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que

nombre des quatre-vingts déterminé par l'article 15 de la constitution, et qui ne purent l'être que sur la liste des sujets présentés par le premier consul, outre tous ceux qu'il lui plut d'y introduire sans présentation préalable, dès lors les membres du grand-conseil de la Légion-d'Honneur, quel fût leur âge, en firent également partie. Subitement accru de tant de grands personnages, le sénat se renfermera-t-il dans ses primitives attributions? A-t-on oublié qu'il a été créé par Bonaparte, et pour Bonaparte!!! Aussi fatigué que lui des entraves qui l'enchaînaient à la constitution de l'an 8, aussi impatient de s'en délivrer, il les brise avec un éclat scandaleux. Les sénateurs, qu'elle frappait d'une inéligibilité, garantie de leur indépendance, ne rougissent pas de se mettre à la disposition du distributeur de tous les emplois, de toutes les grâces, ont l'impudeur de déclarer qu'ils pourront être consuls, ministres, membres de la Légion-d'Honneur, inspecteurs de l'instruction publique, et employés dans des missions extraordinaires et temporaires'.

Ils font plus, ils ont l'insolence de se mettre à

· Art. 64: Les sénateurs pourront être consuls, mi»nistres, membres de la Légion-d'Honneur, inspecteurs » de l'instruction publique, et employés dans des missions » extraordinaires et temporaires. »

la place du peuple français lui-même. Ils s'attribuent le droit de donner des constitutions à nos colonies;

D'ajouter et suppléer aux articles constitutionnels qu'il leur plairait interpréter;

De suspendre, pourcinq ans, les fonctions des jurés dans les départements où ils jugeront cette mesure nécessaire;

De déclarer, quand les circonstances l'exigent, des départements hors de la constitution;

De faire poursuivre, au lieu de venger, les individus retenus en arrestation contre le vœu de l'article 46 de la constitution;

D'enlever aux citoyens jusqu'à l'égide sacrée de la justice, en anéantissant ses jugements les plus solennels, dernier espoir de l'innocence persécutée;

De dissoudre le corps législatif et le tribunat, dont la réduction à cinquante membres est de ce moment prononcée ';

De nommer les consuls.

⚫ Titre 5. Du sénat. -Art. 54: « Le sénat règle par

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» un sénatus-consulte organique :

>> 1°. La constitution des colonies;

» 2° Tout ce qui n'a pas été prévu par la constitution, et qui est nécessaire à sa marche;

» 3° Il explique les articles de la constitution qui don» nent lieu à différentes interprétations.

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Si le tribunat ne fut pas dès lors tout-à-fait primé, c'est que du sein des cinquante qui restèrent devait s'élever une voix qui, politiquement muette jusqu'alors, n'eût jamais aussi hardiment éclaté, si le tribunat eût resté complet. Oui, j'en atteste Curée lui-même, Curée qui, au comble de l'indignation au 18 brumaire, disait à ses collègues que la foudre aurait dû en écraser les auteurs : devenu tribun, il n'eût pas osé s'élancer à la tribune pour demander un maître.

Toutes les exorbitantes attributions du sénat étaient d'autant plus effrayantes, qu'elles n'étaient au fond qu'une arme dans les mains du despote. Après l'avoir rempli de ses créatures, les sénatus

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Art. 55: « Le sénat, par les actes intitulés sénatus-consultes,

» 1° Suspend, pour cinq ans, les fonctions de jurés dans les départements où cette mesure est nécessaire;

2o Déclare, quand les circonstances l'exigent, des dé»partements hors de la constitution;

»3° Détermine le temps dans lequel des individus ar»rêtés en vertu de l'article 46 de la constitution doivent >> être traduits devant les tribunaux, lorsqu'ils ne l'ont pas » été dans les dix jours de leur arrestation ;

» 4° Annulle les jugements des tribunaux lorsqu'ils sont

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> attentatoires à la sûreté de l'état ;

5° Dissout le corps législatif et le tribunat;

» 6° Nomme les consuls. »

consultes ne devaient être délibérés que pour leur imprimer une couleur législative, que pour sanctionner toutes les mesures qu'il plairait au premier consul de prendre, toutes celles qui seraient favorables à son ambition. Les projets en étaient préalablement discutés, non en plein conseil d'état, où se trouvaient encore des hommes disposés à défendre la cause sacrée de la liberté, mais dans un conseil privé, dont le premier consul désignait à chaque tenue les membres'.

Le conseil privé (vraie anomalie dans le conseil d'état), dont déjà étaient sortis tant d'odieux sénatus-consultes, n'avait eu jusqu'alors qu'une existence soupçonnée et précaire, n'était reconnu par aucune loi avant cette époque. La destination de ses séances occultes étant du moins ostensi

1 Art. 50. « Les sénatus-consultes organiques et les séna>>tus-consultes sont délibérés par le sénat, sur l'initiative » du gouvernement. Une simple majorité suffit pour les >> sénatus - consultes; il faut les deux tiers des voix des » membres présents pour un sénatus-consulte organique. » Art. 57. Les projets de sénatus-consulte, pris en conséquence des articles 54 et 55, sont discutés dans un » conseil privé, composé des consuls, de deux ministres, » de deux sénateurs, de deux conseillers d'état, et de deux » grands officiers de la Légion-d'Honneur.

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blement annoncée par ce sénatus-consulte, le conseil d'état proprement dit, uniquement livré aux travaux législatifs et administratifs qui l'ont honoré, cessa de partager l'indignation que méritaient seuls ces conseillers intimes, plus courtisans encore qu'hommes d'état, dont la complaisance coupable n'a pas mieux servi Bonaparte que la nation; et l'on cessa d'être dupe de la formule aussi fausse qu'abusive: Le conseil d'état entendu.

Les tribunaux eurent leur part à la prévoyance du premier consul. Entre autres dispositions nouvelles dont ils furent gratifiés, il fut créé un grandjuge ministre de la justice, à qui fut attribué le droit de présider les tribunaux d'appel et de cassation quand le gouvernement le jugerait convenable, pour s'assurer plus solennellement sans doute de leur impartialité; et une censure graduelle fut établie sur les tribunaux et les commissaires sié

» Le premier consul désigne, à chaque tenue, les membres qui doivent composer le conseil privé. »

A chaque tenue !... Combien était formidable un conseil privé de cette espèce, formé au moment et d'après les principes dont on avait besoin; dissous aussitôt qu'un sénatus-consulte d'une autre nature demandait d'autres conseillers; un conseil secret dont les membres que daignait appeler le despote ne savaient eux-mêmes en devoir faire partie qu'au moment où on les rassemblait.

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