Page images
PDF
EPUB

commerciales, devenue nécessaire, fut élaborée, le législateur créa le système des sociétés à capital variable dans le but de faciliter la constitution de coopératives importantes (1).

4. Avec la fin de l'Empire libéral, et l'arrivée au pouvoir des républicains, la réaction contre l'individualisme du début du siècle s'accentue, dans les faits (2), sinon dans les doctrines. Le jour viendra vite où M. de Mun pourra écrire avec joie, et vérité : « C'est donc, dans toute la nation française, en dépit des principes individualistes, un retour général et très marqué vers l'organisation corporative. Moins d'un siècle a suffi pour le rendre inévitable, et sa portée est d'autant plus significative qu'il est

que les premières années du gouvernement napoléonien furent hostiles à tous les groupements ouvriers, quels qu'ils fussent. On ignore généralement, dit M. Gide, que le Coup d'Etat du 2 décembre 1851 «< a retardé d'un demi-siècle, et peut-être même irrémédiablement compromis, le mouvement coopératif en France. » Gide, La coopération, 2o édit., p. 41, note 1.

(1) Quelques années auparavant le Conseil d'Etat avait été chargé de préparer un projet de loi spécial sur les Sociétés de coopération. Les intéressés élevèrent de vives protestations. Les gérants de quarante-huit sociétés parisiennes publièrent un manifeste «...Ce serait aggraver, disaient-ils, et non améliorer notre situation que d'enfermer le mouvement coopératif dans une loi d'exception. Le gouvernement, après une enquête sérieuse, abandonna son projet, et fit simplement voter le titre III de la loi de 1867. Hubert-Valleroux, « Les Sociétés coopératives >>... Rev. polit. et parl., 1895, t. Ier, p. 442.

(2) La loi du 25 mai 1864 supprimant les articles 414 et 415 du Code pénal est comme le point de départ de ce mouvement.

venu de l'initiation des révolutionnaires eux-mêmes » (1).

La loi du 21 mars 1884, dont M. Waldeck-Rousseau fut le principal artisan, marque le triomphe des tendances nouvelles. Elle ne fait d'ailleurs que sanctionner les initiatives déjà multipliées de toutes parts. Elle légalise sagement, ne pouvant réprimer. D'abord très mal accueillie dans les milieux ouvriers, flétrie comme n'étant qu'une « manœuvre policière », elle n'en contribue pas moins à l'extension rapide du groupement corporatif. Le nombre des syndicats s'accroît; leur activité s'étend (2). Ils s'efforcent d'absorber, ou, au moins, de se subordonner toutes les autres formes d'Association ouvrière. Au sein de leurs congrès s'élaborent des doctrines nouvelles (3). Comme tous les organismes forts, parce que parfaitement adaptés au milieu social, ils sont

(1) Cité par Barthou, op. cit., p. 64.

(2) Barthou, op. cit., chap. 1, § 1, Résultats généraux de la loi de 1884, p. 11 et suiv. De 1890 à 1906 le nombre des syndicats a presque quintuplé, et le nombre de leurs membres a sextuplé. Voir Levasseur, Questions ouvrières et industrielles en France sous la Troisième République, 1907, p. 714.

(3) On sait que l'organe scientifique des syndicalistes est la revue Le Mouvement socialiste, où le premier rôle est incontestablement tenu par M. G. Sorel dont les compétences variées et la pensée nombreuse nous laissent toujours surpris, mais dont on ne peut nier l'originalité, ni la souplesse ingénieuse avec laquelle il manie, transpose d'un domaine dans un autre, utilise pour des fins que ne se proposèrent pas leurs premiers inventeurs des idées d'écrivains très divers et parfois - en la matière

assez inattendus M. Bergson pour n'en citer qu'un, et non le moindre.

envahissants, et prétendent réduire à un rôle simplement accessoire la mutualité et la coopération (1).

Coopérateurs et mutualistes sont parfois, d'ailleurs, d'un avis différent (2). Ces derniers qui ont obtenu leur charte en 1898 (3) sont groupés en de très nombreuses associations, et de chacune d'elles ils prétendent faire, suivant l'expression de Léon Say, « la cellule embryonnaire autour de laquelle toutes les autres sociétés de prévoyance doivent se grouper » (4). Comme le syndicat règne dans le domaine du Travail, la mutualité prétend se réserver celui de la Prévoyance.

