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permettront d'insérer un tiers de plus de matériaux que dans les années précédentes.

Nous devons déclarer ici que, sans attacher à nos travaux plus d'importance qu'ils n'en méritent, nous considérerons comme contrefacteurs et poursuivrons comme tels, tous ceux qui, abusant du droit de citation, s'approprieraient tout ou partie de nos dissertations ou de nos observations.

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PREMIÈRE PARTIE.

REVUE DE LA JURISPRUDENCE.

Comme toutes les sciences, la jurisprudence subit de temps à autre des variations; elle change; elle abandonne un système, et, plus éclairée, y revient ensuite. Ce sont surtout les questions importantes, soit par leur application, soit par les difficultés de théorie qu'elles soulèvent, qui souvent ont divisé les Cours royales en deux camps. Les arrêts régulateurs de la Cour de cassation n'ont pas toujours réussi à ramener les opinions divergentes à cette unité de jurisprudence et d'interprétation, but si difficile à atteindre; quelquefois même la Cour suprême s'est trouvée seule de son avis contre toutes les Cours souveraines, et l'on a vu deux autorités imposantes donner aux plaideurs incertains conseils diamétralement opposés.

Les arrêts, isolés dans les recueils, ne peuvent mettre ceux qui les consultent au courant de ces variations. Ils n'enseignent jamais que la jurisprudence de la Cour qui les a rendus, et sont ainsi sans liaison avec ce qui précède, sans liaison avec ce qui suit.

Leur utilité doublerait donc, si, par une revue des principales questions auxquelles peut donner lieu l'application du Code de procédure, on les mettait en relief en les rapprochant les uns des autres, en constatant les changemens qu'ils ont fait subir à la jurisprudence et le dernier état dans lequel ils l'ont laissée.

Tel est le but que nous nous proposons en publiant à l'avenir, dans chaque cahier mensuel de notre recueil, un article réunissant, comme en un faisceau, la substance des arrêts qui, depuis l'émission du Code de procédure jusqu'à nos jours, ont statué sur des questions importantes et d'intérêt général.

Cette revue ne contiendra pas l'énoncé de tous les arrêts; ce serait une répétition de nos précédentes publications. Elle ne contiendra pas non plus l'examen de toutes les questions qui ont

été jugées ; ce serait faire un traité complet de la procédure. Mais cette revue sera le corollaire des arrêts rapportés dans 41 volumes, leurs conséquences, le résultat des décisions intervenues sur les points difficultueux ou controversés.

La marche la plus simple et la plus rationnelle qui se présentât à nous, dans l'exécution du plan que nous avons conçu, c'était de suivre l'ordre alphabétique des mots contenus dans les 22 volumes de notre nouvelle édition. Ainsi nous traiterons les matières dans un ordre qui comprendra tout, ne laissera rien échapper, et présentera le résumé complet de la jurisprudence relative aux points qui feront l'objet de notre travail.

Quoiqu'on ait voulu nier quelquefois l'autorité de la jurisprudence, quoiqu'on ait cherché à isoler les arrêts, à ne leur trouver aucun point de contact avec les questions identiques à celles qu'ils avaient jugées, cependant la force d'un arrêt de doctrine est puissante, et l'établissement d'une Cour de cassation, dont la mission est de ramener la jurisprudence à l'unité de principes et d'interprétation, est une preuve frappante qu'une loi: puise une grave autorité, la sanction du temps et de l'expérience, dans une suite de décisions qui toutes lui ont donné le même sens. Les arrêts sont les commentaires légaux de la loi, la loi pratiquée; et, certes, en législation, comme en toutes choses, la théorie la mieux conçue, la plus clairement construite, est souvent mal comprise et obscure, si la pratique ne l'éclaire pas de son flambeau.

ABSENCE.

L'absence est une matière tout en dehors du Code de procédure; elle ne se rattache à la procédure proprement dite qu'en quelques points qu'il est cependant nécessaire d'examiner, à cause des difficultés plus ou moins graves auxquelles ils peuvent donner lieu.

Parmi les personnes qui peuvent requérir par voie d'action la nomination d'un curateur à l'effet de représenter un présumé absent, deux arrêts, l'un de la Cour de cassation, l'autre de la Cour de Metz (1), placent le ministère public; mais il ne pourrait exercer ce droit, si l'absent avait laissé un mandataire, qu'en prouvant l'insolvabilité de ce mandataire (2). La protection et la sollicitude de la loi pour un absent ne doivent pas aller jusqu'à faire outre-passer ses volontés.

Une question fort délicate est celle de savoir jusqu'où s'étendent les pouvoirs du notaire commis pour représenter l'absent. La Cour de Bruxelles a jugé (3) qu'il ne pouvait intenter une action en reddition de compte, et que ses fonctions se bornaient à représenter l'absent lorsque les deman

(1) Arrêt cass., 8 avril 1812, J. A.et. 1, p. 35.-Metz, J. A. t. 25, p. 160. (2) Arr. Agen, 14 mars 1811, J. A. t. 1, p. 29.

