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à la fois précise et énergique, soit avec la rumeur publique, qui n'est qu'un bruit sourd qui se répand vaguement et sans preuves, soit avec la notoriété publique qui vient donner à la rumeur une certaine consistance, mais seulement quelque temps après la consommation du crime. Cette rumeur et la notoriété qui la suit doivent éveiller la sollicitude de la justice et peuvent motiver une instruction, mais elles ne constituent pas le flagrant délit.

Il y a encore flagrant délit lorsque le prévenu est trouvé saisi d'effets, armes, instruments ou papiers faisant présumer qu'il est auteur ou complice, pourvu que ce soit dans un temps voisin du délit. Cette quatrième hypothèse est celle qui peut soulever le plus de difficultés. On a vu, dans la discussion du conseil d'État (voy. n° 1485), que ces derniers mots : dans un temps voisin du délit, avaient été ajoutés pour restreindre la disposition générale; mais le conseil ne voulut pas, pour ne pas trop enchaîner la police judiciaire, fixer une limite précise à son action; il n'adopta pas, en conséquence, la limite de vingt-quatre heures, que M. Berlier lui proposait, comme étant en parfaite harmonie avec l'esprit de la loi. Cependant, si ce délai de vingt-quatre heures ne peut strictement circonscrire l'intervention des officiers de police judiciaire, puisque le législateur ne l'a pas explicitement consacré, il est certain qu'ils ne doivent pas, en général, et sans quelques circonstances extraordinaires, excéder cette limite. En effet, si la possession soit des objets volés, soit des instruments qui ont servi à commettre le crime, soit des papiers qui en constatent la perpétration, forme contre le possesseur une preuve tellement formelle que la police doive le saisir immédiatement, comme au cas de flagrant délit, c'est lorsqu'un intervalle très-court sépare le crime et l'arrestation, c'est lorsqu'il est impossible d'admettre que ces effets lui soient arrivés par l'intermédiaire d'un tiers, c'est lorsque cette possession l'accuse comme le ferait la clameur publique elle-même. Il faut donc que cette saisie, pour ouvrir le flagrant délit, soit faite, comme le veut la loi, dans un temps voisin du délit ; c'est-à-dire dans un temps tellement rapproché qu'elle en continue la flagrance. Il importe d'ajouter, d'ailleurs, que ce n'est pas assez, pour que le prévenu soit réputé en état de flagrant délit, qu'il soit trouvé porteur d'effets, armes, instruments ou papiers faisant présumer qu'il est auteur ou complice d'un crime quelconque; il faut que cette pré

somption se rattache à un crime dont la perpétration récente provoquait les recherches actuelles de la police judiciaire'.

Enfin, il y a flagrant délit lorsque le chef d'une maison dans laquelle un crime ou un délit a été commis requiert la police judiciaire de le constater. La loi a assimilé cette réquisition à un cas de flagrant délit parce qu'il est nécessaire de protéger immédiatement la famille contre les attentats qui éclatent dans son sein lorsque le chef de cette famille invoque lui-même la protection de la justice. Aussi, comme l'ont déjà remarqué quelques auteurs, le chef de la maison, dans le sens de l'article 46, signifie le chef de la famille, et c'est dans ce sens que l'article 171 de l'ordonnance du 29 octobre 1820 porte : « Les officiers de gendarmerie défèrent à la réquisition qui leur est faite, soit par le propriétaire de la maison, soit par le principal locataire ou par le chef d'un appartement. »>

Tels sont les cas que la loi répute cas de flagrant délit. Elle a démontré, par cette énumération évidemment restrictive, qu'en dehors de ces cas le flagrant délit n'existe plus, et que, dès lors, les attributions qui y sont attachées ne peuvent plus être exercées. Ainsi, par exemple, le seul fait de la découverte d'un cadavre ne constitue point, comme l'ont pensé quelques auteurs3, un cas de flagrant délit, à moins qu'il n'y ait présomption, conformément à l'article 44 du Code d'instruction criminelle, que la cause de cette mort ne soit un crime qui vient d'être commis.

