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vérification, un apport de pièces, un appel de témoins. Assurément on ne saurait contester soit à la Cour d'assises, soit au président le droit d'ordonner la production des preuves nécessaires à la constatation de la vérité. Mais ne faut-il pas concilier l'exercice de ce droit avec l'art. 353? La loi, lorsqu'elle formulait pour la Cour d'assises cette règle spéciale de la continuité du débat sans interruption, ne considéraitelle pas qu'en matière de grand criminel l'instruction n'arrive à l'audience qu'après avoir été préparée avec soin et armée de toutes ses preuves; que la défense ne doit avoir à débattre que les charges qu'elle connaît et qui lui ont été communiquées à l'avance, en un mot, que la recherche est close et les éléments de la discussion fixés? Si les incidents du procès manifestent quelques éléments nouveaux, il serait possible, il nous semble, de distinguer si ces éléments, à raison de leur importance et du délai nécessaire à la production, doivent motiver un sursis; ou si, se trouvant pour ainsi dire sous la main, et n'étant que le complément de la preuve déjà faite, ils peuvent être produits, séance tenante, sans préjudice pour la défense. Dans le premier cas, il y a lieu de prononcer, conformément à l'art. 406, le renvoi à la session prochaine ; dans le second, il y a lieu d'appeler à l'audience ces éléments complémentaires, mais à la condition que les débats ne soient pas suspendus pour les attendre, car la loi n'a autorisé leur suspension que pour un seul cas et ce n'est pas celui-là.

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IDe la communication des jurés au dehors.

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II. Manifestation

d'opinions. III. Caractère des communications prohibées. IV. Communications à l'audience. - V. Communications en dehors de l'audience.

I. Les jurés n'exercent qu'accidentellement les fonctions de juge. La loi a donc dû leur rappeler, à chaque fois qu'ils remplissent ces fonctions, les principaux devoirs qu'elles commandent. L'un de ces devoirs est l'abstention qu'ils doivent s'imposer de toute communication extérieure, afin que, libres de toute influence étrangère, ils ne puisent que dans les dé bats les éléments de leur conviction.

Nous avons déjà relaté les textes des art. 312, 343 et 353

qui fondent cette prohibition. Nous avons également établi que si les jurés doivent s'abstenir de communiquer sur les affaires de la session avant qu'ils aient été appelés par le tirage au sort, aussi bien que depuis qu'ils font partie du jury de jugement, ce n'est cependant que depuis la formation de ce jury, dépuis qu'ils ont été acceptés comme juges de l'affaire, que l'infraction à ce devoir prend un caractère grave et peut compromettre le sort de la procédure. La Cour de cassation a jugé dans ce sens « que la prohibition de l'art. 353 et l'injonction analogue faite aux jurés par l'art. 312 ne sont relatives qu'aux communications postérieures à l'ouverture des débats 3. »

A partir de la formation du jury, que l'ouverture des débats, suivant le vœu de l'art. 405, doit suivre immédiatement, la prohibition de toute communication de la part des jurés qni en font partie, constitue une forme de la procédure essentielle au jugement par jurés, et dont l'infraction peut, dans certains cas, si elle introduit dans le jugement un élément pris en dehors de l'instruction, motiver une annulation.

Dans quels cas y a-t-il communication prohibée par la loi? dans quels cas cette communication peut-elle vicier la procédure? Cette question, qui a donné lieu à de nombreux arrêts, quelquefois contradictoires en apparence, parce que les circonstances dans lesquelles les communications se sont produites sont très-diverses, peut être facilement ramenée à des termes simples.

II. Il faut poser une première dístinction entre la manifestation d'opinion et la communication.

La manifestation d'opinion n'est point une communication dans le sens des art. 312 et 353; mais comme elle est, ainsi que la communication, une violation des devoirs du juge 4, qu'elle fait également présumer une influence antérieure et qu'elle place le juré dans la même impossibilité de juger, puisqu'il annonce une opinion arrêtée à l'avance, cette hypothèse a été assimilée au cas de communication qu'elle suppose et la même règle y a été appliquée.

