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26 brumaire de porter le trouble dans la république, déclare qu'il n'est plus besoin, pour y maintenir la tranquillité, que de les soumettre à une stricte surveillance.

En conséquence, « les consuls de la république, après avoir entendu le ministre de la »justice, tant sur la promulgation du décret du » 18 et de la loi du 19 brumaire, que sur les » mesures de sûreté déterminées par l'arrêté » du 26 brumaire, arrêtent :

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Que les individus qui, en conformité de »l'art. 1o, étaient tenus de sortir du territoire » continental de la république, et ceux qui devaient se rendre dans le département de la Cha» rente-Inférieure, sont mis sous la surveillance du » ministre de la police générale... Qu'ils se retire»ront respectivement dans les communes qui leur » seront désignées par ce ministre; ils y demeu»reront jusqu'à ce qu'il en soit autrement or» donné.

>> Il leur est, en conséquence, enjoint de se pré» senter à l'administration municipale, aux épo»ques que le ministre de la police aura soin de » déterminer. »

Cette mesure, pour être moins atroce, n'était pas moins illégale. Les triumvirs n'avaient pas plus le droit d'exiler, de soumettre à une surveil

lance indéfinie, que de déporter sans jugement.

Et ne croyez pas qu'en faisant ce pas rétrograde, Sieyes et Bonaparte renoncent à leur première résolution!... Ils attendront seulement qu'une circonstance moins intempestive leur fournisse un prétexte moins révoltant pour débarrasser la police générale de la surveillance qui lui était imposée, et dont elle s'acquittait si bien.

$ 6.

Lorsqu'on ne parlait que de déportations faites, de celles qu'on se proposait de faire, le ministre de la police Fouché, qui était un homme moral, comme tout le monde sait, fit un beau jour enlever les filles publiques au PalaisRoyal, et dans les autres lieux où elles tenaient leurs assises. Comme cet enlèvement se fit à l'époque où Bonaparte avait donné l'ordre au ministre de l'intérieur d'engager une troupe de comédiens pour l'armée d'Orient, on imagina qu'il pouvait avoir l'attention d'y ajouter une pacotille du Palais-Royal. Le bruit courut que ces malheureuses allaient être déportées en Égypte.

Le Moniteur, qui avait parlé comme d'une mesure ordinaire de la déportation des députés éliminés, s'empressa de démentir celle des filles publiques, comme étant un bruit injurieux à

l'autorité. C'est une accusation de tyrannie dont le consul Bonaparte (particulièrement) s'est cru très offensé, dit le journaliste, indigné qu'on pût supposer le chef du consulat provisoire capable de traiter des filles de mauvaise vie avec aussi peu de ménagement que des députés éliminés !!!

« Le magistrat, continue le Moniteur, peut » vouloir mettre obstacle au débordement des » mœurs, mais non violer les lois pour sévir sans » mesure contre des fautes qui blessent les mœurs; » et la république n'a point à craindre que, pour » faire cesser ce désordre, qui n'est ni nouveau »ni absolument destructif de la société, les consuls » aillent offenser la liberté publique et menacer la » sûreté générale. »

Ainsi, lorsque, sous le régime consulaire, les plus honnêtes citoyens doivent trembler, voilà donc du moins les filles publiques rassurées contre la déportation!!!

Effectivement, Fouché, qui n'avait d'autre objet que de régulariser et non d'entraver le commerce des filles de mauvaise vie, n'avait fait faire cet enlèvement simultané que pour les obliger à prendre des patentes. Ce ministre, qui avait autant que son maître horreur de l'anarchie, voulut que l'ordre régnât dans le désordre même,

organisa la prostitution, comme il organisa les jeux, comme il organisa l'espionnage.

Avant le 18 brumaire, il y avait bien des filles publiques, mais la police n'était pas intéressée à leur galant commerce. Elles ne pouvaient paraître en public qu'avec une certaine précaution; qu'en se couvrant du voile trompeur d'une décence factice qui les décelait, sans blesser la pudeur, sans faire rougir les femmes honnêtes. Les galeries du Palais-Royal leur étaient ouvertes; mais, dans ce bazar même de la corruption, elles n'auraient osé se faire remarquer par l'étalage scandaleux de leurs charmes. Enfin leur état était précaire; elles n'étaient pas patentées filles soumises; elles n'avaient pas une médaille à présenter pour rassurer le timide amateur !...

§ 7.

Quoique le directoire eût, au 30 prairial, fermé les maisons de jeux, s'il s'en trouvait encore quelques unes à l'époque du 18 brumaire, le privilége de ruiner ses concitoyens, de mettre le désordre et le désespoir dans les familles, ne formait point une branche des revenus publics; le gouvernement n'était point le complice salarié de tous les crimes qui en sont les suites malheureuses; il n'en retirait pas des millions!...

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La police avait ses agents, mais elle ne violait pas l'asile des citoyens, elle n'en remplissait pas leurs maisons; elle prévenait et poursuivait le crime, mais elle ne cherchait pas à augmenter le nombre des criminels, en faisant assiéger la misère, le malheur, le mécontentement et le désespoir par une armée d'agents provocateurs. Si les sources de corruption existaient, ce n'est que lorsque Fouché en a agrandi les canaux qu'il en est sorti des torrents qui ont inondé la république'.

I

Chaque phase de la révolution eut ses victimes. La révolution du 18 brumaire ne fut pas celle qui en fit le moins; toutes s'adressèrent à Fouché, et lui demandèrent du pain. Trop corrompu pour ne pas leur faire acheter ses bienfaits, ce fut en les dégradant qu'il fournit à la plupart les moyens de vivre. Il n'accueillit le patriotisme que pour avoir des espions auprès des patriotes; l'aristocratie, que pour mieux connaître les projets des aristocrates; que pour tromper les uns et les autres par cette double manoeuvre. C'est à force d'intrigues et d'impudence qu'il surprit la confiance de tous les gouvernements qui l'employèrent successivement, et qui ont eu également lieu de s'en repentir.

Un tour de force de sa part donna au gouvernement impérial lui-même une grande idée de son adresse. Bonaparte, qui n'ignorait pas que rien ne fait mieux con

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