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La loi anglaise prend les jurés « depuis l'âge de vingt-un ans jusqu'à soixante ans. » La loi du 29 sept. 1791 et celle du 2 nivôse an II fixaient à vingt-cinq ans la limite où les citoyens pouvaient commencer à être appelés à cette fonction. L'art. 483 du C. 3 brumaire an IV a reculé cette limite à l'âge de trente ans accomplis, et depuis ce moment elle n'a plus varié.

Une circulaire du ministre de la justice du 10 sept. 1848, porte sur ce point : « le juré, pour remplir sa mission judiciaire, a besoin de la sagesse et de l'expérience que la maturité des années peut seule donner. Il importe dès lors de vérifier l'âge avec le plus grand soin et sur des actes authentiques; car les citoyens qui n'ont pas accompli leur trentième année, sont frappés d'une incapacité radicale, et leur concours à un jugement criminel pourrait en entraîner la nullité. La liste, pour prévenir les erreurs, doit indiquer l'âge de chacun des jurés par la date de leur naissance; il est toujours facile de se procurer ce renseignement auprès des officiers de l'état civil. »

En thèse générale, l'inscription sur la liste établit la présomption, comme en ce qui concerne la qualité de français, que le juré a atteint l'âge de trente ans accomplis. Ce point, qui sera d'ailleurs examiné plus loin, a été constamment maintenu par la jurisprudence. Et il en est ainsi lors même que la liste ne mentionnerait pas, comme le prescrit la circulaire qui vient d'être citée, l'âge de chacun des jurés, car si ce renseignement est très utile, la loi n'en a point fait cepenpendant l'objet d'une disposition expresse. Il en est ainsi, à plus forte raison si la liste n'indique l'âge que par le millésime de l'année de la naissance, sans y joindre le mois et le jour 4.

Il ne suffit donc pas d'alléguer, il faut établir que l'un ou plusieurs des jurés n'avaient pas l'âge exigé par la loi, lorsque ce défaut d'âge est le moyen qui sert à attaquer les opérations judiciaires auxquelles ont pris part ces jurés. Aussi, tous

1 Act. George IV, 22 juin 1825, art. 1.

2 Cass. 20 nov. 1828, rapp. M. Mangin. J. P., t. XXII, p. 364; 13 janv. 1832, rapp. M. Dupaty. Dall, vo Inst. cr. n. 1394; 12 avril 1832, rapp. M. Brière. Eod. loc.

3 Cass. 20 juill. 1837, rapp. M. Rives. Dall. v° Inst. cr. n. 1394; 13 sept. 1839, rapp. M. Meyronnet. Eod. loc.; 13 mai 1852, rapp. M. Rocher, Bull. n. 154.

Cass. 3 mai 1851, rapp. M. de Boissieux. Dall, 51, 5, 138.

les pourvois qui se fondent sur la seule assertion de l'insuffisance de l'âge des jurés sont rejetés: « attendu que les demandeurs ne justifient pas que quelques-uns des jurés eussent moins de trente ans 1. »

Il ne suffirait même pas d'apporter la preuve que l'un des jurés avait moins de trente ans, s'il n'est pas établi en même temps que ce juré faisait partie des douze jurés de jugement ou du moins que le tirage de ces jurés a été opéré sur une liste de trente, dans laquelle figurait ce juré. Nous avons vu tout à l'heure le motif de cette restriction.

Mais, ici comme en ce qui touche la qualité de français, la preuve du défaut d'âge quand le juré, âgé de moins de trente ans, a concouru au jugement ou pris part avec 29 jurés seulement au tirage des jurés de jugement, entraîne nécessairement la nullité de ces actes. En effet, il en résulte ou que le jury n'était composé que de onze jurés, puisque le douzième n'avait pas caractère légal pour en remplir les fonctions, ou que le même jury n'a été tiré que sur une liste de 29 jurės, tandis que la loi limite à trente le nombre de ceux qui doivent concourir à ce tirage. De nombreux arrêts ont fixé la jurisprudence sur ce point'.

