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vait le tenir ignoré, pour que l'ennemi ne connût pas des combinaisons qui pouvaient être reprises plus tard.

Le plan du général Trochu lui avait été suggéré, a-t-il dit, par le général Ducrot; il eût consisté à jeter inopinément l'armée de Paris, convenablement préparée, sur la rive droite de la basse Seine, où les Prussiens, se fiant à la protection du fleuve, étaient relativement moins nombreux et moins forts que sur le reste du périmètre, et à la porter sur Rouen, qui fût devenu son centre d'approvisionnement, avec le Havre et la mer pour base d'opération. Le général Bourbaki, qui formait une armée dans le Nord, aurait appuyé la droite de ce mouvement, et un détachement de l'armée de la Loire, plus ou moins considérable, suivant ce qu'on aurait pu faire, serait venu au devant pour le seconder. A ces combinaisons, le général avait joint d'autre part l'idée de ravitailler Paris au moyen d'une flottille qui, préparée secrètement, aurait franchi la ligne d'investissement au moment où cette ligne aurait été rompue.

Le général Trochu avait chargé M. Ranc, sorti de Paris en ballon peu de temps après M. Gambetta, de faire connaître ses intentions à ce dernier ainsi qu'à l'amiral Fourichon. Mais l'amiral Fourichon n'était plus ministre, et M. Gambetta, qui avait d'autres idées, ne tenant aucun compte de la communication, ne s'occupa que de suivre ses propres combinaisons. Il ne paraît pas même avoir informé le général Trochu de ce qu'il devait faire de son côté. On peut se rappeler l'étonnement qui saisit l'Assemblée, et après elle l'opinion publique, lorsque cette absence d'entente entre Tours et Paris fut révélée à la tribune. Cette faute, à peine concevable, fera peser, en effet, une lourde responsabilité sur ceux à qui elle pourra être imputée.

C'était au moment où se livrait la bataille de Coulmiers que le général Trochu, qui semble avoír ignoré complétement ce qui se passait sur la Loire, mettait la dernière main à ses préparatifs; des redoutes établies dans la plaine de Gennevilliers et munies d'une puissante artillerie, étaient prêtes à balayer l'espace par lequel l'armée devait s'élancer pour franchir la Seine sur huit ponts de bateaux disposés de manière à être jetés en quelques heures entre Chatou et Argenteuil. D'un autre côté, M. l'ingénieur Cẻzanne, parti de Paris en ballon le 29 octobre, avait reçu la mission de préparer le ravitaillement et avait été chargé de porter à Tours des instructions pour la conduite à tenir en attendant la sortie de Paris. Enfin, le 10 novembre, c'est-à-dire le lendemain de la bataille de Coulmiers, le général Trochu, ne sachant encore rien des opérations de la province, mandait à M. Gam

betta qu'il serait prêt à agir sur la basse Seine du 15 au 18, réclamant pour ce moment le concours du général Bourbaki et de l'armée de la Loire, si c'était possible.

Ce fut au moment même où le général Trochu n'avait plus qu'à formuler ses ordres d'exécution que, le 14 novembre, la nouvelle de la victoire de Coulmiers parvenant dans Paris et y faisant éclater comme dans toute la France le plus vif enthousiasme, lui apprit à lui que toutes ses combinaisons se trouvaient absolument détruites. En vain était-il porté à croire que cette victoire ne pouvait pas avoir l'importance qu'on lui supposait, il comprit que l'occupation d'Orléans par l'armée de la Loire excluait la pensée d'aller à Rouen, et présumait l'abandon préconçu de toute coopération à son plan. Il se résigna, en conséquence, à subir l'impulsion de l'opinion publique qui, se faisant l'écho de M. Gambetta, le sommait violemment de marcher coûte que coûte au devant de l'armée libératrice, et acceptant avec douleur le renversement d'un plan longuement préparé, il dut, non sans de nouvelles et grandes difficultés, reporter tous ses efforts sur un point diamétralement opposé pour rendre possibles les combats qui furent livrés quinze jours plus tard sur la Marne. On le sait, ces combats glorieux pour nos armes restèrent sans résultat, et on verra comment ils eurent pour effet à leur tour de précipiter les batailles d'Orléans, dont ils contribuèrent ainsi à déterminer l'issue malheureuse.

