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1118. L'édit de mars 1667, portant création d'un lieutenant de police, avait exprimé, pour la première fois, la pensée de séparer deux pouvoirs jusque-là confondus, la police et la justice : « Comme les fonctions de la justice et de la police sont souvent incompatibles, nous aurions résolu de les partager, estimant que l'administration de la justice contentieuse et distributive demandait un magistrat tout entier, et que la police qui consiste à assurer le repos du public et des particuliers, à purger la ville de ce qui peut causer des désordres, à procurer l'abondance et à faire vivre chacun selon sa condition et son devoir, demandait aussi un magistrat particulier qui pût être présent à tout. » Mais cette première tentative était demeurée incomplète et stérile.

La loi du 29 septembre-21 octobre 1791 reprit cette distinction, et, en séparant les deux pouvoirs, elle a défini la mission générale du premier. « L'Assemblée nationale, en s'occupant de pourvoir à la sûreté publique par la répression des délits qui troublent la société, a senti que l'accomplissement de ce but exige le concours de deux pouvoirs, celui de la police et celui de la justice. La police, considérée dans ses rapports avec la sûreté publique, doit précéder l'action de la justice; la vigilance doit être son caractère principal; la société, considérée en masse, est l'objet essentiel de sa sollicitude. »

La police est administrative ou judiciaire.

Les articles 19 et 20 du Code du 3 brumaire an IV avaient nettement posé les deux formes de cette distinction: « La police administrative a pour objet le maintien habituel de l'ordre public dans chaque lieu et dans chaque partie de l'administration générale. Elle tend principalement à prévenir les délits. Les lois qui la concernent font partie du Code des administrations civiles. La police judiciaire recherche les délits que la police administrative n'a pas pu empêcher de commettre, en rassemble les preuves, et en livre les auteurs aux tribunaux chargés par la loi de les punir.

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M. Treilhard, dans l'exposé des motifs du Code, explique cette division, d'attributions: « Qu'est-ce que la police judiciaire? En quoi diffère-t-elle de la police administrative? Tant qu'un projet reste enseveli dans le cœur de celui qui le forme, tant qu'aucun acte extérieur, aucún écrit, aucune parole ne l'a manifesté au dehors, il n'est encore qu'une pensée et personne n'a droit d'en

demander compte. Il est cependant vrai que des hommes exercés de longue main à surveiller les méchants, et à pénétrer leurs intentions les plus secrètes, préviennent souvent bien des crimes par une prévoyance utile et par des mesures salutaires. Voilà l'un des premiers objets de la police administrative, police en quelque manière invisible, mais d'autant plus parfaite qu'elle est plus ignorée, et dont nous jouissons sans songer combien elle coûte de soins et de peines. La vigilance d'une bonne police ne laisse souvent ni l'espoir du succès, ni la possibilité d'agir au méchant qui la trouve partout sans la voir nulle part, et qui rugit des obstacles que le hasard semble lui offrir, sans jamais se douter que le hasard prétendu est dirigé par une profonde sagesse. Un autre résultat d'une bonne police administrative est que l'homme se trouve enveloppé au premier pas qu'il fait pour consommer son crime. C'est alors l'instant où la police judiciaire peut et doit se montrer; il n'y a pas un moment à perdre; le moindre retard ferait disparaître le coupable et les traces du crime; il faut donc que les agents de la police judiciaire soient répandus sur toute la surface de l'empire et que leur activité jamais ne se ralentisse'. »

Le législateur de 1808 adopte en conséquence la définition de la loi de l'an IV. L'article 8 du Code d'instruction criminelle est ainsi conçu : « La police judiciaire recherche les crimes, les délits et les contraventions, en rassemble les preuves et en livre les auteurs aux tribunaux chargés de les punir.

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1119. La ligne qui sépare la police administrative et la police judiciaire se trouve donc nettement tracée. La police administrative prend des mesures générales plutôt que des mesures particulières; elle procède soit par des arrêtés, soit par des dispositions préventives; elle exerce une mission de prévoyance : cette mission consiste à écarter les causes de trouble, à modifier ou supprimer les faits qui peuvent exciter le désordre et augmenter les délits; à surveiller, pour les contenir, les agents les plus dangereux; à maintenir, en un mot, la paix de la cité en refrénant les provocations des mauvaises passions, les excès du vice, l'audace des malfaiteurs. Ce n'est point de cette partie de l'administration publique que nous avons à nous occuper.

1 Locré, tom. XXV, p. 223.

La police judiciaire est en général une sorte d'instruction préparatoire qui précède l'instruction faite par le juge. Elle commence au moment où le délit se manifeste, elle finit au moment où le juge est saisi, où la justice procède elle-même. Sa mission consiste à signaler les crimes et les délits aussitôt qu'ils sont commis ou qu'ils se révèlent, à recevoir les dénonciations, à saisir sommairement, au cas où ils sont flagrants, les indices et les preuves de leur perpétration et à transmettre immédiatement à l'autorité judiciaire les actes de cette enquête préliminaire.

Il résulte de cette définition que la police judiciaire a deux caractères distincts. D'une part, elle prépare l'action du juge, elle n'y participe qu'en le suppléant; elle précède et facilite l'instruction, elle n'en fait aucun acte, si ce n'est provisoirement; elle s'enquiert, elle recherche, elle constate, elle n'apprécie pas, elle ne statue pas. D'une autre part, si elle ne participe pas à l'action judiciaire proprement dite, elle émane néanmoins de la justice, elle en reçoit une délégation temporaire, elle agit en son nom et dans son intérêt, elle s'empreint de son caractère, elle assimile ses actes aux siens.

