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quer la diminution des naissances par celle des mariages, ni par une prétendue dégénérescence de la race. Si le chiffre des mariages a très légèrement fléchi depuis 40 ans (de 2,38 p. 1000), il est resté presque constant depuis 20 ans aux environs de 8 p. 1000.

Rien, d'autre part, ne justifierait l'allégation d'après laquelle la race allemande serait en voie de dégénérescence. Tout au contraire le nombre des mort-nés a diminué, la durée moyenne de la vie a augmenté. Enfin si les conseils de révision ont réformé dans ces dernières années plus de conscrits que par le passé, ce fut là uniquement une conséquence de la rigoureuse sélection à laquelle il était procédé, le nombre des jeunes gens inscrits sur les listes du recrutement ayant été jusqu'en 1913 très supérieur au chiffre du contingent incorporé.

Ces diverses hypothèses écartées, nous sommes en présence de trois théories. La première, qui a pour auteurs Brentano et Mombert, est dite théorie du bien-être (Wohlsstandtheorie). On peut y rattacher, malgré une contradiction apparente, le système qui voit l'origine du mal dans le renchérissement du prix de la vie.

La seconde théorie attribue la responsabilité du fléchissement de la natalité à l'industrialisation croissante et à ses conséquences: l'exode rural, l'extraordinaire développement des villes. Oldenberg a été le défenseur de cette idée.

Enfin un dernier système dénonce comme la cause, sinon unique du moins principale, du phénomène de l'infécondité, l'altération progressive de la moralité publique sous l'influence de l'affaiblissement des croyances religieuses minées par le progrès des idées matérialistes. Le professeur Wolf, le Docteur Rost et M. Seeberg se sont faits les interprètes de cette opinion.

Examinons brièvement ces trois thèses. Elles sont trop connues pour qu'il soit besoin de les exposer en détail. Il

NOUVELLE SÉRIE.

LXXXII.

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suffira pour les apprécier de les confronter avec le mouvement des idées et des faits tel qu'il se révèle en Allemagne.

L'extraordinaire accroissement de prospérité dont a bénéficié l'Empire allemand n'a pas besoin d'être démontré. En aucun pays la transition n'a été aussi brusque entre la vie simple, familiale, patriarcale même, telle que nous la trouvons décrite comme fond de décor dans les romans de Goethe les plus dramatiques, et la vie d'affaires et de plaisirs dont paraît s'éprendre de plus en plus la société allemande d'aujourd'hui. La fortune est venue trop vite à l'Allemagne; elle en a été étourdie et comme un peu grisée. On serait tenté de dire, en reprenant une formule de l'un de nos plus éminents confrères, que les Allemands ont brûlé les étapes et cela non sans dommage pour euxmêmes. Le luxe d'en haut a éveillé les convoitises d'en bas. Les désirs et les appétits ont grandi plus vite encore que les ressources. Alors il a fallu aviser, et la limitation du nombre des enfants a été la conséquence déplorable, mais très délibérée et très logique, de ce déséquilibre.

Ces observations trouvent un appui dans les faits. Les statistiques confirment que les régions les plus pauvres de l'Empire sont celles où la natalité est encore la plus haute. Dans les villes de Posen, Oppeln, Bromberg, Munster, la moyenne du revenu taxé évolue entre 899 et 1.142 marks seulement, on n'y compte que 14,19 à 23 livrets d'épargne par cent habitants. Or, dans ces mêmes cercles la natalité est encore forte, 37,8 à 41,2 p. 1000, tandis qu'elle n'était que de 22,2 à 26 dans les circonscriptions de Wiesbaden, Hanovre, Potsdam, Berlin où le revenu taxé atteint de 1.558 à 1.701 marks et où l'on compte de 35,6 à 38,64 livrets d'épargne par 100 habi

tants.

Les contradicteurs cependant n'ont pas manqué. En fait ils ont objecté la faible natalité des familles des pro

fesseurs et instituteurs dont le bien-être est plutôt médiocre. La réponse est facile. Ce n'est pas tant le bienêtre qui agit comme frein de la natalité, c'est le désir du bien-être. Or, avec des ressources faibles et qui ne peuvent guère augmenter, les membres du corps enseignant sont assujettis à des obligations assez lourdes. Ils doivent avoir une certaine tenue, ils désirent donner une bonne éducation à leurs enfants. Les charges de famille sont pour eux très pesantes.

On dit encore la Wohlsstandtheorie prend l'effet pour la cause. Ce n'est pas, observe Seeberg, le bien-être qui conduit à la limitation des enfants, c'est au contraire parce que l'on a peu ou point d'enfants que l'on jouit d'un certain bien-être. Argument spécieux. Sans doute à revenu égal un célibataire est plus riche qu'un père de famille. Il n'en est pas moins vrai qu'avec l'aisance et l'instruction se développent l'habitude et le goût d'une vie plus cultivée, plus raffinée, plus onéreuse aussi, et que pour conserver à leurs enfants les mêmes avantages, bien des parents se refusent à assumer la charge d'une nombreuse postérité.