Toutefois il faut prendre garde qu'il n'y aurait pas nullité, si le juré, bien qu'il n'ait pas l'âge au moment de l'inscription sur la liste, l'avait atteint au moment où il a été appelé à remplir ses fonctions. La raison en est que l'inscription sur la liste ne confère nullement, comme le pensait M. Legraverend 4, la qualité de juré, mais seulement une aptitude à revêtir cette qualité, et dès lors, comme la loi n'exige l'âge de 30 ans accomplis que pour remplir les fonctions de juré, il s'ensuit qu'il suffit que cet âge existe au moment où ces fonctions commencent. C'est ce que décide un arrêt qui déclare : « qu'aux termes de l'art. 381 et de l'art. 4 de la loi du 4 juin 1853, il suffit, pour l'exercice légal des fonctions de juré, d'avoir trente ans accomplis au moment de la formation du

4 Cass. 26 ventôse an iv, 19 messidor an iv, 22 pluviôse an iv. Dall. v. Inst. crim. n. 1391.

* Cass. 18 juillet 1856, Bull. n. 255; 19 juillet 1832, rapp. M, Ollivier. Bull. n. 270.

* Cass. 11 avril 1811. Bull. n. 52; 8 août 1811. Bull. n. 113; 13 sept. 1841. Bull. n. 131; 3 mars 1815. Bull. n. 19; 27 juin 1816. Bull. n. 35;5 fév. 1818. Bull. n. 17; 26 avril 1822. Bull. n. 98; 12 juillet 1822. Bull. D. 98; 27 juin 1833. Bull. n. 245; 4 avril 1851. Bull. n. 128.

Log. cr., t. II, p. 70.

tableau des douze jurés de jugement; et qu'il n'est pas nécessaire que cet âge ait été atteint au moment de la confection de la liste annuelle, puisque l'inscription sur cette liste ne fait qu'indiquer une aptitude dont les conditions de légalité doivent être vérifiées au moment où commence l'exercice des fonctions de juré 1. »

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Mais il n'en serait plus ainsi dans le cas où le juré n'aurait accompli sa trentième année que dans l'intervalle qui sépare la formation du jury et le jugement, car il aurait concouru à des actes de la procédure lorsqu'il n'avait pas encore la capacité légale. La Cour de cassation a donc dû prononcer dans cette hypothèse l'annulation d'une procédure, attendu que des renseignements envoyés à la Cour, il résulte que Davalévian, qui a siégé et prononcé comme juré lors du jugement attaqué, n'avait pas trente ans accomplis le jour où a commencé le débat sur l'accusation admise contre Bertrand; d'où il suit que la composition du jury était illégale et incomplète, et ne pouvait servir de base a un jugement régulier". »

Au surplus, l'erreur qui aurait été commise dans l'énonciation de l'âge d'un juré sur la liste, ne pourrait donner lieu à nullité, s'il était établi qu'il avait l'âge requis pour exercer ses fonctions3. S'il résulte du seul fait de l'inscription une présomption que chaque juré réunit les conditions requises par la loi, cette présomption peut être combattue par la preuve contraire, soit dans le cas où la liste constate inexactement une condition non existante, soit dans le cas où elle omet de constater une condition qui de fait est accomplie 4.

IV. La troisième condition de l'exercice des fonctions de juré est la jouissance des droits politiques, civils et de famille.

Les personnes qui ne jouissent pas de ces droits, se trouvent nécessairement comprises parmi les incapables qui vont être énumérés dans le paragraphe suivant.

Cass. 20 sept. 1855, à notre rapport. Bull. n. 323, et Conf. 11 mai 1849, rapp. M. Dehaussy. Bull. n. 106; 7 août 1845, rapp. M. Měrilhou. Bull. n. 255.

Cass. 19 prair. an x11, rapp. M. Basire. J. P., t. IV, p. 38,

* Cass. 5 août 1830. J. P., t. XXIII, p. 742; 12 juill. 1833, rapp. M. Meyronnet Saint-Marc, J. P., t. XXV, p. 674; 15 oct. 1834, même rapp, J. P., t. XXVI, p. 968.

4 Cass. 20 nov. 1828, rapp. M. Mangin, J. P,, t. XXII, p. 364.

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1. Causes d'incapacité. - 11. Enumération des différents cas d'incapacité prévus par la loi.

I. Nous venons d'établir que nul ne peut remplir les fonctions de juré, à peine de nullité, s'il n'a la qualité de Français, s'il n'est âgé de trente ans accomplis et s'il ne jouit pas des droits politiques, civils et de famille. Ce sont là les conditions essentielles de l'aptitude à ces fonctions; mais ce ne sont pas les seules il faut encore, aux termes des art. 1, 2, 8 et 4 de la loi du 4 juin 1853, que les personnes inscrites sur la liste ne soient dans aucun des cas d'incapacité d'exclusion, ou d'incompatibilité qu'ils ont prévus.

Nous devons donc énumérer et préciser les différentes causes d'élimination. Nous nous occupons d'abord des cas d'incapacité.