[ocr errors]

de ceux vraiment

Pour ce qui est des coopérateurs, dignes de ce nom, leurs espoirs, pour se manifester de façon moins bruyante, ne sont pas moins vastes que ceux des syndicalistes eux-mêmes. Ils voient dans la coopération <«< une fin en soi, c'est-à-dire un mode d'organisation sociale qui contient en puissance la société future comme la graine contient le fruit » (5). En 1885, sous l'influence de l'école de Nimes, le mouvement coopératif reprend un nouvel essor. Mais, ce n'est plus, comme en 1848, les coopératives de production en qui l'on espère (6). Ce sont celles de cré

(1) P. Louis, op. cit., p. 157.

(2) Ch. Gide, Economie sociale, 1905, p. 44.

(3) Loi du 1er avril 1898 sur les Sociétés de secours mutucls. (4) Cité par Gide, Economie sociale, p. 269.

(5) Gide, Économie sociale, p. 189.

(6) Voir une critique de la coopération de production qui ne fait qu'« écrémer la classe ouvrière, et laisse, entre produc

dit (1), celles surtout de consommation, dont le nombre et les chiffres d'affaires s'accroissent chaque jour, qui apparaissent à certains économistes, et non des moindres, comme les facteurs actifs d'une évolution sociale bienfaisante.

5. A la fin du XIXe siècle on peut dire que, non seulement dans le domaine économique, mais dans tous les domaines, et pour poursuivre tous les buts, les hommes tendent à grouper leurs efforts; et, quand ils ne s'associent pas eux-mêmes, ils associent leurs capitaux (2).

teurs, subsister la concurrence anarchique. Gide, La coopération, 1906, p. 143 et suiv.

(1) Lois des 5 nov. 1894 et 31 mars 1899 sur les Sociétés de crédit agricole.

(2) <...Non seulement en politique ou en religion, mais en littérature pour protéger les droits d'auteur, dans les beaux-arts pour organiser des Expositions comme le Salon des Champs-Elysées, en temps de guerre pour assurer des secours aux blessés, pour organiser des expéditions scientifiques, pour faire des exercices de tir ou de gymnastique, pour voyager, pour se divertiril s'est même formé récemment une association d'autopsie mutuelle ! partout nous voyons se fonder quelque société nouvelle. Et dans le domaine économique proprement dit, qu'il s'agisse d'ouvrir un magasin, de planter des vignes ou d'exploiter une mine, partout nous voyons se créer des associations commerciales, industrielles ou agricoles qui portent le nom aujourd'hui si répandu de sociétés anonymes. En un mot, il n'est plus, pour ainsi dire, un seul mode de l'activité humaine qui ne soit représenté par quelques formes d'association écloses spontanément. » (ide, La coopérative, 2e édit., p. 96. Cf. Fournière, op. cit., p. 3 3.

« La formation, au sein de la nation moderne, et particulièrement au sein de la nation française, de groupements fondés sur la communauté des intérêts professionnels, industriels, commerciaux, des travaux scientifiques, des œuvres artistiques, littéraires ou autres, et aussi les promesses d'assistance mutuelle, est incontestablement le fait le plus saillant de ces trente dernières années. Le législateur n'a pu le négliger, et ses lois, comme les lois de 1884 sur les syndicats professionnels, de 1898 sur les sociétés de secours mutuels, de 1901 sur les associations en général..., provoquées par le mouvement associationiste, le favorisent par un effet en retour, le dirigent, et lui donnent un relief particulièrement frappant »> (1).

La loi du 1er juillet 1901 pourrait sembler le terme normal d'une longue évolution : elle n'en est sans doute qu'une étape. Elle fut votée en des circonstances difficiles, et ses auteurs firent parfois preuve d'une timidité que ne comportaient pas certaines de leurs déclarations antérieures (2). On lui a reproché de ne présenter en pratique

[ocr errors]

(1) Duguit, Droit constitutionnel, Ire partie, ch. 1. Cf. Du même, L'Etat, 1901, tome I, Le droit objectif et la loi positive, p. 60 et suiv.

(2) «...Quand on parle de liberté d'association, il semble qu'on emploie des mots qui diminuent, en quelque sorte, le droit dont on traite. L'association ne m'apparaît pas comme une concession de l'ordre politique, elle m'apparaît comme l'exercice naturel, primordial, libre, de l'activité humaine. » Waldeck-Rousseau, J. off., Déb. parl., 6 mars 1883.

« PreviousContinue »