paix sont leurs plus utiles auxiliaires. Magistrats de l'ordre judiciaire, initiés à l'application des lois, liés à l'accomplissement de tous les devoirs de leur fonction, soumis à une dépendance hiérarchique, leur position, leurs lumières, leur autorité leur donnent les moyens de rendre des services considérables à la police judiciaire; ils en sont les instruments les plus actifs et les plus précieux.

Les officiers de gendarmerie et les commissaires de police lui apportent également un puissant concours. La mission de protection et de surveillance qu'ils exercent habituellement, les rapports continus qu'ils reçoivent des agents placés sous leurs ordres, leur position au centre des populations, toutes les attributions de leurs fonctions principales les rendent principalement propres à ces fonctions accessoires.

Les maires et leurs adjoints n'ont pas la même situation administrative et ne réunissent pas les mêmes conditions d'aptitude. Attachés à leurs fonctions municipales plus qu'à leurs fonctions judiciaires, exclusivement préoccupés de la mission qu'ils tiennent de ceux-là mêmes au milieu desquels ils l'exercent, ils n'apportent qu'un zèle incertain à remplir la mission de surveillance qu'ils tiennent de la justice. Les rapports de famille, d'affection et de voisinage qui les lient à leurs administrés, énervent dans leurs mains les pouvoirs de police qui leur sont délégués, soit qu'ils hésitent à froisser ces relations, à exciter des irritations et des haines, soit qu'ils ne comprennent pas exactement la nature. et l'étendue des devoirs qui pèsent sur eux, soit enfin que le principe de l'élection ait altéré les rapports de subordination hiérarchique qui les liaient précédemment. Et cependant, quelque affaiblis que soient ces pouvoirs, il est nécessaire qu'ils en soient investis, il est nécessaire que dans quelques cas au moins ils puissent les exercer. C'est lorsque la notoriété publique signale autour d'eux la perpétration de quelque crime, lorsque le flagrant délit éclate et trouble la paix publique, lorsque quelque plainte s'élève et réclame une protection immédiate. Qui pourrait, dans les communes éloignées des villes, recevoir cette plainte, recueillir les traces du crime, ordonner les mesures que les circonstances rendent urgentes, si ce ne sont les maires? Dans les villes, les commissaires de police pourraient à toute force suffire à toutes les exigences de l'action judiciaire, mais dans les campagnes, cette action n'a pas d'autres agents que les maires, et si ces officiers ne se vouent pas à cette fonction d'une manière très-active, il faut au moins que les intérêts qui sont froissés, que les individus qui souffrent de quelque délit trouvent auprès d'eux une protection qu'ils ne trouveraient nulle part ailleurs.

Les gardes champètres et forestiers, renfermés dans le cercle que la loi a tracé à leur compétence, sont des agents indispensa

bles, car d'une part il est évident que, sans leur concours, les petits délits qu'ils sont chargés de constater échapperaient à toute répression; et d'un autre côté leur surveillance s'étend sur des lieux qui n'en ont aucune autre, puisqu'ils sont, en général, éloignés de tous les regards.

1146. Ces différents agents sont-ils suffisants pour l'exercice de la police judiciaire? Faut-il rechercher, faut-il leur adjoindre de nouveaux auxiliaires?

On a proposé depuis quelques années de réunir à tous les fonctionnaires qui viennent d'être énumérés les maréchaux de logis et brigadiers de la gendarmerie et d'attribuer à ces sous-officiers les fonctions de la police judiciaire. Cette proposition, déjà plusieurs fois mise en avant et qui se reproduira sans doute, doit-elle être accueillie?

A la suite des troubles qui éclatèrent en 1832 dans quelques départements de l'Ouest, une loi qui n'eut qu'une courte durée, la loi du 23 février 1834, délégua aux maréchaux des logis et aux brigadiers de gendarmerie, dans dix départements, les fonctions de la police judiciaire'. Les motifs de cette délégation temporaire furent que l'insurrection avait laissé après elle quelques bandes de réfractaires, qui, isolément ou réunis, se livraient à des actes de brigandages; que les maires et leurs adjoints n'osaient procéder aux perquisitions nécessaires pour amener leur arrestation menacés qu'ils étaient de représailles; que dès lors une portion considérable du territoire se trouvait dénuée de magistrats aptes. à constater les délits flagrants, et que c'était pour faire cesser cette situation exceptionnelle qu'il y avait lieu de suppléer momentanément à l'action des maires par celle des sous-officiers de la gendarmerie 2.

Or, d'une mesure qui, dans la pensée du législateur, n'avai qu'un caractère provisoire, exceptionnel et politique, convient-il de faire une mesure définitive? une délégation que des circonstances passagères ont provoquée et qui a cessé avec elles, doit

1 L. 23 février 1834, art. 3: « Les fonctions de police judiciaire attribuées aux commandants de compagnie et aux lieutenants de gendarmerie par les art. 194, 195 et 196 de la loi du 28 germinal an VI et par les art 48 et 49 du Code d'instruction criminelle, sont également attribuées aux maréchaux des logis et aux brigadiers de gendarmerie dans les départements des Côtes-du-Nord, etc. » • Moniteur du 22 février 1834, suppl.

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