Page images
PDF
EPUB

quels sont les actes auxquels les officiers de police judiciaire peuvent procéder dans ces cas, enfin quels droits la réquisition d'un chef de maison attribue à ces officiers.

§ I. Définition du flagrant délit.

1491. La loi romaine avait défini le flagrant délit et en avait réglé les effets. Il y avait flagrant délit lorsque les coupables étaient surpris et saisis au moment même de l'exécution du crime: Ubi inventi fuerint in ipsâ rapinâ et adhùc flagranti crimine comprehensi'. Cette situation motivait une double dérogation aux règles de la procédure : les prévenus pouvaient être mis en arrestation sans ordre du juge2, et le juge pouvait instruire leur procès d'office et sans qu'il fût saisi d'aucune accu

[blocks in formation]

Ces deux mesures, qui sont en quelque sorte les conséquences nécessaires du flagrant délit, avaient passé dans notre ancienne jurisprudence et on les y retrouve dans toutes les phases qu'elle a subies.

A l'époque mérovingienne, le coupable saisi en flagrant délit pouvait être arrêté par la partie lésée, qui devait le conduire devant le chef de la justice. Au même cas, ou lorsqu'un cadavre avait été trouvé, le juge se transportait sur les lieux, requérait les habitants de lui prêter assistance et procédait à l'arrestation des accusés 5.

Au treizième siècle, il était de principe que le crime flagrant devait être vengé par l'office du juge lors même qu'il n'existait aucune partie poursuivante, et que chacun avait le droit de courir sur les malfaiteurs et de les arrêter, lorsqu'ils étaient poursuivis par le cri public, et tos cix qui s'enfuient, par quelque cas que ce soit, quand cris est après eux: chaque habitant alors, suivant l'énergique expression de Beaumanoir, devenait sergent et en exerçait les fonctions: Çascuns put porsivir le larron qui est saisis et vestus, soit de sa coze, soit de l'autrui,

1 L. 1, C., De raptu virginum.

2 L. 2 et 6, C., De custodiâ reorum; L. 4 et 5, C. Théod., De exhibendis reis. 3 L. 1, C., De custodiâ reorum; L. 7, C., De accusatoribus.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

soit en sa justice, soit en l'autrui, et arrester les et prendre, en quelque lieu qu'il le truist, hors de lieu saint et bailler le à la justice du lieu; car c'est li communs portés qué cascuns sait sergans et ait povir de prendre et arrester les malfecteurs '. L'ordonnance de Philippe VI, de juin 1338, disposait que nul ne serait arrêté sans une information préalable, si ce n'est en flagrant délit Irrefragabili prohibemus edicto, ne senescalli, aut quicumque alii justiciarii nostri, quemcumque nobilem aut alium capiant, pro quocumque delicto, nisi in facto præsenti, vel priùs de commisso delicto informati contrà eum.

:

Jean Bouteiller enseigne aussi que vers le quinzième siècle la justice était saisie par présent meffait, et il ajoute : par présent meffait, le juge se peut doit mouvoir à cause d'office contre le délinquant et luy imposer le faict et calenger de peine capitale de son office tant seulement sans autre dénonciation ni information précédente. Jean Imbert, autre témoin de là pratique de cette époque, ne pense pas néanmoins que le flagrant délit doive être une cause absolue de l'arrestation du délinquant : « Il serait bon, dit-il, de désigner par ordonnance expresse les cas pour lesquels on pourrait décréter de prise de corps pour refréner la licence que plusieurs juges en cet endroit usurpent. Mais ne peut le juge, sans informations précédentes par lui vues et décrétées, prendre ou commander un homme être pris au corps en présent forfaict et délit flagrant, sinon que ce soit un homme non resseant, pauvre et non ayant biens immeubles, ou que le délit soit tel qu'il fût vraisemblable que, quelques biens qu'il ait, il s'absentera.» Ayrault est plus précis quant à l'arrestation au cas de flagrant délit : « Outre la plainte qu'on nous apporte, il faut, avant que de décréter, estre aucunement informé que la plainte ne soit pas vaine. Non pas si avant que la vérité se voye à l'œil. Car il ne resterait plus qu'à juger, mais assez pour mouvoir et induire le juge. Le flagrant délit est excepté, car alors quilibet homo est miles... le juge à plus forte raison le peut donc faire* ».