1499. Maintenant, il faut ajouter qu'il ne suffit pas, pour qu'il y ait flagrant délit dans le sens de la loi, que le fait se produise avec les circonstances qui viennent d'être énumérées ; il faut encore que ce fait soit de nature à entraîner une peine afflictive ou infamante. Cette condition, impérieusement prescrite par les articles 32, 40 et 106 du Code d'instruction criminelle, est absolue et n'admet aucune restriction : ce n'est qu'à raison de la gravité des faits que la loi a qualifiés crimes qu'elle a consenti, par une exception aux règles générales de la compétence, à in

1 Conf. Mangin, De l'instr. écrite, n. 212; Duverger, Manuel, n. 113. 2 Bourguignon, tom. I, p. 142; Carnot, tom. I, p. 263; Duverger, tom. I, p. 360.

3 Duverger, n. 114.

tervertir les attributions judiciaires et à déléguer temporairement aux officiers de police les pouvoirs du juge, et au juge lui-même les pouvoirs du ministère public; cette double dérogation au principe qui sépare les droits de la poursuite et les droits de la juridiction est fondée, comme on l'a vu précédemment, sur l'intérêt social, qui veut la protection des personnes dans tous les cas où leur sûreté est menacée, et sur l'intérêt de la justice, qui sollicite la prompte constatation des crimes. Mais lorsque le fait n'est passible que d'une peine correctionnelle, ces motifs n'existent plus, ou, du moins, ne se présentent plus avec la même force; il n'y a donc plus de raison suffisante de s'écarter des règles ordinaires, qui laissent au ministère public ou aux parties elles-mêmes la poursuite, et au juge le droit d'informer. L'article 157 de l'ordonnance du 29 octobre 1820 a nettement établi cette distinction : « Toute infraction qui par sa nature est seulement punissable de peines correctionnelles ne peut constituer un flagrant délit. Les officiers de gendarmerie ne sont point autorisés à faire des instructions préliminaires pour la recherche de ces infractions. Le flagrant délit doit être un véritable crime contre lequel une peine afflictive ou infamante est prononcée. » Le décret du 1er mars 1854 a donné à cette disposition une nouvelle sanction: « Art. 230. Toute infraction qui par sa nature est seulement punissable de peines correctionnelles ne peut constituer un flagrant délit. Les officiers de gendarmerie ne sont point autorisés à faire des instructions préliminaires pour la recherche de ces infractions. Le flagrant délit doit être un véritable crime, c'est-à-dire une infraction contre laquelle une peine afflictive ou infamante est prononcée. » Et nous avons vu précédemment (voy. no 885 et 891) que les lois qui permettent l'arrestation des membres du Sénat et du Corps législatif dans les cas de flagrant délit restreignent cette faculté, comme notre Code, aux cas où le fait est passible d'une peine afflictive ou infamante. Nous verrons, dans le paragraphe suivant, comment cette règle doit être entendue dans la pratique.

Elle reçoit une seule exception dans le cas de réquisition d'un chef de maison. L'article 46, en effet, veut que les attributions faites à la police judiciaire pour les cas de flagrant délit aient lieu toutes les fois que, s'agissant d'un crime ou délit, même non flagrant, le chef de cette maison requiert cette police de le

constater. Ainsi, dans ce cas seulement, la police judiciaire exerce les droits extraordinaires que lui donne le flagrant délit, non-seulement quand il s'agit d'un crime, mais encore quand il s'agit d'un simple délit. La commission de législation du Corps législatif avait proposé de restreindre cette disposition au cas où le fait entraînerait une peine afflictive ou infamante'. Cette proposition ne fut pas admise « parce que le chef de la maison peut avoir intérêt à faire constater à l'instant même un délit purement correctionnel ».

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§ II. Attributions générales des officiers de police judiciaire en cas de flagrant délit.

1500. Le Code d'instruction criminelle définit les attributions extraordinaires des procureurs impériaux dans les cas de flagrant délit tel est l'objet des articles 32 et suivants.

