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Cette règle est fondée sur plusieurs motifs. Elle a pour but 1° de maintenir l'unité dans l'instruction, de manière que toutes les parties du débat s'enchaînent entre elles et que les jurés puissent en saisir plus facilement l'ensemble et le résultat; 2o de préserver les jurés de toutes les influences extérieures, soit en les isolant de toute communication, soit en éloignant les distractions qui pourraient effacer de leur esprit les impressions de l'audience; 3° de supprimer tous les retards, toutes les lenteurs, tous les incidents qui pourraient prolonger la procédure et reculer le jugement.

On voit de suite que c'est là une règle d'ordre qui intéresse surtout la bonne administration de la justice. Les conséquences qui vont en résulter, c'est que l'application en est en général laissée à la prudence du président de la Cour d'assises, et que ce n'est que dans les cas où son inexécution aurait pu apporter quelque préjudice à la défense que celle-ci peut s'en faire un grief.

II. La loi distingue, en premier lieu, l'interruption des débats et leur suspension. Les débats ne peuvent être interrompus; ils doivent continuer jusqu'à ce que la cause soit terminée par le jugement; mais ils peuvent être suspendus pendant des intervalles nécessaires au repos des juges, des jurés, des témoins et des accusés. L'interruption suppose que la Cour d'assises procède à d'autres actes, s'occupe d'une autre affaire, délaisse, en un mot, même momentanément, l'affaire entamée, et c'est là ce que la loi a voulu interdire. La suspension n'interrompt pas les débats, elle les ajourne à une autre heure, à un autre jour; elle ne fait que placer au milieu de leur cours quelques intervalles nécessaires au repos; elle n'emploie ces intervalles à aucun acte, à aucune autre affaire; elle ne brise pas l'unité de l'instruction; elle la continue à travers ces moments de relâche; elle ne facilite pas, ou du moins elle ne doit pas faciliter les communications extérieures; elle n'apporte aucun retard au jugement; elle ne fait que lui apporter plus de maturité et de réflexion; elle ne fait que rendre praticable la règle qui veut la continuité des débats, en la conciliant avec le besoin de repos indispensable à toutes les personnes qui assistent à l'audience.

III. Il reste à examiner dans quels cas il y a suspension et à fixer la limite qui, dans la pratique, sépare la suspension de l'interruption.

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La Cour de cassation a posé en thèse générale « que l'article 353 a confié au président le droit de suspendre l'audience, afin de procurer aux juges, aux jurés, aux témoins et aux accusés le repos dont ils peuvent avoir besoin ; qu'en ne fixant pas la durée de ce repos, le législateur s'en est rapporté pour son appréciation à la conscience du magistrat par lui investi du pouvoir de la déterminer; d'où la conséquence que ce que le président a cru devoir juger sur ce point ne saurait donner ouverture à cassation 1.» Elle a d'ailleurs ajouté « qu'il ne lui est point interdit, pour cette fixation, de consulter le vœu des jurés et l'intérêt de la manifestation de la vérité 2. » Mais de là faut-il conclure que le président peut arbitrairement suspendre les séances et les renvoyer à des intervalles éloignés ? Nullement. L'inexécution de la règle est confiée à sa prudence; il lui appartient de mesurer, d'après la longueur de l'affaire et la fatigue présumée des personnes qui assistent à l'audience, les intervalles de repos qui leur sont nécessaires. Mais ce pouvoir d'appréciation n'est, en quelque sorte, discrétionnaire qu'autant qu'il se renferme soigneusement dans ce cercle; s'il tentait d'en sortir, il trouverait un contrôle efficace, et ce qui le prouve, c'est que la Cour de cassation, en rejetant les nombreux pourvois qui lui ont été soumis à ce sujet, n'a jamais manqué de constater dans chaque espèce le temps et le but de la suspension.

Elle a d'abord jugé que la suspension de quelques heures, par exemple, de midi à 3 heures, de 4 heures de relevée à 7 heures du soir, était régulière, lorsqu'il était constaté d'ailleurs que cette suspension n'avait eu lieu que pour le repos nécessaire aux juges et aux jurés 3.

