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C'est l'un des devoirs du magistrat qui préside de le mettre à même, par ses explications, d'en user complétement; car il lui appartient de veiller à l'exécution de toutes les dispositions qui se rattachent à la procédure des assises et de protéger le libre exercice des facultés qui appartiennent soit à l'accusation, soit à la défense. La loi s'est confiée à cet égard à sa conscience et à son impartialité : son esprit suppose l'avertissement; son texte n'en parle pas. La jurisprudence a dû en conséquence, sans dénier la nécessité de cette formalité, déclarer cependant que le défaut de sa constatation n'emporte pas de nullité. Il faut toutefois excepter le cas où, par l'effet de la négligence du président, il serait établi que le droit de récusation aurait été compromis. Cette réserve est formellement énoncée dans un arrêt qui déclare: < que les art. 400 et suivants n'établissant pas de peine de nullité pour défaut de constatation au procès-verbal de cet avertissement ou pour erreur dans l'accomplissement de la formalité, lá nullité ne pourrait être encourue qu'autant qu'il serait prouvé que cette erreur a préjudicié à l'accusé et porté atteinte à son droit de récusation ".

V. S'il y a plusieurs accusés, le nombre des récusations demeure le même. Le 2 § de l'art. 402 porte : « ils ne pourront excéder le nombre de récusations déterminé pour un seul accusé par les articles précédents. » Ainsi, ce nombre, quel que soit celui des accusés et fut-il plus considérable que le chiffre des récusations, est limité, à l'égard de tous à la fois, au minimum de neuf et au maximum de douze.

Comment ces récusations sont-elles réparties entre les différents accusés? La loi a prévu trois hypothèses: 1o ils peuvent se concerter pour toutes les récusations; 2° ils peuvent se concerter pour une partie seulement; 3° ils peuvent ne pas se concerter et dans ce cas le sort règle le rang dans lequel ils les font séparément.

La première et la seconde hypothèse sont réglées par les art. 402 et 403. L'art. 402 porte: « s'il y a plusieurs accusés, ils pourront se concerter pour exercer leurs récusations. >> L'art. 404 ajoute: « les accusés pourront se concerter pour exercer une partie des récusations, sauf à exercer le surplus suivant le rang fixé par le sort. »Dès qu'il y a concert, il n'y a

Cass. 4 janv. 1840, rapp. M. Meyronnet St-Marc. Dall. 40, 4, 398; 18, sept. 1845, rapp. M. Barennes. Bull. n. 293.

Cass. 23 février 1853, rapp. M. Legagneur. Bull. n. 67.

plus de difficulté. Mais comment se forme et se constate ce concert? Evidemment par la déclaration des accusés. Le président doit accorder un certain délai pour qu'ils conviennent entre eux de ce qui importe le plus à leurs intérêts; car, puisqu'ils peuvent, aux termes de la loi, se concerter, il faut qu'ils aient le moyen de le faire. Le concert se présume même par le seul défaut de réclamation et il a été jugé « que les accusés n'ayant point fait connaître au président qu'ils ne se fussent pas concertés pour exercer leurs récusations, et le procès-verbal constatant qu'ils ont exercé cinq récusations sans qu'aucun désaccord se soit manifesté entre eux à cet égard, il suit qu'il a été satisfait suffisamment aux dispositions de la loi 1. » Il a été, au surplus, reconnu que les accusés peuvent charger un seul d'entre eux d'agir au nom de tous, et qu'ils peuvent même déléguer cette mission à l'un des défenseurs 2

Dans la troisième hypothèse, les difficultés sont un peu plus graves. L'art. 403 déclare que « si les accusés ne se concertent pas pour récuser, le sort réglera entre eux le rang dans lequel ils feront les récusations. Dans ce cas, les jurés récusés par un seul, et dans cet ordre, le seront pour tous, jusqu'à ce que le nombre des récusations soit épuisé. » Cet article a été clairement expliqué par un arrêt dans lequel on lit « que l'art. 403 a voulu évidemment que l'accusé placé par le sort au premier rang épuisât d'abord son droit, mais que si ce droit consistait à faire seul toutes les récusations possibles, il en résulterait que ses coaccusés pourraient être privés d'en exercer une seule, ce qui n'est nullement dans le vœu de la loi; qu'il y a donc nécessité de diviser proportionnellement entre tous les accusés le nombre des récusations à exercer, afin qu'au rang près la condition soit la même pour tous; qu'à la vérité, il peut arriver qu'au total le nombre des récusations possibles ne soit pas épuisé, mais qu'il ne le sera point parce que chacun des accusés n'aura pas voulu épuiser sa part, ce qui présente moins d'inconvénient que si un seul pouvait récuser pour tous, ou que si la faculté dont l'un n'aurait point usé était reportée à l'autre, puisque, dans ce système, certains accusés seraient privés de jurés qu'ils auraient voulu conserver; qu'à la vérité encore, on prétend écarter ces