Les faits tels que les a présentés le général Trochu feraient peser une grande responsabilité sur le ministre et ses conseillers, car ce serait à eux qu'il faudrait imputer le défaut d'entente entre la province et Paris mais plus cette responsabilité nous a paru grave pour eux, plus nous devions mettre de soin à recueillir les raisons par lesquelles ils ont prétendu se justifier du reproche qu'ils ont encouru.

M. Gambetta n'a pas cru devoir s'expliquer sur cette question; mais M. de Freycinet l'a fait d'une façon très-explicite dans son livre comme dans sa déposition, et l'on peut considérer son témoignage comme suppléant suffisamment à celui du ministre.

M. de Freycinet donc, répondant aux dires du général Trochu, reconnaît, page 77 de son livre, que le plan auquel le gouverneur de Paris « a semblé attribuer une certaine importance » n'a jamais été dans la délégation l'objet d'une véritable discussion, et qu'à sa connaissance il n'en a été question au ministère que le 16 ou 17 octobre, dans un entretien fortuit auquel assistait le général Bourbaki. Il raconte qu'alors, M. Gambetta ayant fait connaître l'intention manifestée par le général Trochu de se porter sur la basse

SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1872

Seine, il aurait, lui, M. de Freycinet, développé, avec l'approbation de tous ses interlocuteurs, les raisons qui, à ses yeux, faisaient que l'armée de la Loire n'aurait pu concourir à l'opération indiquée sans une grande imprudence; il aurait objecté, notamment, que la jeunesse et l'organisation encore incomplète de nos troupes ne permettaient pas de risquer, dans le voisinage de l'ennemi, une marche de flanc aussi longue que celle de Blois à Rouen.

Selon lui, du reste, le général Trochu ne semblait pas avoir lui-même des idées très-arrêtées sur sa combinaison, puisque dans une dépêche en date du 19 octobre il demandait qu'on lui fit connaître ce que le général Bourbaki en pensait, et à ce sujet il rappelle que dans une lettre adressée le 25 octobre à l'amiral Fourichon, le général Bourbaki avait exposé les motifs pour lesquels le plan du général Trochu lui paraissait impraticable.

Dans sa déposition, M. de Freycinet, maintenant les mêmes appréciations, insiste particulièrement sur ce que la délégation n'a jamais eu la pensée de coopérer au mouvement de Rouen, qui lui semblait « critiquable» sous tous les rapports, et que d'ailleurs, n'ayant jamais reçu de Paris l'indication d'une époque d'exécution déterminée, elle n'avait pu considérer les ouvertures du général Trochu à ce sujet que comme l'énonciation d'une intention conditionnelle, mais non d'un plan arrêté.

Sur la question de savoir si le Gouvernement de Tours a tenu celui de Paris au courant de ses résolutions militaires, M. de Freycinet, tout en faisant remarquer que les correspondances, qui s'échangeaient entre les deux gouvernements ne lui étaient pas communiquées,, certifie avoir entendu M. Gambetta. affirmer qu'il avait répondu au général Trochu.

Nous devons mentionner ici que les appréciations peu favorables émises par le général Trochu sur l'armée de la Loire et sur ses opérations, ont provoqué de la part du général d'Aurelle une réplique assez vive et qu'à cette occasion il a fortement critiqué le plan de campagne de la basse Seine; mais ce qu'il attaque spécialement, c'est le projet de ravitaillement, en démontrant qu'il eût été matériellement impraticable, et ce n'est pas le point que nous avons à examiner ici.

Nous avons exposé avec un soin également
scrupuleux les dires du général Trochu et ceux
de M. de Freycinet; nous allons examiner mainte-
nant dans quelle mesure les uns et les autres se
trouvent d'accord ou en opposition avec les do-
cuments qui ont été recueillis par la commis-
sion.

M. de Freycinet, discutant le plan du général
Trochu, paraît supposer (page 77 de son livre)

que ce plan eût exigé qu'on transportat les meilleures troupes de l'armée de la Loire sur la rive droite de la Seine pour leur faire ensuite remonter le fleuve vers Paris. On pourrait croire, si on s'en tenait à ces termes, que le général Trochu demandait que l'armée de la Loire vint prendre l'offensive contre l'armée d'investissement pour débloquer Paris; il n'en est rien; le général, en effet, n'a jamais cessé d'insister, et notamment dans les instructions emportées par M. Cézanne (1), pour que les armées en formation ne se risquassent pas en rase campagne. Quant à l'opération de la basse Seine, il demandait seulement qu'au jour voulu on vint à son aide, si c'était possible, soit avec l'armée de la Loire, soit avec celle du Nord. Il allait même jusqu'à dire dans sa dépêche du 10 novembre que, si on ne pouvait pas absolument l'assister, il agirait seul, quel qu'en fût le péril.