II. L'art. 2 de la loi du 4 juin 1853 est ainsi conçu :

« Sont incapables d'être jurés : 1° les individus qui ont été condamnés, soit à des peines afflictives et infamantes, soit à des peines infamantes seulement; 2° ceux qui ont été condamnés à des peines correctionnelles pour fait qualifié crime par la loi; 3° les militaires condamnés au boulet ou aux travaux publics; 4 les condamnés à un emprisonnement de trois mois au moins; 5° les condamnés à un emprisonnement, quelle que soit sa durée, pour vol, escroquerie, abus de confiance, soustraction commise par des dépositaires publics, attentats aux mœurs prévus par les art. 330 et 334 du C. p., outrage à la morale publique et religieuse, attaque contre le principe de la propriété et les droits de la famille, vagabondage ou mendicité, pour infraction aux dispositions des art. 38, 41, 43 et 45 de la loi du 21 mars 1832 sur le recrutement de l'armée, et aux dispositions des art. 318 et 423 du C. p. et de l'art. Ier de la loi du 27 mars 1851; 6o les condamnés pour délit d'usure; 7° ceux qui sont en état d'accusation et de contumace; 8° les notaires, greffiers et officiers ministériels destitués; 9° les faillis non réhabilités; 10° les interdits et les individus pourvus d'un conseil judiciaire; 11° ceux auxquels les fonctions de juré ont été interdites, en vertu de l'art. 396 du C. d'instr. cr. et de l'art. 42 du C. .... p. ; 12° ceux qui sont sous mandat d'arrêt ou de dépôt; 13° sont incapables pour cinq ans seulement, à dater de l'expiration de leur peine, les condamnés à un emprisonnement d'un mois au moins. »

Cette longue catégorie d'incapables ne paraîtra point sans doute exagérée, sauf en ce qui concerne peut-être la disposition dernière, à tous ceux qui reconnaissent à la fonction du jury le caractère exclusivement judiciaire que nous lui avons assigné. La loi, quand elle appelle les citoyens à l'office de

juges, a le droit de scruter sévèrement leur moralité. Elle ne doit permettre qu'aucun doute plane sur leur probité et sur leur indépendance. Elle ne doit appeler que des hommes qui soient à la fois éclairés et honnêtes.

Cette liste peut se fractionner en plusieurs parties.

La loi écarte d'abord tous ceux qui ont été condamnés à des peines afflictives et infamantes ou simplement infamantes; les condamnés à des peines correctionnelles pour faits qualifiés crimes par la loi; les militaires condamnés au boulet ou aux travaux publics. Cette première catégorie, qui comprend tous ceux qui ont commis les plus graves infractions à l'ordre social, ne peut donner lieu à aucune observation.

La seconde catégorie comprend les individus qui ont été condamnés pour de simples délits. On lit dans le rapport fait au Corps législatif; « le législateur se trouvait là en présence de difficultés plus sérieuses. Fallait-il éloigner du jury quiconque aurait été condamné pour un délit correctionnel, quel qu'il fût? La sévérité serait excessive et souvent peu en harmonie soit avec les circonstances, soit avec la nature même du fait. Fallait-il, au contraire, parcourir toute la série des lois générales et spéciales pour distinguer entre les faits atteints par la loi pénale, mesurer leur gravité et attacher à quelques-uns seulement l'incapacité? C'est une tâche qui a paru difficile, dangereuse et peu en rapport avec le but que la loi se propose. Les omissions seraient presque inévitables au milieu de la quantité considérable des lois qui prononcent des pénalités. D'autre part, il est tel fait peu grave en luinième et par sa nature, et qui peut le devenir à raison des circonstances et accuser une véritable perversité. On a donc jugé plus sage de suivre un autre système. Parmi les délits, il en est qui sont plus ordinaires, que l'on voit plus généralement dans les habitudes communes de la vie et qui annoncent aux yeux de tous une véritable dégradation du sens moral. Tels sont le vol, l'escroquerie, l'abus de confiance, les attentats aux mœurs. Quiconque a été condamné à l'emprisonnement quelle que soit sa durée pour ces faits là et pour les autres que prévoit le § 5, est incapable d'être juré. Mais la loi qui se bornerait à exclure du jury cette seule catégorie de délinquants manquerait évidemment de sagesse et de prévoyance. Elle est loin, en effet, de comprendre tous les criminels dont la présence sur le siége du juge serait une sorte d'injure pour la justice elle-même. Le projet les saisit tous par une seule

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