1 Cass. 3 mai 1834, rapp. M. Dehaussy. J. P. XXVI, 460. "Cass. 3 décembre 1836, rapp. M. Vincens St-Laurent. Sir. 38, 4, 82. *Cass, 10 jany, 1834, rapp. M. Rives, Sir. 34, 1, 660.

inconvénients en faisant que l'accusé placé au premier rang,qui aurait exercé une première récusation, ne fut plus interrogé sur le nom sorti postérieurement de l'urne qu'après interpellation faite aux accusés placés à un rang inférieur; mais que, dans ce système, les récusations ne seraient plus faites suivant l'ordre établi par le sort, comme le veut à deux reprises l'article 403; que le n° 2 deviendrait le n° 1 avant que le no 1 eut épuisé sa part de récusations, ce qui est inconciliable avec la règle établie par cet article. » Il résulte de cette interprétation que le président doit, 1o procéder au tirage au sort des noms des accusés pour régler le rang qu'ils doivent occuper dans l'exercice du droit de récusation; 2o diviser le nombre des récusations à opérer proportionnellement au nombre des accusés; 3° ne laisser chacun d'eux exercer que celles qui lui appartiennent sans qu'il puisse se servir de celles qui appartiennent à ses coaccusés. Ainsi, l'opération serait nulle si le président, au lieu de fractionner les récusations pour faire la part de chaque accusé, les interpelait tous successivement, en suivant l'ordre établi par le sort, sur chaque nom de juré sortant de l'urne, tant que la faculté totale de récuser ne serait point épuisée 2. Ainsi l'opération serait nulle encore si le président laissait le premier des accusés sorti par le sort, en l'absence de tout concert de leur part, exercer pour eux tous collectivement le droit personnel de chacun d'eux 3.

Que faut-il décider cependant si le nombre des accusés est supérieur à celui des récusations? L'accusé qui vient au 9° ou au 10° rang, si le nombre des récusations est fixé à 8 ou 9, sera-t-il exclu de toute participation au droit de récusation, lors même que ses coaccusés ne l'auraient pas épuisé? Cette question, qu'un arrêt a réservée sans essayer de la résoudre 4, présente quelque difficulté à raison de l'interprétation qui vient d'être exposée. Si chacun des accusés ne peut exercer que la part des récusations qui lui a été faite et ne peut prétendre à celle de ses coaccusés, il s'ensuit que celui que le sort a placé trop loin pour en avoir aucune, ne peut, lors même que ses coaccusés n'auraient pas épuisé les leurs, les reprendre en son nom. Cependant, cette conséquence serait bien rigoureuse. On ne doit pas assimiler le cas où chacun des

1 Cass. 26 fév. 1841, rapp. M, Romiguières. Bull. n. 53.

2 Même arrêt.

3 Cass. 2 février 1833, rapp, M. Gilbert de Voisins, J, P., t. XXV, p. 120, * Cass, 3 déc. 1836, cité suprà p. 420.

accusés exerce une part, si restreinte qu'elle soit, des récusations, et celui où quelques-uns, par suite de leur nombre et du rang que leur sort leur assigne, n'en exercent aucune. Dans cette dernière hypothèse, les accusés, n'ayant été empêchés d'user de leur droit que par une sorte de force majeure, peuvent le reprendre aussitôt que cette impossibilité cesse et elle cesse évidemment dès que les premiers accusés n'ayant pas exercé les récusations qui leur étaient dévolues, le droit n'est pas épuisé. Ils peuvent donc en revendiquer à ce moment l'exercice; et que pourrait-on, en effet, leur opposer? Que le rang, que le sort leur a fait, a épuisé leur droit? Non, ce rang n'a fait que les placer dans l'impossibilité de l'exercer, si les premiers appelés épuisent le leur; c'est donc d'une impossibilité de fait et non de droit qu'il s'agit; elle ne peut donc se prolonger lorsque le fait n'existe plus.