Il est vrai que, dans cette dépêche du 10 novembre, le général disait que l'armée de secours devrait s'acheminer par la rive droite de la Seine, ce qui était tout naturel, puisque la sortie annoncée devait s'effectuer par cette rive; mais en induire qu'il demandait à cette armée de remonter vers Paris, c'était fausser, ce nous semble, la pensée même du plan.

De ce que le général Trochu demandait que le général Bourbaki "fût consulté, M. de Freycinet conclut que ses idées n'étaient pas arrêtées, et qu'on était autorisé à voir dans ses propositions une intention conditionnelle plutôt qu'une résolution prise. Cette conclusion est évidemment forcée; mais il serait difficile à M. Gambetta de soutenir le même thème, ou bien il faudrait supposer que M. Ranc n'avait pas rempli près de lui la mission dont le général Trochu l'avait chargé, et ceci nous conduit à rapporter la controverse qui s'est produite à cet égard.

Interrogé devant la commission sur les indications qu'il avait dû porter à Tours, au sujet de la sortie projetée de l'armée à Paris, M. Ranc ne se les est rappelées que sous une forme assez vague (2). Aux termes de sa déposition, il se préparait à sortir de Paris en ballon, le 14 octobre, pour aller rejoindre M. Gambetta, qui le lui avait

(1) Voir ces instructions aux pièces justificatives; on y trouve entre autres les passages suivants : « Nos armées de nouvelle formation ne peuvent aborder l'ennemi sans risquer beaucoup, et il est du plus haut intérêt de leur créer pour ainsi dire à l'avance des champs de bataille où l'armée prussienne rencontrerait le plus d'obstacles possible, en même temps que la nôtre y trouverait des points d'appui.... » Suit l'indication des travanx à faire exécuter pour obtenir ce résultat, c'est-à-dire en définitive, pour organiser une guerre absolument défensive.

(2) Voir la déposition de M. Ranc.

demandé, lorsque le général Trochu, ayant eu connaissance de son projet, l'avait fait venir chez lui pour le charger d'une communication verbale destinée tant à l'amiral Fourichon qu'à M. Gambetta, car on ne savait pas encore que ce dernier était ministre la guerre.

Le gouverneur de Paris lui aurait dit, assuret-il, « non ce qu'il ferait, mais seulement qu'il désirait que l'armée de province fût portée du côté du Havre et marchât sur Paris en remontant la Seine. » Cette version semblerait justifier les appréciations de M. de Freycinet que nous avons exposées plus haut, mais, au fond, elle est absolument contredite par le fait que le délégué du ministre rapporte dans son livre lorsqu'il dit que c'est M. Gambetta qui, le 16 ou le 17 octobre, c'est-à-dire le lendemain ou le surlendemain de l'arrivée de M. Ranc, a indiqué aux différentes personnes réunies dans son cabinet, le projet qu'avait le général Trochu d'agir sur la basse Seine. Or, comme à ce moment M. Gambetta n'avait pu connaître les intentions du général Trochu que par M. Ranc, il semble évident que ce dernier avait dû être plus explicite avec lui qu'il ne l'a été devant la commission.

Il y a du reste un document que l'on trouvera aux pièces justificatives, et qui semble lever tous les doutes à cet égard, c'est une lettre adressée au président de la commission d'enquête par M. Brunet, capitaine d'état-major, un des deux aides de camp du gouverneur de Paris qui ont assisté à son entretien avec M. Ranc. Cet officier, ayant eu connaissance, par la déposition du général Trochu, des dires de M. Ranc, a voulu leur opposer sa propre déclaration, et voici dans quels termes il raconte ce qui s'est passé dans l'entretien dont il s'agit, en certifiant qu'il se le rappelle dans les moindres détails :

