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limite marquée par la loi, il n'en existe plus aucune. Or, peut-on admettre qu'un tel pouvoir puisse s'étendre aussi loin et puisse être distribué avec tant de légèreté, que la liberté individuelle soit livrée, dans tant de cas où l'arrestation est inutile, à la volonté arbitraire du premier venu? L'article 16 stipule luimême la condition d'un fait passible d'emprisonnement, et cette réserve n'existerait même pas dans le système de la Cour de cassation. La grande distinction qui sépare les faits punissables dans notre législation pénale est puisée dans la nature de la peine : les faits graves sont punis d'une peine afflictive ou infamante, les faits moins graves sont punis de peines simplement correctionnelles; c'est cette distinction qui a fait naturellement la base de l'article 106. Il a paru qu'il fallait, pour autoriser l'arrestation d'un citoyen sans ordre de justice, un fait grave de nature à troubler l'ordre, à compromettre la sûreté des relations sociales; et la définition de ce fait s'est trouvée dans la nature même de la peine dont il est passible. Tel a été le principe du législateur de 1810. Il serait peut-être étrange que ce principe parût téméraire aujourd'hui.

1522. Et puis, il est certain, et c'est par là que les conséquences trop redoutées sans doute de l'article 106 peuvent être atténuées, que toutes les fois que le caractère d'un fait est douteux, et qu'il est impossible de discerner avec exactitude s'il constitue un crime ou un délit, l'arrestation peut être régulièrement opérée; car, en attendant que les faits soient vérifiés, il y a lieu de prendre une mesure de sûreté que leur caractère définitif peut autoriser. Ainsi, lorsqu'une rixe a eu des blessures pour résultat, l'auteur de ces blessures peut être arrêté, puisque la qualification définitive du fait est subordonnée à la gravité des rẻsultats qu'elles produiront. Ainsi, lorsqu'un vol est commis soit dans une maison, soit avec une circonstance quelconque susceptible d'en aggraver le caractère, il y a lieu à l'arrestation, car les faits apparents sont suffisants pour faire suspecter l'existence du crime. La loi ne peut exiger, en effet, soit des agents de la force publique, soit des simples citoyens, une connaissance tellement nette de la loi pénale, qu'ils puissent être strictement tenus de ne jamais excéder ses termes; elle a tracé une règle générale qui doit guider leur conduite; mais lorsqu'ils éprouvent quelque incertitude, lorsque les faits ont une apparence grave quoique

douteuse, ils doivent en déférer au magistrat. Or, ce référé, en cas de flagrant délit, ne peut consister qu'à conduire le prévenu devant ce magistrat pour qu'il prononce. Ils sont protégés, jusqu'à ce que leur erreur soit démontrée volontaire, par la présomption qu'ils ont cru agir dans l'exercice d'un droit légal. Posée dans ces termes, la solution que nous proposons n'aurait pas les périls que l'on a peut-être exagérés pour la repousser, et la liberté individuelle y trouverait une protection que la pratique actuelle lui enlève trop souvent.

1523. L'article 106 n'exige aucune réquisition: suivant les termes de l'arrêt du 30 mai 1823, « cet article a établi une rẻquisition légale et permanente qui dispense de la réquisition écrite des magistrats civils, dans les circonstances urgentes qui n'ont pu être prévues et qu'il détermine». Car tous les bons citoyens, porte l'instruction du 29 septembre 1791, « doivent former sans cesse une ligue sainte et patriotique contre les infracteurs de la Constitution et des lois, concourir à empêcher qu'un délit ne se commette et à remettre entre les mains des ministres de la loi les délinquants qu'ils ont surpris troublant l'ordre public ». L'article 106 prescrit de conduire le prévenu dans tous les cas devant le procureur impérial; mais cette mesure serait trop rigoureuse et souvent impraticable lorsque l'arrestation a lieu en dehors du chef-lieu d'arrondissement : il faut alors le conduire devant l'officier auxiliaire le plus voisin, et cet officier statuera comme au cas de flagrant délit.