1492. Les criminalistes du seizième siècle avaient nettement formulé le principe et en avaient tiré les conséquences les plus 1 Beaumanoir, cap. XXXI, n. 14. 2 Grand Coustumier, liv. I, tit. 34. 3 Practique, liv. III, chap. 2, p. 4 Inst. jud., liv. III, part. 1, p. 254.

633.

3

rigoureuses. Julius Clarus enseigne que le flagrant délit ouvrait au juge la voie de l'enquête, sans qu'il y eût besoin d'une plainte ou d'une dénonciation préalable: aperitur judici via ad inquirendum, nulla querela aut denunciatione præcedenti, si delinquens sit in flagranti crimine repertus', et il pose comme une règle que, dans ce cas, le juge peut non-seulement procéder à l'enquête, mais qu'il peut procéder jusqu'au jugement sans observer les formes ordinaires: tunc non modò judex potest contrà eum inquirere, sed etiam procedere usque ad sententiam, juris ordine non servato. Ainsi, l'accusé saisi en flagrant délit pouvait, sans qu'une autre preuve fût nécessaire, être soumis à la torture2; aucun délai ne lui était accordé pour sa défense, aucune communication des charges ne lui était faite ; enfin, c'était une simple question que de savoir s'il pouvait être puni sans une sentence du jugé, et Julius Clarus émet l'avis que toutes les solennités du jugement sont inutiles, et qu'un simple ordre du juge suffit : possent, his casibus, omitti solemnitates requisita in sententia prolatione et sufficerit simplex ordinátio à judice subscripta*. Cette doctrine est suivie par Farinacius et par tous les légistes de la même époque 3. Il faut ajouter que le coupable surpris en flagrant délit pouvait être arrêté sans mandat du juge par tous les témoins du crime: hunc in flagranti crimine repertum propria auctoritate capere et ad judicem inducere licitum est, non solùm parti offensa et cujus interest, sed etiam cuilibet de populo". Enfin, l'accusé était réputé saisi en flagrant délit quand il était pris dans l'exécution même du crime, ou même après cette exécution, soit pendant sa fuite, soit dans le lieu où il s'était caché, pourvu qu'il ne fût pas encore parvenu jusqu'au lieu où se dirigeaient ses pas captura dicitur facta in flagranti crimine, quando quis capitur in ipso actu malefacii aut post commissum maleficium, sive capiatur in ambulatione, sive in latitatione,

[blocks in formation]

$ 3,

5 Farinacius, quest. 21, n. 133; Carrerius, Pract. crim., tit. de Ind., n. 2; Follerius, v° Quod fuit captus in flagranti, no 9; Ant. Gomez, tit. De delictis, cap. 9, n. 3; Guazzinus, def. V, cap. 8.

6 Guazzinus, def. V, cap. 8.

dummodo non pervenerit ad locum destinatum'. On ne confondait pas, d'ailleurs, le crime notoire et le crime flagrant: la notoriété faisait preuve complète, tandis que le flagrant délit ne constituait qu'un commencement de preuve; la notoriété excluait toute défense et toute excuse, tandis que le flagrant délit n'avait pour effet que d'abréger les délais et de supprimer les solennités de la procédure'.

સ્

1493. L'ordonnance de 1670 n'adopta pas toute cette doctrine des légistes, mais elle maintint la double décision, puisée dans le droit romain, relative à l'arrestation de l'accusé sans mandat et à la poursuite du juge. L'article 4 du titre II enjoignait aux prévôts des maréchaux « d'arrêter les criminels pris en flagrant délit ou à la clameur publique ». L'article 4 du titre VI autorisait les juges à entendre les témoins d'office et sans assignation en cas de flagrant délit. L'article 9 du titre X ajoutait : « Après qu'un accusé pris en flagrant délit ou à la clameur publique aura été conduit prisonnier, le juge ordonnera qu'il sera arrêté et écroué. » Enfin, l'article 14 du titre XIV déléguait aux commissaires du Châtelet le pouvoir d'interroger pour la première fois les accusés pris en flagrant délit, et l'article 3 du même titre portait même que les accusés pouvaient être interrogés dans le premier lieu qui serait trouvé commode.