« Dès que M. Ranc se fut assis, dit-il, le gouverneur lui expliqua que, dans un secret qui était absolu et au sujet duquel aucune communication écrite ne pouvait être échangée, tout se préparait à Paris pour une opération extérieure vers la basse Seine, avec Rouen et la mer (le Havre) pour objectifs. Il lui fit connaître sommairement les raisons de cette résolution, son mode d'exécution et les résultats qu'on pouvait attendre de l'entreprise. Il termina ainsi : « Vous comprenez sans peine le haut intérêt que je dois attacher à ce que ce mouvement par la vallée de la Seine soit appuyé par un déploiement de forces sur la rive gauche, vers la partie moyenne du cours du fleuve (entre Rouen et les Andelys). Mais ne sachant rien des projets que la délégation de Tours a pu arrêter et dont elle a peutêtre commencé l'exécution, je ne voudrais pas me jeter à travers ses combinaisons et ses préparatifs. Je me borne à exprimer qu'il est abso

lument indispensable qu'à défaut de toutes les forces disponibles, un gros détachement de troupes soit immédiatement acheminé vers la direction indiquée.

« Et ce fut tout... » (1)

Après ce témoignage si précis, il faut bien reconnaître que c'est en parfaite connaissance de cause que M. Gambetta s'est affranchi, dans ses combinaisons, de tenir compte de celles du général Trochu, et que c'est de propos délibéré qu'il a voulu agir seul de son côté, sans se préoccuper de ce que Paris ferait ou ne ferait pas. M. Gambetta n'a pas même pu mettre en doute un instant l'intention où était le général de persévérer dans l'exécution de son plan, car à la date du 25 octobre, celui-ci lui adressait encore une dépêche dans laquelle il disait qu'il tâtait les lignes prussiennes en attendant qu'il pût les forcer, et qu'il allait s'entendre à cet égard avec le général Bourbaki. Enfin, c'était le 29 octobre que M. Cézanne était sorti de Paris, et les instructions qui lui avaient été données pour préparer le ravitaillement prouvaient clairement la résolution bien arrêtée de mettre à exécution le plan annoncé.

M. de Freycinet a cru pouvoir affirmer que M. Gambetta avait tenu le général Trochu au courant de ses résolutions; mais ce souvenir ne semble pas s'accorder avec les faits, car la dépêche que le gouverneur de Paris adressait à Tours le 10 novembre, c'est-à-dire le lendemain de la bataille de Coulmiers, pour annoncer l'exécution de sa sortie à bref délai, prouve évidemment qu'il ignorait encore à cette date ce qui se faisait ou se préparait sur la Loire. Pour corroborer son assertion, M. de Freycinet assure qu'une dépêche ultérieure du général Trochu a fait connaître qu'il avait été informé des projets de M. Gambetta; mais il faudrait savoir exactement la date et l'objet de cette dépêche; car elle ne saurait être antérieure à celle du 10 novembre qui en serait la négation, et si elle lui est postérieure elle devient sans valeur dans la question qui nous occupe, et qui porte uniquement sur les faits antérieurs à Coulmiers.

M. de Freycinet, page 82 de son livre, appelle l'attention de ses lecteurs sur une dépêche du gouvernement en date du 25 octobre dans laquelle M. J. Favre prévient la délégation de Tours que Paris sera prêt à agir dans 15 jours, et qu'alors il faudra que 120,000 hommes des

(1) M. Brunet dit encore : « Si M. Ranc déclarait ne pas avoir souvenir de ces paroles du gouverneur, je lui demanderais alors ce que le gouverneur lui a dit; car enfin il devait avoir un but en faisant appeler dans son cabinet M. Ranc partant pour Tours. Or j'affirme qu'il lui a dit ce que je viens de rapporter, et rien de plus. »

SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1872

meilleures troupes de la province se trouvent au
point convenu. Le délégué de M. Gambetta cite
cette dépêche pour prouver que, contrairement
à ce que le général Trochu a dit, la pensée de
Paris était bien d'appeler la province à lui, et
qu'ainsi se trouvait justifiée l'impatience avec
laquelle le ministère avait excité le général
d'Aurelle à marcher en avant. Mais M. de Freycinet
semble oublier que le point convenu dont par-
lait M. Jules Favre, initié au plan du général
Trochu, était la basse Seine, tandis que c'était du
côté opposé à celui où le secours était demandé
et attendu, qu'on persista à diriger un effort qui
devait nécessairement rester isolé, et qui, lais-
sant d'autre part sans appui, celui que Paris se
préparait à faire ailleurs, en rendait en quelque
sorte le succès impossible.