§ V. Des visites domiciliaires au cas de flagrant délit.

1524. L'article 36 du Code d'instruction criminelle est ainsi conçu: « Si la nature du crime ou du délit est telle que la preuve puisse vraisemblablement être acquise par les papiers ou autres pièces et effets, en la possession du prévenu, le procureur impérial se transportera de suite dans le domicile du prévenu, pour y faire la perquisition des objets qu'il jugera utiles à la manifestation de la vérité. »

Cet article attribue tant au procureur impérial qu'à ses auxiliaires le droit de visite domiciliaire.

Il y a lieu de rappeler, d'abord, que ce droit, l'un des plus importants dont ils soient investis, ne peut être exercé, aux

termes de l'article 32, que dans les cas de flagrant délit, et lorsque le fait est de nature à entraîner une peine afflictive ou infamante. Ce sont là les deux conditions qui constituent le droit de la police judiciaire; si elles n'existaient pas l'une et l'autre, la visite domiciliaire serait une violation de domicile.

Cela posé, il faut examiner dans quelles circonstances l'officier de police qui agit dans les cas de flagrant délit définis par la loi peut opérer une visite domiciliaire.

L'article 359 de la Constitution du 5 fructidor an III renfermait une disposition ainsi conçue : « Aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi, et pour la personne et l'objet expressément désignés dans l'acte qui ordonne la visite. » Cette disposition, qui soumettait chaque visite à la condition d'une ordonnance préalable, n'existe plus au cas de flagrant délit, la visite est l'une des mesures que l'officier de police judiciaire peut prendre d'office, et par cela seul qu'il la juge utile à la manifestation de la vérité.

Mais l'article 76 de la Constitution du 22 frimaire an VIII n'a point cessé d'être en vigueur; cet article porte : « La maison de toute personne habitant le territoire français est un asile inviolable. Pendant la nuit, nul n'a le droit d'y entrer que dans le cas d'incendie, d'inondation ou de réclamation faite de l'intérieur d'une maison. Pendant le jour, on peut y entrer pour un objet spécial déterminé par une loi ou par un ordre émané d'une autorité publique. » L'article 3 de notre Constitution, que le législateur a considérée comme secondaire, s'est borné à reproduire le principe général : « La demeure de toute personne habitant le territoire français est inviolable; il n'est permis d'y pénétrer que selon les termes et dans les cas prévus par la loi. »

De ces textes il faut conclure que l'officier de police judiciaire ne peut opérer une visite domiciliaire pendant la nuit. L'article 36, quoiqu'il porte que cet officier se transportera de suite dans le domicile, n'a point dérogé au principe général de la loi du 22 frimaire an VIII; mais que faut-il entendre par la nuit? Le temps qui compose la nuit, quand il s'agit de régler l'introduc tion des officiers de police dans le domicile des citoyens, est déterminé par l'article 1037 du Code de procédure civile, l'article 1er du décret du 4 août 1806, et l'article 181 de l'ordonnance du 29 octobre 1820.

III.

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1525. Une autre règle est que la visite domiciliaire ne peut être opérée que dans le seul domicile du prévenu : c'est le texte formel de l'article 36. Le juge 'd'instruction seul, aux termes des articles 87 et 88, a le pouvoir de se transporter dans les lieux autres que le domicile du prévenu, pour y faire les recherches qu'il juge utiles à la découverte de la vérité. La loi a pensé que le droit des officiers de police, qui ne présentent pas les garanties du juge, devait être circonscrit à la maison du prévenu; la prévention fait leur titre; l'étendre au domicile des autres citoyens eût été livrer ce domicile à des investigations vexatoires et le plus souvent inutiles. On doit, toutefois, excepter les lieux ouverts au public, tels que les cafés et cabarets, pendant tout le temps qu'ils sont publics 1.