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M. Treilhard, dans l'exposé des motifs du Code, résume ces articles, que nous examinerons plus loin, dans les termes suivants : « Le ministère du procureur impérial ne se borne pas à la recherche et à la poursuite des crimes; il est aussi chargé de les constater par lui-même dans les cas de flagrant délit. Aussitôt qu'il a l'oreille frappée d'un crime qui se commet actuellement, il doit sans aucun retard se transporter sur le lieu, dresser tous les procès-verbaux nécessaires à l'effet de constater le corps du délit, son état et l'état des lieux. C'est dans ce premier instant surtout qu'on peut saisir utilement tous les indices : le procureur impérial doit recevoir les déclarations des personnes présentes, ou qui peuvent lui donner quelques renseignements; il appelle les parents, voisins, domestiques, tous ceux enfin qu'il présume en état de lui faire des déclarations utiles, il peut défendre que qui que ce soit s'éloigne du lieu jusqu'après la clôture du procèsverbal; il saisit tout ce qui peut avoir servi à commettre le crime, ou tout ce qui en est le produit; il peut même se transporter dans le domicile du prévenu pour y faire la perquisition des papiers et autres objets qu'il juge nécessaires à la manifestation de la vérité; enfin, la loi l'investit de tout pouvoir nécessaire pour faire saisir les prévenus s'ils sont présents, ou pour les faire amener 1 Locré, tom. XXV, p. 220. 2 Looré, tom. XXV, p. 78.

devant lui s'ils sont absents, et rien de ce qui peut servir à prẻparer la conviction du coupable ne lui est interdit. »

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1501. Toutes ces attributions, que la loi délégue exceptionnellement au ministère public, en cas de flagrant dėlit, appartiennent également au juge d'instruction. L'article 59 du Code d'instruction criminelle porte, en effet : « Le juge d'instruction, dans tous les cas réputés flagrant délit, peut faire directement et par lui-même tous les actes attribués au procureur impérial. Ainsi, dans tous ces cas, il peut se transporter sur les lieux sans être accompagné du ministère public, il peut procéder à des actes d'instruction sans qu'ils soient précédés d'aucune réquisition, il peut même, en usurpant momentanément la fonction du ministère public, procéder à tous les actes de poursuite qui n'appartiennent en général qu'au ministère public et que les circonstances peuvent solliciter. M. Legraverend propose une restriction aux droits de ce juge suivant cet auteur, il n'aurait aucun droit d'action, si ce n'est en se conformant aux règles ordinaires, dans le cas de réquisition d'un chef de maison. La raison de cette restriction est que l'article 49 du Code distingue les cas de flagrant délit et le cas de réquisition de la part d'un chef de maison, tandis que l'article 59, relatif au juge d'instruction, se borne à provoquer l'action directe de ce juge dans tous les cas réputés flagrant délit1. Il suffit, pour répondre à cette objection, de remarquer que ces mots dans tous les cas réputés flagrant délit s'appliquent à la fois et aux cas de flagrant délit et aux cas qui sont réputés tels par la loi; or, quel est le but de l'article 46, sinon de réputer flagrant délit la réquisition d'un chef de maison? N'est-ce pas, en effet, pour étendre à ce cas nouveau les droits que la police judiciaire ne possède qu'au cas de flagrant délit que cette disposition a été faite? Et dès lors n'a-t-elle pas pour résultat de l'assimiler au cas de flagrant délit? La compétence du juge, appelé à agir d'office dans tous les cas réputés flagrant délit, ne peut donc être sérieusement contestée; elle peut l'être d'autant moins que le juge ne fait qu'exercer ici, sauf l'action d'office, une de ses attributions personnelles et qu'il apporte dans l'exercice de cette attribution des garanties supérieures à celles des autres officiers de police judiciaire *.

1 Tom. I, p. 188.

2 Conf. M. Mangin, Instr. écrite, n. 234, et M. Duverger, n. 115.

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