Enfin, comme dernière justification, M. de Freycinet croit pouvoir abriter ses appréciations derrière celles du général Bourbaki, lequel aurait exprimé devant lui une opinion très-défavorable à l'opération conçue par le général Trochu, et qui, notamment, dans une lettre adressée à l'amiral Fourichon, à la date du 25 octobre, aurait explique pourquoi il considérait le plan proposé comme impraticable.

La lettre invoquée par M. de Freycinet existe en effet et se trouve reproduite par le général Bourbaki, comme pièce justificative à la suite de sa déposition; mais le général n'y discute pas, à proprement parler, le plan du général Trochu; il examine seulement dans quelles conditions l'armée de la Loire pourrait être transportée à Rouen, et même, sur ce point, ne prononce en aucune façon le mot « impraticable ».

Il fait ressortir, il est vrai, les difficultés et les dangers que l'opération présentait à ses yeux, et ne paraît pas croire que l'armée de la Loire pût réunir encore les conditions d'organisation, de discipline et d'approvisionnement qui eussent été nécessaires pour l'accomplir; mais à cet égard même, se défiant de ses impressions personnelles, il demande que l'on consulte les généraux divisionnaires qui doivent savoir ce dont leurs troupes sont capables; d'autre part, il fait remarquer que si les chemins de fer disposaient d'un matériel suffisant (et on se trouvait probablement dans ce cas), l'entreprise pourrait être singulièrement abrégée et facilitée; enfin il engage le Gouvernement à prendre l'avis de M. Thiers, convaincu que son opinion, si elle était favorable, serait d'un grand poids pour donner confiance au général auquel l'entreprise serait confiée.

Or M. Thiers a fait connaître dans sa déposition qu'à cette époque même il s'était efforcé de démontrer à la délégation que la position de RAPPORTS. - T. III.

l'armée à Orléans était fausse, et que c'était sur
la rive droite de la Seine qu'il eût fallu la faire
opérer; M. Thiers a même persisté à croire
qu'on eût réussi si l'on eût agi ainsi.

Ainsi donc, la lettre du général Bourbaki n'a-
vait nullement le sens absolu qui lui a été attri-
bué par le délégué du ministre, et elle aurait
pu même conduire à une conclusion opposée à
celle qu'il en a tirée.

M. de Freycinet a dit encore dans sa déposition que le général Trochu parut avoir abandonné spontanément l'exécution de son plan; mais, comme il est évident qu'il n'y a renoncé que contraint et forcé par les circonstances, cette assertion reste sans valeur comme argument.

Enfin, il est impossible de ne pas faire remarquer que s'il n'y avait pas eu de la part de M. Gambetta la pensée, sinon le parti pris, d'affranchir son action personnelle de celie du général Trochu, la facilité donnée par les Prussiens à M. Thiers de se rendre à Paris eût permis tout naturellement de combiner les opérations de l'armée assiégée avec celles des armées de la province. Si donc on n'a pas mis cette occasion à 'profit, c'est qu'évidemment on ne l'a pas voulu.

En résumé, il est permis de conclure de ce qui précède, que la délégation de Tours n'a rien ignoré des projets du général Trochu, mais qu'elle n'a pas voulu en tenir compte dans ses combinaisons, et qu'en isolant les efforts de Paris de ceux de la province, elle a rendu par cela même les uns et les autres également impuis

sants.

Etait-il donc difficile de comprendre que l'accord entre ces efforts était une des conditions sine qua non du succès, et dès lors, n'aurait-on pas du tout faire pour l'assurer?

La bataille de Coulmiers envisagée dans ses effets, est la première démonstration de la faute qui avait été commise; car tandis que la France s'exaltait à la nouvelle de la victoire si brillamment remportée, cette victoire restait stérile, parce que Paris ne pouvait y répondre, et la plainte amère qui est sortie à la tribune de la bouche du général Trochu se trouve ainsi justifiée.

Il est demeuré difficile, malgré tout, d'apprécier ce qui serait advenu si on eût poursuivi les Bavarois dans leur retraite; mais, en dehors de toute autre considération, la prudence que les généraux ont manifestée eût-elle été exagérée, restera toujours justifiée par cela seul que la coopération de Paris ne leur était pas assurée, tandis que l'approche du prince Frédéric-Charles était certaine.

Malheureusement, ce n'est pas seulement pour les conséquences immédiates de la bataille de Coulmiers, mais encore pour toute la suite de la 5

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Établissement du camp d'Orléans.