1 Voy. suprà, p. 482 et 483.

2 Voy. supra p. 433.

3 Cass. 13 oct. 1843, rapp. M. Vincens-St-Laurent. Bull, n. 265; 13 févr. 1846, n. 49.

Ord. avril 1667. tit. XXIV, art. 6; Code proc. civ. art. 378, n. 8.

La manifestation ne peut être relevée, comme la communication, que lorsqu'elle est postérieure à la formation du jury: jusque-là, la récusation fournit le moyen légal d'écarter le juré1.

La manifestation ne peut, en second lieu, être relevée que lorsqu'elle implique l'expression d'une opinion déjà formée sur le fait qui est l'objet du procès ou sur l'une des circonstances de ce fait. Il convient d'éclaircir ce point par quelques exemples.

Il n'y a pas manifestation d'opinion de la part du juré 1o qui, après avoir examiné la tête de la victime, dit à haute voix qu'elle appartenait à un sujet de 25 à 35 ans; car ce juré n'exprime pas par là d'opinion sur les conséquences à déduire de ce fait; 2° qui a fait observer, après la déposition d'un témoin, que le fait attesté par ce témoin et contesté par l'accusé, avait été déclaré déjà par un autre témoin; car, «< en provoquant ainsi une nouvelle audition de cet autre témoin, afin d'obtenir des renseignements qu'il croyait utiles à la manifestation de la vérité, ce juré, bien loin d'émettre son opinion sur l'accusation, n'a fait qu'user du droit mentionné en l'art. 3193; » 3° qui aurait dit, dans un débat relatif à un assassinat: « Il est impossible qu'on se trompe sur le point de savoir si les brûlures ont été faites avant ou après la mort; » car << ces mots ne contiennent pas l'expression d'une opinion sur les questions du procès, mais seulement sur un point théorique de la science médicale; » 4° qui a demandé que l'un des accusés fût éloigné d'un de ses coaccusés qui paraissait exercer de l'influence sur lui; car cette demande ne tendait qu'à l'éclaircissement de la vérité,5; » 5o qui a dit, à la suite d'une question adressée à l'accusé, relative à ses vètements, je ferai observer que, lorsqu'on a dit que les billets étaient peut-être cachés dans ses vêtements, l'accusé a pâli; » car, « cette observation, tout irrégulière qu'elle soit, n'implique pas la manifestation d'une opinion sur l'accusation d'incendie pour laquelle l'accusé était renvoyé devant les assises 6; » 6o enfin qui aurait dit, en opposition avec la dé

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«

Voy. suprà p. 433.

Cass. 21 septembre 1839, rapp. M. Vincens-Saint-Laurent. Dall. 40, P, 373.

3 Cass. 5 janv. 1843, rapp. M. Jacquinot. Dall. 43, 1, 133.
Cass. 14 oct. 1847, rapp. M. de Crouseilhes. Dall. 47, 1, 348.
Cass. 6 fév. 1840, rapp. M. Vincens-St-Laurent. Bull. n. 46.
• Cass. 14 juin 1855, rapp. M. V. Foucher. Bull. n. 204.

position d'un témoin « que le trou fait dans une balle n'avait pu être fait par un pique-balle, » car « ces paroles ne comportaient pas par elles-mêmes un caractère nécessaire d'illégalité préjudiciable '. »

Il y a, au contraire, manifestation d'une opinion formée à l'avance dans les espèces suivantes. Un juré interpellé par l'accusé sur le point de savoir s'il n'avait vu tel jour en un lieu indiqué tel individu, avait répondu affirmativement: il a été décidé que cette réponse était à la fois une sorte de témoignage et l'expression d'une opinion sur un point de l'affaire ; en conséquence, la procédure a été annulée. Un juré, au moment où le président faisait remarquer à l'accusé qu'il ne s'était pas servi d'une arme à part, s'était écrié : « cependant il ne l'a pas manqué. » L'annulation a été prononcée « attendu qu'en proférant ces paroles qui furent entendues du ministère public et de la Cour, ce juré avait manifestement exprimé son opinion sur la culpabilité de l'accusé et qu'il ne pouvait plus concourir au jugement 3. »