Enfin, la visite domiciliaire ne doit avoir lieu, même dans le domicile du prévenu, que lorsqu'il existe déjà des indices et lorsqu'il est vraisemblable que la preuve du crime peut résulter des papiers et effets qui sont en sa possession. Il faut qu'il existe déjà des indices, car la visite est une mesure grave qui ne doit être opérée qu'à l'égard d'un citoyen déjà suspect à la justice et contre lequel s'élèvent des présomptions de crime : la loi énonce énergiquement cette règle en n'ouvrant à la visite que le domicile du prévenu; il est donc nécessaire qu'une prévention pèse sur lui. Il faut ensuite qu'il soit vraisemblable que la visite de son domicile amènera la preuve du crime: tels sont les termes précis de l'article 36; la visite, si elle n'était pas fondée sur cette présomption, ne serait qu'une mesure vexatoire : l'intérêt de la justice fait sa seule légitimité.

§ VI. Des saisies au cas de flagrant délit.

1526. L'article 35 du Code d'instruction criminelle est ainsi conçu : « Le procureur impérial se saisira des armes et de tout ce qui paraîtra avoir servi ou avoir été destiné à commettre le crime ou le délit, ainsi que tout ce qui paraîtra en avoir été le produit, enfin de tout ce qui pourra servir à la manifestation de la vėrité. » L'article 37 ajoute ; « S'il existe dans le domicile du pré

1 L. 19-22 juillet 1791, tit. I, art 8, 9 et 10; L. 28 germ. an VI, art. 129; Ord. 29 oct. 1820, art. 161 et 162; Carnot, tom. I, p. 228; Legraverend, tom. I, p. 186; Bourguignon, tom. I, p. 142.

venu des papiers ou effets qui puissent servir à conviction ou à décharge, le procureur impérial en dressera procès-verbal et se saisira desdits effets ou papiers. »

Ces deux articles, en attribuant aux officiers de police judiciaire le droit de saisie, dans les cas de flagrant délit, soumettent l'exercice de ce droit à deux règles générales qu'ils ne doivent pas perdre de vue.

La première est que la saisie, telle qu'elle est prescrite par le Code, a pour but unique de fournir à la justice les moyens d'arriver à la manifestation de la vérité. Dans les matières fiscales la saisie peut être considérée comme une mesure répressive'; en matière ordinaire, elle n'est qu'une mesure de conviction; elle ne s'empare des papiers, pièces, armes ou effets, qu'en les considérant comme des indices ou des preuves et pour en faire plus tard des pièces de décharge ou de conviction. Cette règle domine toutes les saisies faites par les officiers de police judiciaire, et doit les diriger dans ces opérations en leur indiquant sur quels objets elles doivent porter.

1527. Une deuxième règle est que les officiers de police judiciaire, comme le juge d'instruction qu'ils remplacent, doivent instruire à charge et à décharge : l'article 37 rappelle cette règle qui doit diriger toute la procédure criminelle. Ils doivent donc saisir non-seulement les papiers et effets, qui forment des indices ou des preuves contre le prévenu et qui constituent les pièces de conviction, mais encore tous ceux qui tendraient à sa justification et qui constitueraient des pièces à décharge. Ils remplissent la mission du juge et non l'office de la partie poursuivante; ils ne sont pas chargés seulement d'établir la prévention, mais de rechercher la vérité dans l'intérêt de la justice.

1528. C'est à raison de ce caractère de la saisie, c'est parce que les choses saisies sont destinées à former l'un des éléments du débat, l'une des preuves pour ou contre l'accusé, que la loi a prescrit les formes qui doivent assurer leur identité. Il ne faut pas, en effet, qu'un doute puisse s'élever sur cette identité, il ne faut pas que le prévenu puisse prétendre que les objets qui seront mis sous les yeux de la justice ne sont pas ceux qui ont été saisis.

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1 Voy. suprà no 1349.

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