Bien que matériellement la victoire de Coulmiers n'eût pas été tout ce qu'elle aurait pu être, puisque l'ennemi s'était retiré sans avoir été entamé ni même poursuivi, elle produisit néanmoins un grand effet moral dans le pays comme dans l'armée. Orléans délivré était accouru avec autant d'empressement que de reconnaissance au-devant de ses sauveurs, et, le 29 au matin, toutes les cloches de la contrée, sonnant à toute volée, se renvoyaient à travers les airs les échos de la joie publique.

Dès le soir même de la bataille, M. de Cathelineau qui, avec ses volontaires vendéens, avait suivi sur la rive gauche de la Loire les progrès de l'armée, avait pu faire à leur tête son entrée dans la ville aux acclamations de la population, et de grand matin, le lendemain, il les avait conduits à la cathédrale pour remercier Dieu de notre première victoire. Là, au moment où l'office allait commencer, dit le général d'Aurelle, l'épée haute et d'une voix émue, il fit retentir les voûtes du saint édifice de la devise qu'il avait donnée à ses soldats : Tout pour Dieu et pour la Patrie! et l'assistance entière avait été profondément impressionnée.

Tout le monde a remarqué, dans les récits qui ont été publiés sur la bataille de Coulmiers, que c'était au cri de Vive la France! et non de: Vive la République! que le général Barry s'était élancé à la tête de ses soldats, tandis que toutes les proclamations faites aux armées par M. Gambetta leur parlaient avec affectation de la République. C'est que les mots de Dieu, de patrie, de France, étaient les seuls qui sortissent alors des poitrines des combattants; avec les

sentiments que ces mots expriment, tous les Français pouvaient marcher à l'ennemi d'un même et puissant élan, et c'est ce que M. Gambetta ne paraissait pas comprendre, lorsqu'il s'efforçait constamment de superposer l'idée de la République à celle de la défense nationale. Pour le plus grand nombre des esprits, la République, réapparaissant avec son cortège trop connu de désordres populaires, était un épouvantail qui paralysait les courages et les bons vouloirs, et beaucoup qui étaient prêts à tous les sacrifices pour la délivrance de la patrie, se demandaient, en voyant ce qui se passait à Lyon, à Marseille, à Toulouse et ailleurs, s'il leur resterait une patrie alors même qu'ils réussiraient à refouler l'invasion allemande.

Le général d'Aurelle avait établi, le 10 novembre, son quartier général à Villeneuve-d'Ingrẻ, où il se trouvait tout à la fois à la portée d'Orléans et de son armée; c'était là qu'avait eu lieu, le 12, la conférence dont il a été question dans le chapitre précédent, conférence où il avait été 'décidé qu'avant de reprendre sa marche offensive, l'armée établirait devant Orléans un camp fortement retranché qui pût lui servir de base d'opération pour marcher à la délivrance de Paris, demeuré son suprême objectif.

Il y a lieu de croire, comme le dit M. de Freycinet, que, dans sa retraite précipitée, l'armée bavaroise avait été étonnée de ne pas être suivie et de pouvoir s'arrêter vers Loury, à sept ou huit lieues du champ de bataille, où elle avait fait sa jonction avec le corps commandé par le grandduc de Mecklembourg. Les documents d'origine allemande publiés sur ce sujet expriment en effet ce sentiment; mais cela ne suffit pas pour que M. Gambetta et ses conseillers puissent se faire un mérite d'avoir demandé, ce qui, d'ailleurs, est contesté, qu'on marchât sur Paris après Coulmiers, et nous croyons utile d'ajouter quelques considérations à celles qui ont été déjà exposées sur cette question dans le chapitre précédent.

Il est certain, comme l'a dit le général Borel, qu'en poursuivant l'armée vaincue, on aurait augmenté considérablement le désordre dans lequel elle se retirait; mais il résulte non moins certainement des faits qui ont suivi, que, comme les généraux l'avaient supposé dans la conférence du 12, on aurait eu immédiatement à livrer une seconde bataille beaucoup plus chanceuse que la première. C'est notamment ce qui ressort de la lecture du livre publié par le major prussien Blume, livre qui paraît avoir un caractère presque officiel. (1).

(1) Ce livre est intitulé: Opérations des armées allemandes, d'après les documents officiels du

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