1120. De cette double observation découlent deux principes qui doivent dominer l'organisation de la police judiciaire. Elle doit nécessairement, dans l'intérêt de la justice, être investie de tous les moyens d'action indispensables à l'accomplissement de sa mission. Elle doit, en même temps, dans l'intérêt des droits qu'elle peut froisser, être entourée de formes tutélaires qui se rapprochent le plus possible des formes de l'action judiciaire.

La police judiciaire doit être investie des moyens d'action nécessaires à l'accomplissement de sa mission. En effet, elle est l'œil de la justice; il faut que son regard plane partout, qu'elle soit partout présente, que ses moyens de surveillance, comme un vaste réseau, couvrent le territoire. Elle est, en outre, la sentinelle chargée de donner l'alarme et d'avertir le juge; il faut donc que ses agents, toujours prêts à recueillir les premiers bruits, les premiers indices des faits punissables, puissent se transporter, visiter les lieux, interroger les traces, désigner les témoins, et transmettre à l'autorité compétente tous les renseignements qui peuvent servir d'éléments à l'instruction. Enfin, elle édifie dans certains cas une procédure préparatoire de la procédure judiciaire;

il faut donc qu'elle puisse, en attendant l'intervention du juge, prendre les mesures provisoires qu'exigent les circonstances; il faut qu'elle soit investie d'un certain pouvoir et qu'elle puisse employer quelques moyens de vérification et d'action qui n'appartiennent, en général, qu'au pouvoir judiciaire.

Mais, en même temps, puisqu'elle est une délégation de la justice, puisqu'elle participe de son caractère, elle doit présenter dans ses actes quelques-unes des garanties judiciaires. Il faut donc que des conditions spéciales soient apportées au choix de ses agents; que leur compétence soit réglée; que les attributions de chacun d'eux soient définies; que les cas de leur intervention soient prévus; que leurs actes, dans chacun de ces cas, soient formellement autorisés ; que les formalités qui doivent les accompagner soient prescrites; enfin, que les effets de ces actes et leur influence sur les décisions de la justice soient mesurés suivant la nature des faits et l'autorité dont les agents sont investis.

Telles sont les règles générales qui dominent cette matière : nous ne les indiquons ici que pour embrasser dans un premier coup d'œil ses différents points de vue; nous rechercherons, en examinant l'organisation que notre législation lui a donnée, si ces règles ont été fidèlement appliquées,

1121. La matière de la police judiciaire est plus vaste qu'elle ne paraît à la première vue. Non-seulement elle comprend les droits et les attributions de chacun des nombreux agents qui participent à son action, soit d'une manière générale, soit d'une manière spéciale, mais elle enveloppe encore, pour les préciser et les définir, tous les actes qu'ils peuvent accomplir dans leurs fonctions, toutes les mesures qu'ils sont autorisés à prendre, toutes les formalités qu'ils sont tenus de suivre et d'appliquer.

Il faut donc examiner successivement les titres des différents agents, fixer les limites de leur compétence, déterminer les actes de leurs fonctions, tracer les formes de ces actes et leurs effets. Nous exposerons, en premier lieu, l'organisation générale de la police judiciaire.

Nous examinerons ensuite quels sont les fonctionnaires qui participent à la police judiciaire et quels sont les droits et les attributions de chacun d'eux.

Nous ajouterons l'énumération des nombreux agents qui, dans

certaines matières spéciales, ont quelques-uns des droits des officiers de police judiciaire.

Après avoir établi les titres de chacun de ces agents et les règles de leur compétence, nous rechercherons quels actes ils peuvent accomplir dans l'exercice de leurs fonctions et quelles formes ils doivent observer dans l'accomplissement de ces actes. Cet examen aura successivement pour objet :

Les rapports et les procès-verbaux;

La saisie des choses en délit;

Les différentes mesures qui sont la conséquence du droit de recherche;

Enfin, les pouvoirs extraordinaires qu'ils exercent dans les cas de flagrant délit.

CHAPITRE DEUXIÈME.

ORGANISATION DE LA POLICE JUDICIAIRE.

1122. Objet et division de ce chapitre.

1123. De la police judiciaire dans la législation romaine.

1124. De la police judiciaire dans notre ancienne législation jusqu'au douzième siècle. 1125. Au douzième siècle, droits des parties lésées et poursuite d'office du juge. 1126. La dénonciation donnait au juge le droit de procéder à une information préparatoire, information d'abord abandonnée aux sergents et huissiers.

1127. Effets de la création du ministère public sur cette première organisation. 1128. Fonctions des lieutenants criminels de robe courte.

1129. L'ordonnance de 1670 ne permet qu'aux juges seuls de procéder aux actes de la première information, sauf les cas de flagrant délit.

1130. Concours des juges spéciaux.

1131. Législation de 1791 sur la police judiciaire.

1132. Organisation de la dénonciation civique.

1133. Quels étaient les actes de cette police dans cette législation.

1134. Organisation de la police judiciaire dans le Code du 3 brumaire an IV.

1135. Modifications apportées par la loi du 7 pluviôse an IX.

1136. Système du Code d'instruction criminelle.

1137. Quels sont les agents auxquels notre Code confie la police.

1138. Adjonction des préfets, des officiers de police spéciaux et des agents de la force

publique.

1139. Fonctions de ces officiers et agents.

1140. Surveillance à laquelle ils sont soumis.

1141. Examen critique de cette organisation. Conditions que doit présenter la police

judiciaire.

1142. Si les attributions que lui a conservées notre Code sont suffisantes à son action. 1143. Proposition d'étendre les attributions des juges de paix en cette matière.

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