(3) Air. Bruxelles, 8 avril 1813, J. A. t. 1, p. 37.

des en compte, en partage, ou autres, étaient régulièrement formées. A cet égard, dit la Cour de Bruxelles, il n'a pas l'initiative. Si cette Cour a restreint les droits du curateur du présumé absent, la Cour de cassation les a étendus; elle a jugé (1) que le curateur avait le droit d'interjeter appel et de représenter l'absent sur l'instance d'appel.

Deux arrêts de la Cour de Metz (2) ont refusé aux créanciers de l'héri tier présomptif de l'absent le droit de demander, du chef de cet héritier, la déclaration d'absence et l'envoi en possession des biens. Le motif principal de ces deux arrêts est que l'envoi en possession provisoire est ordonné dans l'intérêt de l'absent, et non dans l'intérêt de l'héritier, dont par conséquent les créanciers sont désintéressés dans la question.

Les auteurs ne sont pas d'accord' sur la question de savoir si l'absence peut être déclarée et l'envoi en possession provisoire ordonné par un seul et même jugement. La Cour de cassation (3) a jugé l'affirmative.

Quant aux militaires absens, plusieurs lois règlent le mode de la procédure à suivre pour parvenir à une déclaration d'absence.

Une seule question a donné lieu, relativement aux militaires, à une contrariété dans la jurisprudence. Il s'agit de savoir si la nomination d'un ourateur aux biens d'un militaire absent doit être faité conformément aux lois des un ventôse an alet 6 brumaire an 5, ou par le tribunal, conformément au Code civil

La Cour de Rennes (4), considérant que le Code civil n'était pas applicable aux militaires en activité de service, appliqua d'abord les lois de l'an 2, et de l'an 5

4

Vint ensuite la Cour de Colmar (5), qui suivit la jurisprudence tracée par la Cour de Rennes..

Mais leurs décisions restent isolées, et depuis aucun arrêt n'est venu s'y joindre; tandis que l'opinion contraire a prévalu.

Trois arrêts de la Cour de Bruxelles-(6) ont successivement appliqué le Code civil et renfermé les lois de l'an 2 et de l'an 5 dans des limites plus étroitem

Uni arrêt plus récent (7), rendu par la Gour royale de Nîmes, est venu confirmer la même doctrine, et a considéré comme abrogées les lois de l'an 2 et de l'an 5.

Aucun arrêt de la Cour de cassation n'a décidé cette question, qui de jour en jour se présentera moins fréquemment, à mesure que le temps éloignera de nous une époque de guerres et d'expéditions lointaines, lors de laquelle les cas d'absence de militaires devaient être fort communs. Sous ce rapport, la matière perdra tous les jours quelque chose de son intérêt (8),

(1) Arr. cass., 25 août 1814, J. A. t. 1, p. 39.

(2) Arr. Metz, 15 février 1821, J. A. t. 23, p. 48; et 7 août 1825, J. A. t. 25, p. 294.

(3) Arr. cass., 17 nov. 1808, J. A. t.-1, p. 23.

(4) Arr. Rennes, 28 août 1813, J. A. t. 1, p. 38.

(5) Arr. Colmar, 3 mai 1815, J. A. t. 1, p. 27.

(6) Arr. Bruxelles, 1er juin 1814, 24 juillet et 22 novembre 1817,· J. A., t. 1, p. 27 et 29.

(7) Arr. de Nîmes, J. A. t. 25, p. 32.

(8) V. J. A., notre mot Absence, l'indication des opinions des au teurs qui ont parlé de l'absence,

DISSERTATION.

Avoués. Plaidoiries.

L'ordonnance du 27 février 1822 a-t-elle été rendue dans les limites du pouvoir constitutionnel, et a-t-elle pu enlever aux avoués le droit de plaider les affaires sommaires?

Avant d'aborder la discussion de la question, il ne sera pas inutile de jeter un coup d'œil sur les droits qu'avaient autrefois les procureurs relati vement à la plaidoirie, ainsi que sur les différens changemens que la législation a subis à cet égard depuis le commencement de la révolution.' L'état actuel de la difficulté sera mieux compris.

Les fonctions de procureurs et d'avocats furent d'abord confondues. Ce ne fut que plus tard qu'on s'imagina de les séparer et de laisser aux uns la postulation, aux autres la plaidoirie. Cependant cette séparation de fonctions. ne fut pas tellement absolue qu'il ne restât rien aux procureurs des prérogatives qu'on leur enlevait : ils en retinrent quelque chose. Les causes graves furent réservées aux avocats, les affaires d'un moindre intérêt restèrent dans le domaine des procureurs.

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« Les procureurs, dit Denizart, t. 4, p. 16, peuvent plaider eux-mêmes sans ministère d'avocat les causes dont ils sont chargés, lors même qu'il DS s'agit de questions de droit, et que les parties adverses ont confié leur défense à des avocats; ainsi l'on peut dire à cet égard que les avocats et les procureurs ont la concurrence, à l'exception des causes d'appel, que » les procureurs ne peuvent plaider aux parlemens et dans plusieurs autres » tribunaux. « L'usage, dit Guyot, Répert., vo Procureur ad lites, a intro» duit que les procureurs peuvent plaider sur les demandes où il s'agit plus de fait que de droit.»

