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M. Hayem, invoquant l'autorité de M. Gide (1), remarque justement qu'au point de vue sociologique les sociétés coopératives doivent être rapprochées des sociétés de secours mutuels et des syndicats professionnels. Ce sont des formes d'associations qui se complètent les unes les autres: « Elles se sont développées ensemble, elles ont été persécutées ensemble, elles sont constituées à peu près par les mêmes membres, elles comptent les mêmes amis, et aussi les mêmes ennemis » (2). Il est vrai, et si nous n'avions crainte d'employer une expression par trop hardie, nous dirions qu'en faveur de chaque coopérative existe une présomption d'association.

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18. On distingue trois sortes de sociétés coopératives : de production, de consommation, de crédit, ayant un but commun la suppression des intermédiaires. Cette simple énumération indique que de tels groupements peuvent accomplir les actes les plus divers dans les intentions les plus variées (3). Citons quelques exemples.

(1) Il existe trois grandes catégories d'associations à but social, la syndicale, qui défend les intérêts professionnels, la mutualiste qui assure contre les risques de la vie, la coopérative, qui prépare la démocratie industrielle: toutes trois organes de solidarité sociale, toutes trois facteurs de la société future, elles ont droit au même traitement. » Ch. Gide: Union coopérative du 15 avril 1905. Cité par Hayem: op. cit., p. 124.

(2) Hayem, op. cit., p. 120.

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(3) Si l'on veut bien considérer cela, et en outre la diversité qu'il y a parfois entre les Sociétés d'un même type, on comprendra combien il est difficile de faire une loi unique pour des

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Des ouvriers, des lunetiers par exemple, se groupent pour l'exercice de leur profession, et décident de répartir les bénéfices réalisés en commun au prorata des économies engagées par eux dans l'entreprise. Nous sommes là en face d'une coopérative de production dont les membres poursuivent avant tout la réalisation d'un bénéfice pécuniaire partageable, c'est-à-dire d'une société qui, suivant sa forme, sera civile ou commerciale.

Toute différente serait la situation de cette coopérative si, par hypothèse, en faisant des opérations rigoureusement identiques, les lunetiers dont nous parlons s'étaient conformés aux décisions du premier congrès ouvrier, tenu à Paris en 1876, qui voulait que « le capital coopératif fùt impersonnel et inaliénable et qu'il n'y eut pas de répartition de bénéfices entre les associés, tout le profit devant être réservé à l'ensemble de la classe ouvrière» (1). Il y aurait dans ce cas une union de personnes formée dans un but autre qu'un partage de bénéfices, c'est-à-dire une association. Nous ne disons pas, d'ailleurs, qu'une telle coopérative pourrait se former sous le couvert de la loi de 1901; encore moins qu'elle y aurait avantage. Nous disons simplement que par sa nature intime, elle répond d'une façon plus adéquate au

sociétés auxquelles l'usage a donné un même nom, mais qui sont entre elles si distinctes. » Hubert-Valleroux, « Les sociétés coopératives et le projet de loi présenté au Sénat. » — Rev. pol. et parl., 1895, tome I, p. 439 et suiv.

(1) Levasseur, Questions ouvrières, chap. xII, p. 743.

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concept de l'association, tel que nous l'avons précisé, qu'à celui de la société.

19. Il existe une société coopérative de consommation toutes les fois que plusieurs individus, ayant des besoins matériels ou moraux communs, s'entendent pour les satisfaire d'une façon aussi économique que possible. Vivre à moins de frais; tel est le but premier des coopérateurs. Mais, certains d'entre eux, tout en appréciant cet avantage, forment, en se groupant, de plus magnifiques projets. Au règne du producteur, disent-ils, doit succéder un jour celui du consommateur qui subordonnant, à l'inverse de ce qui existe à l'heure présente, la production à la consommation, réalisera un état d'équilibre économique et de démocratie industrielle. Quels intérêts plus généraux une association peut-elle servir?

Les membres d'une boulangerie coopérative décident que la vente des produits sortant de leur magasin aura lieu au prix courant, et que les bénéfices réalisés seront ainsi répartis 40 0/0 accroîtront le capital social, 30 0/0 seront distribués à titre de bonis au prorata des achats, 30 0/0 subventionneront des œuvres de solidarité (caisses de secours, habitations à bon marché, prêts aux autres sociétés coopératives, etc.). Pour nous, un tel groupement constitue une association; il en a tous les caractères distinctifs union de personnes plus que de capitaux, et absence de dividendes.

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aux idées de solidarité une part si large. Toutefois, nous estimons que pourrait être encore considérée comme constituant une association la coopérative qui se bornerait à répartir des bonis entre ses membres au prorata de leurs achats. Il n'y a pas là partage de bénéfices, mais un simple remboursement de trop- perçus qui présente, par surcroît, le grand avantage de favoriser puissamment, l'épargne.

Que si, au contraire, cette coopérative voulant étendre ses affaires s'ouvrait au public, tout en continuant à réserver à ses actionnaires les bénéfices réalisés par ce moyen; nous serions en présence d'une véritable société.

20. Nous pourrions reproduire ces distinctions en traitant des coopératives de crédit, et en particulier des Sociétés de crédit agricole organisées par la loi du 5 novembre 1894. Ces prétendues sociétés, composées exclusivement de membres des syndicats agricoles, ont « pour objet de faciliter et même de garantir les opérations concernant l'industrie agricole et effectuées par ces syndicats », ou par leurs membres. Ce sont, par la volonté expresse du législateur, des sociétés de personnes dont le capital ne peut être formé par des souscriptions d'actions, mais sera constitué par des parts nominatives, transmissibles par voie de cession aux seuls membres des syndicats agricoles, et après autorisation des coassociés (art. 1er). Les bénéfices « seront d'abord affectés, jusqu'à concurrence des trois quarts au moins, à la

constitution d'un fonds de réserve, jusqu'à ce qu'il ait atteint au moins la moitié de ce capital. Le surplus pourra être réparti, à la fin de chaque exercice, entre les syndicats et entre les membres des syndicats au prorata 'des prélèvements faits sur leurs opérations. Il ne pourra, en aucun cas, être partagé sous forme de dividendes... » (art. 3).

De ces dispositions ne résulte-t-il pas que ces « associations mutuelles » ne présentent aucun des caractères" de la Société tels qu'ils sont définis en l'art. 1832 du' C. civ. « Nous ne sommes pas en présence d'un groupe de personnes s'unissant pour exploiter un capital social, et partager les bénéfices qui résultent de cette exploitation, la définition de la Société doit être écartée. Le véritable profit que les associés retirent de leur »union, c'est le crédit qu'ils obtiennent (1)... »

En résumé, nous dirons donc que ce ne sont pas les opérations commerciales qu'elles effectuent, mais leurs buts et l'emploi qu'elles font de leurs bénéfices, qui déterminent la nature juridique des coopératives. Toutefois, la qualité de leurs membres, les besoins auxquels elles répondent, les résultats qu'elles visent, la tradition enfin, nous inclinent à les considérer, sauf certaines

(1) Arthuys, « Explication de la loi du 5 nov. 1894 relative à la création des sociétés de crédit agricole », Rev. crit. de lég. et de jur., 1895, p. 318. Dans le même article, M. Arthuys revient sur cette idée : <«<... Ce sont plutôt des associations que des sociétés au sens juridique du mot », p. 337.

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