Le renchérissement du prix de la vie contribue-t-il à la diminution des naissances? On peut poser la question sans se mettre en contradiction avec la Wohlsstandtheorie. Il est fort possible en effet qu'un appauvrissement subit amène les mêmes effets qu'un trop brusque enrichissement. Habituée à un certain bien-être qu'il lui faut soudainement réduire, la famille se trouve dans des conditions défavorables à sa croissance.

Mais cette conjecture est-elle justifiée par l'examen des faits? Il semble résulter en premier lieu de cet examen que la seule baisse des prix ne suffit nullement à enrayer la baisse de la natalité déterminée par d'autres causes. De 1880 à 1895, les prix ont baissé et les naissances ont diminué. Il est plus légitime d'admettre que le renchérissement tend à accélérer la diminution de la natalité. De

1896 à 1910, le prix de la vie a augmenté en Allemagne (d'après les calculs de Hooker, Journal of the Royal statistical Society, 1911) de 45 % en moyenne en même temps que le mouvement de recul de la natalité s'accentuait rapidement. Mais il paraît impossible de faire la part du renchérissement dans cette diminution des naissances. Il semble que, seule, une hausse subite et considérable du prix des logements et des vivres puisse exercer à cet égard une action particulière et notable.

La transformation économique de l'Allemagne en un grand État industriel, l'émigration vers les villes qui s'en est suivie, telle serait, d'après une seconde thèse, la cause du mal que l'on déplore.

Ici la démonstration est aisée. D'après l'Annuaire statistique prussien, le chiffre des naissances a diminué en 34 ans (1876-1910) de 9,65 p. 1000 dans les villes, de 4,43 seulement dans les communes rurales. Dans les premières, la moyenne annuelle des naissances, de 1906 à 1910, a été de 29,01 p. 1000, dans les secondes de 35,18 p. 1000.

L'écart est déjà notable. Mais si l'on considère à part les grandes villes, les chiffres sont autrement saisissants. Si de 1876 à 1909 la diminution de la moyenne des naissances n'est, à Danzig, que de 6,1 p. 1000, à Posen de 7,5, à Breslau de 9,2, elle atteint 10,1 à Dusseldorf, 11,8 à Magdebourg, 13,5 à Potsdam et 24 à Berlin! La situation dans la capitale est unique. Berlin proprement dit comptait en 1913, 2.095.000.000 habitants, l'agglomération berlinoise Gross Berlin se compose de 3.850.000 âmes. Or, la moyenne des naissances qui pour tout l'Empire était encore, en 1911, de 29,48 p. 1000, était à la même date pour Berlin seul, de 21,9, et pour toute l'agglomération berlinoise de 21,5. En 1912, le taux de natalité de Berlin est tombé à 20,5. Une constatation empruntée au livre de Theilhaber Berlin Stérile (Das sterile Berlin) accuse toute l'intensité du mal. Tandis que de 1880 à 1912, la population de Berlin

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- ville doublait presque : 2.095.000 au lieu de 1.122.000, tandis que le nombre des femmes mariées doublait, il est né à Berlin en 1912 moins d'enfants qu'en 1880: 43.961 au lieu de 45.253. - 20 % des ménages berlinois sont stériles et sur 100 naissances, 26 sont celles de premiers-nés, 56 surviennent dans des familles ayant au plus déjà un enfant. La famille berlinoise en est manifestement déjà au système des deux enfants si reproché aux Français.

Mais pourquoi l'exode rural et le développement des agglomérations urbaines détournent-ils ainsi l'Allemand du devoir de perpétuer sa famille? Ne faut-il pas ici tenir compte d'un autre facteur : l'affaiblissement des idées morales et surtout des croyances religieuses qui, pour l'immense majorité des hommes, sont le seul principe et la seule règle de la morale? Nombreux sont les sociologues qui l'affirment.Le pasteur Seeberg et l'écrivain catholique le D'Rost se sont faits avec Wolf les avocats de cette opinion.

Ces auteurs observent tout d'abord que la natalité a surtout décru dans les districts où prévaut l'influence socialiste. C'est là surtout que l'on prêche le mépris des. vieilles disciplines sociales et religieuses.

que l'État socialiste

<< Des femmes intelligentes et énergiques n'ont guère d'inclination à passer les meilleures années de leur vie enceintes ou avec des enfants au sein. Cette aversion ne pourra, en dépit de toute la sollicitude témoignera aux femmes enceintes et aux jeunes mères, que s'accroître. Il est donc vraisemblable qu'en régime socialiste la population s'accroîtra plus lentement qu'en régime bourgeois. » - Cette assertion de Bebel est pleinement confirmée par l'examen des faits. Les villes et régions où la natalité est la plus faible sont précisément celles où prédomine le socialisme et où le sentiment religieux est presque éteint. C'est la Saxe avec ses 27 naissances p. 1000, en 1911; c'est Hambourg 26 naissances 5; c'est Berlin avec 21 naissances 6.

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