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$ 24.

Ce qui perdit tout au 18 brumaire, ce fut cet enthousiasme délirant qui fermente encore dans beaucoup de têtes, cette influence magique que le nom seul de Bonaparte exerçait sur toutes les imaginations, et qui a exalté celle de Garat lui-même.

On ne peut encore aujourd'hui, sans une admiration mêlée de douleur, lire ces pages brûlantes de patriotisme sur une époque si fatale à la patrie! Et qu'on ne croie pas qu'elles aient été inspirées à l'éloquent orateur par des sentiments indignes de son cœur, comme de son esprit. Ce n'est point l'encens empoisonné de la flatterie qu'il vient brûler aux pieds de l'idole : pénétré de la situation épouvantable où le 18 brumaire avait plongé la république, Garat veut, par tous les efforts de son génie, prévenir les maux qu'il redoute. Il peint en trait de flammes la conduite que tiendrait un héros, un citoyen vraiment digne des pouvoirs confiés à Bonaparte, et lui dit : Voilà celle qu'il est impossible que tu ne tiennes pas toi-même! »>

Que n'a-t-il été ce que tu voulais qu'il fût, ô mon illustre ami!... Mais Bonaparte ne t'a point entendu, n'était pas fait pour t'entendre...

Au moment où, pour rassurer le peuple fran

çais, tu nous flattes que sa gloire, en même temps qu'elle sera un puissant ressort de plus dans l'action du gouvernement, sera une limite et une barrière devant le pouvoir exécutif, vois cette figure de bronze, que rien n'émeut.

Vois son ris sardonique alors que tu ajoutes que cette barrière sera d'autant plus sûre, qu'elle ne sera pas dans une charte, mais dans le cœur et dans les passions d'un grand homme; que d'autres peuvent ambitionner d'avoir toujours plus d'autorité sur un peuple; que Bonaparte ne peut avoir d'autre ambition que celle de devenir toujours plus grand au milieu de tous les peuples et de tous les siècles!

Que tu connais peu la grandeur à laquelle Bonaparte aspire! Sans doute il serait le plus grand des hommes, s'il ne recélait dans son cœur que la noble ambition de consolider les destinées d'un peuple libre; de ne commander aux nations que l'admiration et le respect: mais c'est à les enchaîner qu'il est résolu de prostituer toute sa gloire. En lui révélant toute sa force, tu ne lui inspires que l'empressement d'en abuser.

Ce sénat lui-même, le seul principe de conservation qu'offre l'organisation nouvelle, sera par lui scandaleusement désorganisé. Ce premier corps de l'état, qui doit arrêter tous les efforts

d'un pouvoir effréné; que tu nous présentes comme une digue insurmontable, pour contenir dans le lit constitutionnel le torrent de toutes les révolutions ambitieuses, va lui-même devenir le foyer de toutes les intrigues, de toutes les ambitions. Destiné à tout conserver, il servira à tout détruire!

§ 25.

Enivré des résultats inespérés de sa campagne de Saint-Cloud, Bonaparte s'empresse aussitôt de les annoncer à l'étranger. Sachant que, d'après nos victoires, nous avions l'espoir d'une paix prochaine, il ne se vit pas plus tôt placé à la tête du gouvernement français, qu'il écrivit au roi d'Angleterre pour en presser la conclusion. La réponse du gouvernement anglais fut telle qu'elle devait être; lui fit sentir que ce n'était pas avec le chef d'un gouvernement qui n'avait pas encore reçu la sanction du peuple, et n'était premier consul de la république que par la force des baïonnettes, qu'un roi tel que celui de la Grande-Bretagne pouvait parler de paix et faire des traités.

Cette leçon ne put arrêter sa hardiesse. Bonaparte, qui cherchait tous les moyens de se créer des titres dont sa folle ambition pût se prévaloir,

osa faire des propositions à Louis XVIII!... Cette démarche, qui n'a pas de nom, annonce un défaut de jugement qui étonne. Croyait-il donc qu'une couronne était un effet de commerce, qui pouvait se vendre et pouvait s'acheter? Sa lettre, plus qu'irréfléchie, était l'acte insensé d'un usurpateur; la réponse de Louis XVIII fut celle d'un roi. Bonaparte reconnaît lui-même, dans ses Mémoires, l'impertinence des propositions que révèle cette réponse. Il s'en défend; mais à qui persuadera-t-il qu'elle a été faite à des propositions supposées ?

GOUVERNEMENT CONSULAIRE.

On ne connaît bien les avantages d'une constitution que lorsqu'on l'a perdue, et les défauts de celle qui la remplace que par l'abus qu'en fait le pouvoir chargé de son exécution. A entendre les auteurs de celle de l'an 8, c'était dans la force du gouvernement consulaire que se trouvait la garantie de la liberté publique, et c'est par la puissance colossale attribuée à Bonaparte que la France s'est trouvée asservie.

Cette époque était encore celle de l'ambition craintive qui ne peut se cacher et qui n'ose se montrer trop à découvert, qui épie l'instant où elle pourra se déclarer. Le masque dont se cou

vraient les conspirateurs tenait encore à un fil. Les faux républicains n'avaient pas absolument et publiquement abjuré le titre qui fatiguait leur conscience. Mais bientôt la révolution va prendre une marche plus rapide, et la France ne tardera pas à reconnaître le but où ses auteurs se proposent d'arriver.

Il était important pour Bonaparte qu'il ne donnât pas le temps aux Français de réfléchir sur les destinées qu'il leur préparait. Après leur avoir donné une constitution nouvelle, il fallait, pour assurer sa marche, qu'il s'empressât de créer des institutions, non seulement en harmonie avec le nouvel acte constitutionnel, mais analogue aux changements qu'il se réservait déjà de lui faire subir.

Bonaparte, ne cesse-t-on de nous dire, fut un grand administrateur. Qu'a-t-il fait pour mériter ce titre? Il a concentré l'exécution du pouvoir, il a proscrit le régime administratif, il a détruit toutes les administrations!...

Des magistrats à la nomination du peuple, auprès desquels étaient placés des commissaires du gouvernement, offraient à un pouvoir exécutif, jaloux uniquement de faire régner la loi, tous les moyens dont il avait besoin pour la faire exécuter, et les froissements mêmes qui, dans

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