Elle a ensuite naturellement étendu ce droit de suspension du jour au lendemain, lorsque l'affaire embrasse deux ou plusieurs jours. Ainsi plusieurs arrêts déclarent « que, lorsqu'il résulte du procès-verbal que l'audience a été levée à 5 heures 1/2 du soir et renvoyée au lendemain à 10 heures du matin, il est par là suffisamment établi que, conformément

1 Cass. 4 nov. 1836, rapp. M. Vincens-St-Laurent. Bull. n. 363; et conf. cass. 18 janvier 1821, rapp. M. Robert de Saint-Vincent. J. P. t. XVI, p. 319; 1er avril 1830, rapp. M. Ricard. t. XXIII, p. 338; 7 juill. 1847, rapp. M. de Crouseilhes. Bull. n. 154.

Cass. 4 nov. 1836, rapp. M. Vincens-St-Laurent. Bull. n. 363,

3 Cass. 9 sept. 1819, rapp. M. Giraud. J. P. t. XV, p. 528; 16 déc. 1825, rapp. M. Brière. t. XIX, p. 1046.

à l'art. 353, l'interruption n'a eu lieu que pendant l'intervalle nécessaire pour le repos des juges, des jurés, des témoins et des accusés '. »

Elle a enfin autorisé la suspension jusqu'au surlendemain, quand le lendemain est un dimanche ou jour férié. Il a paru que si cette suspension, d'ailleurs toute facultative, avait le danger d'offrir plus de facilité aux communications et aux distractions, elle avait l'avantage de concilier le service avec les habitudes, les idées et les besoins des populations. Il n'y aurait aucune irrégularité si les débats ouverts le samedi étaient continués le dimanche. Il n'y en aurait non plus aucune s'ils avaient été remis au lundi, «attendu que n'ayant pas fixé la durée nécessaire au repos, la loi s'en est rapportée pour l'appréciation de cette nécessité à la prudence du président, et que ni l'accusé ni son défenseur n'ont trouvé d'inconvénient à la remise de la séance à 36 heures 3. » Et, dans une affaire où les débats avaient été suspendus tout un jour à trois reprises différentes, il a été reconnu « que si les débats ont été suspendus les 1er, 7 et 14 d'un mois, le procès-verbal énonce que ces suspensions ont été ordonnées pour le repos et qu'elles n'ont point excédé les limites dans lesquelles le président devait se renfermer, puisque les débats qui ont duré 27 jours étaient de nature à fatiguer ceux qui devaient y prendre part 4. »

Elle a décidé encore, relativement au moment de la suspension : 1° «< que nulle disposition ne prohibe la suspension intermédiaire entre la clôture du débat et la déclaration du jury 5; » 2° « qu'en renvoyant au lendemain la prononciation de l'arrêt de condamnation, à cause de l'heure avancée, le président s'est conformé à l'art. 353 6. »

Mais cette jurisprudence, qui se justifie par les termes indéfinis et par l'esprit de l'art. 353, doit rencontrer peut-être quelque difficulté dans deux hypothèses qui semblent sortir de la prévision de cet article.

1

Cass. 7 août 1845, rapp. M. Mérilhou. Bull. n. 255; et conf. 9 août 1811. J. P. t. IX, p. 545; 4 déc. 1812. X, p. 861; 16 janv. 1812, rapp. M. Vasse. t. X, p. 41; 15 oct. 1812, rapp. M. Bailly. X, p. 748.

Cass. 14 avril 1815, rapp. M. Busschop. J. P., t. XII, p. 678.

Cass. 23 juin 1831, rapp. M. Ollivier. J. P., t. XXXIII. p. 1732.

⚫ Cass. 23 mars 1827, rapp. M. Mangin. J. P. t. XXI, p. 286; 5 avril 1832, rapp. M. Rives. t. XXIV, p. 938.

Cass. 11 avril 1817, rapp. M. Ollivier. J, P., t. XIV, p. 177. • Cass. 16 févr. 1850, rapp. M. Aug. Moreau. Bull. n. 65,

La première est celle où la Cour d'assises procède à quelque acte étranger à l'affaire dans l'intervalle de la suspension. La Cour de cassation a jugé que la Cour d'assises avait pu : 1o recevoir le serment d'un garde, « attendu que la réception de ce serment ne peut être considérée comme une interruption des débats ouverts, car lorsque cette réception a eu lieu, l'examen et les débats suspendus pour le repos n'avaient point encore été recommencés, et les magistrats devant lesquels le serment a été prêté formaient un tribunal civil et non une Cour d'assises ; » 20 ordonner la restitution d'un effet saisi dans une affaire précédemment jugée, « attendu que ce n'est point par suite d'une interruption, mais dans l'intervalle d'une suspension régulièrement prononcée que la Cour, avant de reprendre son audience, a fait, par l'organe de son président, un simple prononcé d'un arrêt sur requête ; qu'un pareil acte ne peut constituer une interruption de l'affaire prohibée par l'art. 353 2. » Il ne pouvait exister aucun doute dans ces deux espèces, puisqu'il avait été procédé à l'acte intermédiaire dans l'intervalle de la suspension et sans en retarder le terme, et puisque d'ailleurs cet acte n'avait pu entraîner l'attention des juges et des jurés en dehors de l'affaire commencée. Mais ces exemples démontrent le vrai sens de la règle et la sévérité qui doit être apportée à son application,