On voit par ces exemples que, dans l'esprit de la jurisprudence, il ne suffit pas, pour frapper le juré d'incapacité, qu'il ait proféré une exclamation ou même énoncé quelque observation dans le débat. Il faut qu'il ait émis une opinion ou du moins exprimé quelque réflexion révélant une opinion sur un point de l'affaire; et, en effet, le juré qui provoque des éclaircissements ou des renseignements, ne fait qu'user de son droit; il ne s'en écarte que lorsque, au lieu de chercher à s'éclairer, il prétend décider, avant que le moment de la délibération ne soit venu, le sujet du débat ; il laisse présumer alors, en n'attendent pas le terme de la discussion pour former son opinion, qu'il l'a puisée dans des faits extérieurs, et que, par conséquent, il a subi des influences qui gènent son indépendance.

Il faut, en outre, que cette manifestation ait eu lieu assez publiquement pour pouvoir être constatée. On ne saurait prétendre que la Cour d'assises dût procéder à des enquêtes sur des conversations privées et épier pour ainsi dire tous les propos que les jurés peuvent tenir. C'est le scandale d'une opinion exprimée assez haut pour qu'elle ait pu être entendue à l'audience qui frappe le juré d'incapacité; il ne peut plus prendre

1 Cass. 16 avril 1857, rapp. M. Sénéca. Bull. n. 150. Cass. 10 août 1849, rapp. M. Legagneur. Bull. n. 198. Cass. 18 janv. 1855, rapp. M. Rives. Bull. n. 13.

part au jugement d'une affaire qu'il déclare avoir déjà jugée à l'avance. Ainsi, dans une espèce où le défenseur, après la lecture de la déclaration du jury, avait demandé acte de certains propos tenus par un juré à l'audience, la Cour d'assises avait refusé d'en donner acte et même d'interpeller le juré à cet égard, attendu qu'elle n'avait pas entendu les propos; et le pourvoi a été rejeté 1.

III. Ce premier point vidé, nous arrivons à la communication qui fait l'objet explicite des art. 312, 343 et 353.

Il faut poser d'abord quelques règles qui vont fixer de suite le caractère général des communications prohibées par la loi. La première de ces règles est que les communications ne sont illicites, que lorsqu'elles ont pour objet l'affaire même qui est soumise au débat. Cette règle, qui s'explique par ellemême, a été plusieurs fois appliquée. Il était établi dans une espèce, que quelques-uns des jurés avaient établi pendant les débats des colloques avec des personnes assises devant eux. Le pourvoi a été rejeté « attendu que les art. 312 et 353 ne portent point la peine de nullité; que dès lors elle ne peut être prononcée indistinctement pour toute communication des jurés au dehors, mais seulement pour celle qui serait relative aux faits du procès et pourrait par suite exercer sur l'opinion des jurés une influence illégale; que le procès-verbal des débats n'établit point que la communication ait porté sur les faits du procès. » Il était constaté dans une autre espèce qu'une lettre avait été remise à un juré pendant la durée du débat : le pourvoi a été rejeté, « attendu que la remise pendant le cours des débats à l'un des jurés d'une lettre missive étrangère à l'affaire dont les débats se poursuivent, ne constitue pas une communication au dehors que les art. 312 et 353 ont eu pour but de prohiber, et qui ne peut s'entendre que d'une communication relative à l'affaire. » D'autres arrêts répètent la même décision 4.

Une seconde règle est que la communication, même relative à l'affaire, ne rentre dans les termes de la loi que lorsqu'elle est de nature à exercer quelque influence sur l'esprit

1 Cass. 22 mars 1845, rapp. M. Mérilhou. Bull. n. 107. Cass. 12 sept. 1833, rapp. M. Meyronnet-Saint-Marc. J. P., t. XXV, p. 879.

Cass. 19 avril 1844, rapp. M. Dehaussy. Bull. n. 144.

4 Cass. 6 juill. 1854. rapp, M. Jacquinot. Dall. 54, 5, 209.

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