VI. L'exercice du droit de récusation peut donner lieu à des réclamations, à des incidents sur lesquels il doit être immédiatement statué.

Le pouvoir de les vuider, que la jurisprudence avait d'abord, ainsi qu'on l'a déjà vu 1, exclusivement attribué au président, a été plus tard indifféremment attribué soit au président, soit à la Cour d'assises'. Mais si l'incident prend un caractère contentieux, c'est-à-dire s'il y a réclamation de la part de l'une des parties, il n'appartient plus qu'à la Cour d'assises seule de statuer. Il est, en effet, de principe, et nous reviendrons plus loin sur ce point, « que, d'après l'organisation des Cours d'assises, c'est à elles et non à leur président qu'il appartient de statuer sur tous les points contentieux sur lesquels les parties se trouvent divisées 5.

Cette garantie est surtout indispensable en matière de récusation; car, il ne faut pas perdre de vue qu'il n'y a de jury légalement constitué que celui à l'égard duquel le droit de récusation a pu librement s'exercer 6. La Cour de cassation a prononcé l'annulation d'une procédure dans laquelle le président avait réfusé d'admettre une récusation sous le pré1 Voy. suprà p. 385 et 404.

2 Cass. 1 déc. 1820, J. p., t. XVI, 244; 6 mars 1828, rapp. M. Gaillard, t. XXI, 1250.

* Cass. 23 janv. 1841, rapp. M. Dehaussy. Bull. n. 23.

* Cass. 25 juin 1840, rapp. M. Rocher, Bull. n. 187.

* Cass. 3 déc. 1836, rapp. M. Vincens-St-Laurent. Sir. 38, 4. 86,

• Même arrêt.

texte qu'elle était concertée avec le juré récusé 1. Elle a prononcé encore une autre annulation parce que le président avait maintenu sur la liste des douze un juré frappé de récusation 2. Detels excès de pouvoir peuvent échapper aux préoccupations d'un seul magistrat; une Cour d'assises ne pourrait les commettre.

Lorsque douze jurés sont sortis de l'urne, sans avoir été récusés ou après l'épuisement du droit de récusation, le jury de jugement est formé.

$ 604.

I. Du chef du jury. — II. Il peut être remplacé. III. Ses fonctions.

I. Le jury de jugement étant appelé à délibérer, il est nécessaire qu'il ait un président ou chef qui est chargé de diriger ses délibérations et d'en constater le résultat.

Le chef du jury est l'un des douze jurés désignés ou par le sort ou par les jurés eux-mêmes. L'art. 309 du C. d'inst. cr. porte que « les douze jurés se placeront dans l'ordre désignés par le sort »; et l'art. 342 ajoute: « leur chef sera le premier juré sorti par le sort ou celui qui sera désigné par eux et du consentement de ce dernier. >>

Lorsque le premier juré sorti par le sort préside les jurés, il est inutile de constater sa qualité, puisque le procès-verbal du tirage l'établit ; mais lorsque ce n'est pas ce juré qui remplit cette fonction, il faut constater qu'il a été remplacé.

II. Le remplacement s'opère par la volonté des jurés. Il suffit qu'ils conviennent entre cux que la fonction de chef du jury sera exercée par tel juré qui leur paraît le plus apte à cette fonction, pourvu d'ailleurs qu'elle soit acceptée du juré auquel elle est offerte. Cette délégation doit nécessairement émaner de la majorité des jurés, puisque ce n'est que par la majorité des voix qu'un corps délibérant peut manifester sa volonté. Faut-il le consentement de celui dont le nom est sorti de l'urne le premier? Nuliement, car ces mots de l'art. 342 du consentement de ce dernier » ne se réfèrent qu'à celui que désignent les jurés et non point à celui que le sort a désigné. Quelque hésitation s'était manifestée sur ce point dans la jurisprudence; mais le texte de la loi est trop ex1 Cass. 6 fév. 1834, rapp. M. Choppin, J. P., t. XXVI, p. 139. 2 Cass. 14 fév. 1850, rapp. M. Isambert. Bull. n. 55.

Cass. 24 déc. 1824, rapp. M. Gaillard. Dall. 25, 1, 122; 1 août 1827, rapp. A. Ollivier, Dall. 27, 1, 490.

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