Les commentateurs de cette ordonnance se sont attachés, en expliquant ces dispositions, à remplir la lacune qu'elles ont laissée en ce qui concerne la définition des cas de flagrant délit. Jousse s'exprime en ces termes : « Le cas de flagrant délit est lorsqu'un crime vient de se commettre et est exposé à la vue de tout le monde, comme lorsqu'une maison vient d'être incendiée ou un mur percé, ou qu'un homme vient d'être tué ou blessé dans une rue, ou lorsqu'il arrive une émotion populaire et que les témoins sont encore sur le lieu; alors, comme il arrive le plus souvent que l'information requiert célérité, et qu'il est nécessaire d'entendre promptement les témoins, ou de recevoir la déclaration du blessé, le juge doit sur-le-champ se transporter sur les lieux, en dresser son procès-verbal et entendre d'office ces témoins, sans attendre qu'on lui rende aucune plainte pour raison de ce 1 Guazzinus, loc. cit., num. 2.

2 Julius Clarus, lib. V, quæst. 9.

délit'. » Jousse ajoute plus loin : « Un accusé est pris en flagrant délit lorsqu'il est surpris volant ou dérobant, ou qu'il est surpris avec les effets dérobés dans le lieu où s'est fait le vol ou auprès et immédiatement après le vol commis, ou, en fait de meurtre, lorsqu'il est pris dans l'action même, ou qu'il a été pris sur le lieu l'épée à la main et ensanglantée, dans l'instant du meurtre ou immédiatement après. » Rousseaud de la Combe déclare également: « Qu'un accusé est censé être pris en flagrant délit lors, par exemple, qu'en fait de vol, l'accusé a été pris volant ou dérobant, ou dans le lieu dans lequel le vol a été fait, ou bien lorsque le voleur a été trouvé avec la chose volée ou dérobée; en fait de meurtre et assassinat, lorsque le meurtrier a été pris dans l'action ou qu'il a été vu dans le lieu où le crime a été commis, avec l'épée, lui ensanglanté ou son épée 3. » Serpillon pense aussi que : « Le flagrant délit, c'est quand le cas est notoire, que le crime a été commis en présence du peuple; par exemple, un voleur qui a été surpris en dérobant ou saisi de la chose volée, un assassin qui a été vu l'épée à la main et ensanglantée dans le lieu où le meurtre a été commis1. "

3

De tout ce qui précède, il résulte que, dans notre ancien droit, il n'y avait flagrant délit que lorsque l'accusé était surpris, soit dans l'exécution même du crime, soit dans les actes qui suivaient immédiatement cette exécution et qui s'y rattachaient étroitement. Il en résulte également que le flagrant délit avait un double effet: 1° de donner au juge le droit d'informer d'office, sans être saisi par la plainte de la partie lésée ou du ministère public; 2o de donner à toute personne le droit d'arrêter le coupable pour le conduire devant le juge.

1494. La loi du 16-29 septembre 1791 avait évidemment puisé dans notre ancien droit les articles 1, 2 et 3 du titre IV, ainsi conçus : « Art. 1o. Lorsqu'un officier de police apprendra qu'il se commet un délit grave dans un lieu, ou que la tranquillité publique y aura été violemment troublée, il sera tenu de s'y transporter aussitôt, d'y dresser procès-verbal détaillé du corps du

1 Traité de just. crim., tom. II, p. 13.

2 lbid., tom. II, p. 16.

3 Mat. crim., p. 232.

4 Cod. crim., tom. I, p. 553.

« PreviousContinue »