Tel était l'état des choses lorsque la révolution éclata.

L'Assemblée constituante, qui reconstruisait à mesure qu'elle démolissait, créa, par la loi du 20 mars 1791, des avoués pour remplacer les procureurs. Cette loi leur accordait à tous le droit de défendre les parties, soit verbalement, soit par écrit; mais ce droit était subordonné à l'autorisation, expresse des parties.

La Convention, qui démolissait sans reconstruire, supprima les avoués par le décret du 3 brumaire an 2. On sait quels furent les effets de cette mesure; on sait si les plaideurs trouvèrent une économie à se passer d'intermédiaires légaux entre eux et les juges. Aussi, dès que l'ordre reparut, un des premiers, soins du gouvernement fut de rendre à la justice une garantie, puissante, et la loi du 27. ventôse an 8 rétablit les avoués. Cette loi leur rendit toutes les attributions dont ils jouissaient lors de leur suppression. Ils jouirent par conséquent de la faculté de plaider.

Cette faculté leur fut conservée dans toute son étendue jusqu'à ce que la loi du 22 ventôse an 12 y eût apporté une restriction.

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L'art. 32 de cette loi est ainsi conçu: « Les avoués qui seront licenciés pourront, devant le tribunal auquel ils seront attachés, et dans les affaires où ils occuperont, plaider et écrire dans toute espèce d'affaires, concur> remment et contradictoirement avec les avocats'; en cas d'absence ou de

» refus des avocats de plaider, le tribunal pourra autoriser l'avoué, même

non licencié, à plaider. »

Cet état de choses subsista jusqu'au décret du 12 juillet 1812. Ce décret divise, quant au droit de plaider, les avoués en plusieurs classes.

La première contient les avoués de Cour royale, auxquels il ne laisse le droit de plaider que les demandes incidentes qui seront de nature à être jugées sommairement, et les incidens relatifs à la procédure.

La seconde se compose des avoués des tribunaux de première instance qui siégent au chef-lieu d'une Cour royale, d'une Cour d'assises, ou d'un département; ils ont, d'après ce décret, le droit de plaider, comme les avoués de Cour royale, les demandes incidentes et incidens, et de plus les matières sommaires.

La troisième, qui comprend les avoués de tous les autres tribunaux de 1re instance, recevait de ce décret le droit de plaider toutes les affaires dans lesquelles les avoués étaient constitués.

L'état des avoués semblait avoir été définitivement fixé par ce décret. Mais un ministre qui plus d'une fois porta des coups à la légalité, qui punissait les corporations de leur indépendance en leur arrachant quelqu'un de leurs priviléges, contre-signa, le 27 février 1822, une ordonnance qu'on peut qualifier de désastreuse pour le corps des avoués.

Cette ordonnance, abolissant toutes les lois antérieures, n'accorda aux avoués, quels que fussent les tribunaux devant lesquels ils postuleraient, que la faculté de plaider seulement les affaires incidentes de nature à être jugées sommairement. Mais elle conserva aux avoués licenciés avant 1812 le droit de plaider toutes les affaires : sa rétroactivité ne remonta pas plus haut.

Cette ordonnance blessait trop d'intérêts pour qu'elle ne devînt pas l'objet de nombreuses critiques. On ne s'arrêta pas au fond: on altaqua la forme; et même sous la Restauration, dont elle était l'ouvrage, on osa soutenir son inconstitutionnalité devant les tribunaux. Ces attaques se sont renouvelées depuis la révolution de juillet, et elles ont été suivies de succès : le tribunal de Versailles a deux fois jugé que l'ordonnance du 27 février 1822 était inconstitutionnelle. Le tribunal de St.-Étienne, à qui cette difficulté vient d'être également soumise, s'est trouvé partagé.

Pour bien apprécier la question, il est nécessaire de se fixer sur la nature des dispositions qui jusqu'à l'ordonnance de 1822 ont réglé l'état des avoués. Or, on a vu dans l'exposé que nous venons de faire que c'était toujours par des lois que le gouvernement avait ajouté ou retranché quelque chose aux prérogatives des avoués. C'est une loi qui leur a donné l'éxistence; c'est une loi qui les a supprimés; c'est une loi qui les a rappelés auprès des tribunaux loin desquels ils avaient été exilės; c'est la loi du 22 ventôse an 12 qui restreignit la faculté de plaider toutes affaires aux avoués licenciés; c'est le décret du 12 juillet 1812 qui classa définitivement les avoués et apporta de nouvelles restrictions à leurs droits.

Quel que soit le caractère de ce décret, qu'on le considère comme loi ou comme ordonnance réglementaire, l'ordonnance de 1822 n'en est pas moins illégale.

On a dit souvent, de la part de ceux qui ont soutenu l'inconstitutionnalité de l'ordonnance de 1822, que le décret de 1812 était une loi, à laquelle une ordonnance n'avait pu déroger; et dans ce sens voici comment on a raisonné :

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