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leur l'objection élevée contre une fusion du droit syndi cal avec le droit commun d'association. Le projet dont M. Millerand a, le 12 juin 1906, saisi à nouveau la Chambre, accorde aux syndicats le droit de faire le commerce. Pourquoi ne l'accorderait-il pas aux associations professionnelles constituées conformément à la loi de 1901? Rien n'empêcherait de faire de l'article 6 nouveau un texte spécial: « Les associations professionnelles pourront faire le commerce en se conformant... etc. ».

97. Enfin, allant au terme de notre pensée, pourquoi réserver aux seuls syndicats le bénéfice de la réforme proposée ? Pourquoi le refuser par exemple aux associations coopératives de consommation. Elles pourraient, à la faveur de ce nouveau régime, entreprendre la production. Ainsi tomberait la principale objection dirigée par M. Gide contre le système que préconise M. Hayem les associations coopératives de consommation ne seraient plus réduites « à s'enfermer dans la tour d'ivoire de la fraternité ».

M. Waldeck-Rousseau, dans le projet relatif au contrat d'association déposé le 14 novembre 1899 et devenu la loi du 1er juillet 1901, ne considérait comme association pure et simple que celle qui se bornait à grouper « des facultés, des intelligences dans un but autre que d'obtenir des bénéfices ». Il ajoutait : « Il peut arriver, - rien ne sera plus permis - que ce but abstrait n'apparaisse pas comme suffisant, que même pour parvenir

plus sûrement à l'atteindre on juge utile de faire quelque chose de plus les associés apporteront des biens, les mettront en commun. Dans ce cas, quel fait va se produire? A côté de l'association se juxtapose une seconde convention; cette seconde convention sera une société de biens si on les met en commun en vue de partager les bénéfices; ce sera une communauté de biens pure et simple si l'on ne convient pas de partager les bénéfices » (1).

Ainsi, à l'Association exclusive de toutes espèces de biens se superpose, se « juxtapose », une société qui ne sera qu'un moyen de mettre au service du but idéal poursuivi, des ressources pécuniaires. Le Parlement, plus hardi que l'éminent homme d'Etat, a accordé aux associations, avec la personnalité juridique, le droit de posséder directement dans les limites fixées par la loi. Et cependant, aujourd'hui, après quelques années d'expérience, l'œuvre accomplie en 1901 est critiquée comme incomplète, accusée d'insuffisance et parfois de stérilité. En accordant aux associations déclarées, avec la pleine capacité civile, la liberté de faire des actes de commerce par l'intermédiaire de sociétés créées dans ce but, on ne ferait, en somme, pas autre chose que transposer la pensée primitive de M. Waldeck-Rousseau, l'adapter à une fin nouvelle, et s'engager dans une voie qu'il a lui-même ouverte par son projet de revision de la loi de 1884.

(1) Discours prononcé à la Chambre le 21 janvier 1901. - Waldeck-Rousseau, Associations et Congrégations, p. 71.

CONCLUSION

98. Pour certains juristes, et d'lhering en particulier, l'Association est une catégorie générale qui, dans ses limites, enferme la Société. Elle est une institution type comme l'échange et la donation. « Derrière l'échange dans le sens restreint du mot viennent se ranger tous les contrats de permutation... ; derrière la donation, apparaissent tous les contrats libéraux, le système tout entier de la bienveillance; de même a l'association viennent se joindre tous les rapports de même nature toutes les communautés, toutes les unions, depuis les plus humbles jusqu'aux plus hautes, l'Etat lui-même et l'Eglise. Nous les embrassons tous à l'aide de ce seul mot : l'association »> (1).

Il est vrai; mais le terme a pris, en droit français, un sens à la fois plus limité et plus précis. C'est au nom du principe d'autonomie de la volonté, emportant liberté

(1) Ihering, L'évolution du droit, trad. Meulenaere, 1901, p. 146.

pour chaque homme de s'unir à ses semblables en vue de la poursuite d'un but licite, que le droit d'association s'est constitué en opposition à l'absolutisme de l'Etat. Au cours du XIXe siècle, la Puissance publique, bien que luttant sans cesse contre cette prétention des individus, ne dirige pas ses efforts, sans distinction, contre tous leurs groupements. Ceux qui ne se proposent que des fins égoïstes, la réalisation de profits pécuniaires, ne l'inquiètent pas elle les encourage au besoin, et ne les réglemente que dans l'intérêt des tiers, ou de leurs propres membres. C'est aux groupements qui s'assignent des fins idéales que l'autorité réserve toutes ses rigueurs ; et elle ne leur reconnaîtra une vie incomplète qu'après plus de quatre-vingts ans d'efforts multipliés. Ainsi, historiquement, l'Association s'oppose à la Société.

99. La pensée d'Ihering n'en reste pas moins susceptible d'une certaine application, en ce sens que tous les groupements qui ne sont pas, par leur but ou par la volonté expresse du législateur, soumis aux règles des sociétés, doivent bénéficier du régime juridique de l'Association (1). Nous disons: bénéficier, car la liberté d'association nous apparaissant comme une conséquence

(1)«Par son existence même, l'association est un phénomène de moralité, puisqu'elle réunit par une sélection spontanée ceux qui veulent substituer à l'effort égoïste de l'isolé une coopération fondée sur la réciprocité ». Fournière, op. cit., p. 187. · Cf. Duguit, L'Etat, p. 61 et suiv.

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logique et nécessaire de la liberté individuelle ellemême ; et l'exercice de cette liberté étant d'autre part, à n'en pas douter, bienfaisant pour l'individu et pour la société : pour l'individu, qui en joignant ses efforts à ceux de ses semblables, n'entrave pas, comme certains l'ont cru, mais bien au contraire facilite son propre développement en décuplant ses moyens d'action et d'emprise sur la nature (1); pour la société elle aussi que l'Association décharge d'une multitude de soins, et dont elle facilite les tâches toujours plus lourdes et toujours plus nombreuses à mesure que dans nos grands Etats modernes la vie collective devient plus complexe (2); nous en devons conclure que le droit positif ne peut qu'organiser cette liberté, qu'il doit respecter en ne lui impo

(1) C'est à l'établissement d'un système analogue que semble tendre la législation suisse dont nous avons eu l'occasion de signaler le libéralisme. « Nous devons constater, dit M. Hayem, qu'il y a une tendance très forte tant dans la doctrine que dans la jurisprudence suisse à faire des associations à but idéal un type de droit commun, auquel viennent se rattacher les associations à caractère économique, même celles qui, comme les coopératives de production, ont un but nettement lucratif, — et à opposer tout cet ensemble d'associations à la masse entière des sociétés qui poursuivent avant tout un but pécuniaire, lucratif, sans aucune considération d'intérêt général. >>>> Hayem, op. cit., P. 413.

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(2) La puissance publique a si bien ressenti son incapacité à remplir seule toutes les fonctions socialement utiles, qu'à l'époque même où elle était le plus hostile à l'association, elle a établi un statut spécial en faveur des associations qui poursuivraient un objet d'intérêt général; par la reconnaissance d'utilité publique, elle donne à certaines associations une personnalité juridique étendue.

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