IV. La deuxième hypothèse est celle où la suspension est prononcée pour quelque cause accidentelle autre que le repos des personnes qui prennent part au débat.

La jurisprudence a commencé par déclarer « que l'article 353 n'emporte pas la peine de nullité 3. » De là elle a induit : « qu'il n'exige pas que la cause de la suspension soit énoncée 4; » et enfin qu'il n'établit point de distinction entre les causes morales ou physiques qui peuvent rendre le repos nécessaire 5. Ainsi la suspension peut avoir lieu pour permettre aux jurés de se recueillir après un long débat, aussi bien que pour la réfection de leurs forces physiques.

De là on a été conduit à relever d'autres causes de suspen

1 Cass. 22 nov. 1832, rapp. M. Thil. J. P., t. XXIV, p. 4576.

2 Cass. 19 avril 1849, rapp. M. Legagneur. Bull. n. 87.

3 Cass. 23 mars 1820, rapp. M. Ollivier. J. P., t. XV, p. 877.
Cass. 12 janv. 1843, rapp. M. de Ricard. Bull. n. 3.
Cass. 26 mai 1826, rapp. M. Brière. J. P., t. XX, p. 543.

sion. Un arrêt décide que l'affaire a pu être renvoyée au lendemain pour indisposition subite du défenseur'. Un autre arrêt autorise le même renvoi pour vérifier si l'état de santé d'un accusé permet de continuer l'instruction *. » On a établi enfin en thèse générale « que les débats ouverts peuvent être suspendus à raison de circonstances particulières et imprévues que la Cour d'assises doit apprécier et sur lesquelles elle doit statuer dans sa conscience 3. »

De là enfin il a été induit comme autant de corollaires : 1° que la Cour d'assises, avant de statuer sur la demande en renvoi à une autre session, fondée sur l'absence d'un témoin, peut surseoir jusqu'au lendemain pour donner le temps au témoin d'arriver; 2° que la Cour d'assises peut suspendre les débats pendant un jour pour faire rechercher les pièces de conviction qui n'ont pas été produites à l'audience : « attendu que l'art. 353 n'a rien de limitatif, et que la Cour d'assises qui, pendant l'intervalle jugé par elle indispensable à l'instruction orale de l'affaire, n'a vaqué à aucune autre, n'a pas excédé son droit en interrompant le débat jusqu'à ce qu'il put être utilement repris 5; » 3° que la Cour d'assises peut suspendre pour assurer l'exécution d'une ordonnance du président qui appelle plusieurs témoins : « attendu que le motif allégué justifie la suspension; qu'il n'en est pas d'une simple suspension pendant laquelle il n'a été vaqué à l'expédition d'aucune autre affaire comme du renvoi à une autre session, qui ne peut avoir lieu que dans les cas établis par la loi 6. »

Il faut bien reconnaître qu'ici la jurisprudence s'est écartée des termes de la loi : l'art. 353 veut que « les débats, une fois entamés, soient continués sans interruption; » il déclare que « le président ne pourra les suspendre que pendant les intervalles nécessaires pour le repos des personnes. La jurisprudence, au lieu de se renfermer dans cette prescription, crée un cas nouveau de suspension: elle permet de surseoir, non-seulement pour le repos des personnes, mais pour une

1 Cass. 12 avril 1832, rapp.M. Brière. J. P., t. XXIV, p. 957.

2 Cass. 18 mai 1837. Non imprimé.

3

Cass. 22 mars 1821, rapp. Clausel de Coussergues. J. P., t. XVI,

P. 472.

Cass. 31 août 1844. Non imprimé.

Cass. 16 oct. 1850, rapp. M. Rocher. Bull. n. 301.

⚫ Cass. 27 juin 1833, rapp. M. Isambert. J. P., t. XXV, p. 616.

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