Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE IV

LE DROIT GÉNÉRAL D'ASSOCIATION ET LES ASSOCIATIONS

D'ORDRE ÉCONOMIQUE

SECTION I

Critique de la loi du 1er juillet 1901.

61. Une pensée de lutte inspira la loi de 190! qui, ayant pour objet la liberté d'association, fut dirigée contre les congrégations. Nous ne critiquons pas cette méthode que les événements politiques imposèrent peutètre; mais nous constatons un fait qui n'est pas niable, à savoir l'espèce de réaction du titre III de ce texte sur les deux premiers titres.

« Il est d'hier, et cependant déjà loin de nous, dit M. Fournière, le temps où la puissance publique traitait l'Association en suspecte, sinon en rebelle » (1). Certes,

(1) Fournière, op. cit., p. 204. C'est dans les pays, ajoute M. Fournière, où les libertés politiques sont le plus largement

l'évolution est profonde. L'Etat, non seulement la laisse se développer et poursuivre des fins différentes des siennes, mais il l'encourage, ou parfois même réclame sa collaboration. N'a-t-on pas vu récemment les pouvoirs publics, incapables d'agir contre certaines personnalités trop puissantes, accorder aux syndicats agricoles des droits de poursuite, comme partie civile, pour la répression des fraudes sur les vins? (1) Toutefois, l'esprit ancien de méfiance et d'autoritarisme n'a pas disparu; et la même loi qui permet aux associations de se former sans autorisation, en est, à certains égards, toute pénétrée.

Le droit nouveau des associations constitue, d'après certains auteurs, un incontestable progrès, mais en théorie. En pratique la prohibition du Code pénal était devenue fort peu gênante dans les dernières années du XIXe siècle. Il fallait des périodes de crise intense pour que l'on songeât à utiliser contre certains groupements politiques les textes que la loi de 1901, faisant en cela œuvre d'«< assainissement et de libération », a abrogés. Malgré l'existence de cette réglementation archaïque,

reconnues que l'Association «< s'est le plus développée avec le concours désormais acquis des lois et de l'action publique. Si bien q'uon ne saurait dire, en l'état de pénétration réciproque et de collaboration où nous les voyons arrivés, si ce sont les pouvoirs publics qui soutiennent et développent les associations, ou cellesci qui s'imposent à ceux-là, au nom des principes de liberté, d'égalité et de réciprocité qui leur sont communs. »

(1) Loi du 4 juillet 1907, art. 9.

« des associations multiples ont pu se former tout de même et vivre au grand jour soit avec la tolérance, soit avec la permission de l'administration »(1). Cette grande réforme a causé une déception, et c'est à peine si le législateur n'a pas été accusé de n'avoir entrepris qu'une œuvre de réaction (2).

63. A ces critiques, il a été répondu que la loi de 1901 n'en avait pas moins réalisé, constaté si l'on préfère, un progrès évident; et orienté notre législation dans des directions nouvelles. Il ne faut pas, a-t-on dit, pour apprécier la portée d'une loi s'attacher « aux détails, mais seulement au principe, qui produira peu à peu les effets, si c'est un principe fécond» (3). Or, n'est-ce pas le cas du principe de la liberté d'association?

(1) Berthélemy, Traité de droit administratif, 3o edit., p. 302. (2)«< Autour de cette association qu'elle proclame libre, la loi relève une à une les classiques entraves. » Eug. Rostand, « La loi sur les associations au point de vue des associations ordinaires laïques », Rev. pol. et parl., 1901, t. XXVIII.

(3) Note de Marcel Fournier sous l'article précité d'Eug. Rostand. Il invoque l'exemple du syndicalisme agricole. En 1884, c'est sans en prévoir les conséquences et comme par hasard que furent inscrits dans la loi les mots : « et agricoles ». « Personne n'y fit attention... Or, chacun sait ce qu'il advint depuis. Les syndicats ont pris un développement tel qu'ils sont devenus le principal instrument de la transformation de notre agriculture. Et cependant personne ne l'avait prévu ! » Rev. pol. et parl., t. XXVII, p. 259. Cf. l'article de Trouillot en réponse à celui de Rostand, id., p. 272 et suiv.

Au risque d'encourir le reproche de ne raisonner qu'en théoricien qui « compare le droit au droit », et, se payant de mots, ne tient pas un juste compte de la réalité des choses, nous croyons avec MM. Fournier et Trouillot que le législateur de 1901 ne fit pas œuvre vaine, mais incomplète et critiquable. Le rapporteur à la Chambre, répondant à M. Eug. Rostand, l'a reconnu lui-même : « ... L'avenir dira s'il faut aller plus loin. La pratique de la liberté montrera si les précautions prises se justifient par leur prudence, ou si la loi pèche par excès de timidité. On peut, sur ce point, faire toutes réserves >> (1). Nous croyons en effet que la loi a péché par timidité, et si gravement que l'on a pu dire que les associations dénuées de personnalité de jadis « n'étaient guère plus entravées par leur incapacité théorique que les associations actuelles par les dispositions restrictives de leur capacité » (2).

64. Les associations formées avant la loi de 1902 ne jouissant d'aucune personnalité juridique ne possédaient par là mème ni capacité contractuelle, ni capacité d'ester en justice. Cela, a-t-on fait remarquer, ne constituait pas une entrave sérieuse à leur fonctionnement. Il leur était en effet toujours possible d'agir par l'intermédiaire de leur président, ou de quelques-uns de leurs membres

[blocks in formation]
[merged small][ocr errors][merged small]

ceux-ci encouraient, de ce fait, des responsabilités pécuniaires qui pouvaient être lourdes. Que l'association perdit un procès, et qu'elle n'en pût payer les frais, ils en étaient tenus en son lieu et place. Qu'elle fût incapable par suite du retrait d'un grand nombre de ses membres, de sa mauvaise gestion, d'une baisse des valeurs ou de toute autre cause, de faire face à ses engagements les associés qui avaient contracté en son nom, n'étaient-ils pas responsables sur leurs biens personnels? Nous voudrions savoir si, toujours, les associations trouvaient des individus assez dévoués pour accepter ces risques.

Le désir de prouver que la loi de 1901 n'a eu aucun résultat pratique a conduit certains auteurs à n'envisager qu'une face des questions. On a prétendu que l'absence de personnalité présentait pour une association un véritable avantage. En effet, si elle jouait dans un procès le rôle de défendeur, l'obligation d'assigner tous les associés était une gêne considérable pour la partie adverse (2). Cela n'est pas contestable. Aussi est-il proque les tiers se souciaient peu de traiter avec une

bable

(1) Berthélemy, op. cit., p. 303.

་་ ...

(2) Berthélemy: op. cit., p. 303. L'éminent professeur ajoute: S'il était indispensable d'accomplir les actes importants exigeant la personnalité, on s'en tirait pour la constitution d'une société civile. » Mais alors entraient en jeu les questions de responsabilité, très susceptibles d'effrayer bon nombre d'associés.

« PreviousContinue »