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de Toulon. J'étais alors chef de bataillon, et comme tel je pus avoir quelque influence sur le succès de ce siége. Jamais armée ne fut plus nial menée que la nôtre. On ne savait qui la commandait. Les généraux ne l'osaient pas, de peur des représentans du peuple; ceux-ci avaient encore plus de peur du comité de salut publie. Les commissaires pillaient, les officiers buvaient j les soldats mouraient de faim; mais ils avaient de l'insouciance et du courage. Ce désordre même leur inspirait plus de bravoure que la discipline. Aussi suis-je resté convaincu que les armées mé caniques ne valent rien: elles nous l'ont prouvé.

«Tout se faisait au camp par motions et par acclamations. Cette manière de faire m'était insupportable; mais je ne pouvais pas l'empêcher, et j'allais à mon but sans m'en embarrasser.

» J'étais peut-être le seul dans l'armée qui ent an but; mais mon goût était d'en mettre au bout dé tout. Je ne m'occupai que d'examiner la position de l'ennemi et la nôtre. Je comparai ses moyens moraux et les nôtres. Je vis que nous les avions tous, et qu'il n'en avait point. Son expédition était un misérable coup de tête, dont il devait prévoir d'avance la catastrophe, et l'on est bien faible quand on prévoit d'avance sa dé

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» Je cherchai les meilleurs points d'attaque: je jugeai la portée de nos batteries, et j'indiquai les positions où il fallait les placer. Les officiers expérimentés les trouvèrent trop dangereuses; mais on ne gagne pas de batailles avec de l'expérience. Je m'obstinai ; j'exposai mon plan à Barras : il avait été marin; ces braves gens n'entendent rien à la guerre, mais ils ont de l'intré→ pidité. Barras l'approuva, parce qu'il voulait en finir. D'ailleurs la convention ne lui demandait pas compte des bras et des jambes, mais du

succès.

» Mes artilleurs étaient braves et sans expérience. C'est la meilleure de toutes les dispositions pour les soldats. Nos attaques réussirent : l'ennemi s'intimidait; il n'osait plus rien tenter contre nous. Il nous envoyait bêtement des boulets, qui tombaient où ils pouvaient, et ne servaient à rien. Les feux que je dirigeais, allaient mieux au but. J'y mettais beaucoup de zèle, parce que j'en attendais mon avancement: j'aimais d'ailleurs le succès pour lui-même. Je passais mon temps aux batteries; je dormais dans nos épaulemens. On ne fait bien que ce qu'on fait soi-même. Les prisonniers nous apprenaient que tout allait au diable dans la place. On l'évacua enfin d'une manière effroyable. Nous

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avions bien mérité de la patrie. On me fit gé néral de brigade. Je fus employé, dénoncé, des titué, ballotté par les intrigues et les factions. Je pris en horreur l'anarchie qui était alors à son comble, et je ne me suis jamais raccommodé avec elle. Ce gouvernement massacreur m'était d'autant plus antipathique qu'il était absurde, et se dévorait lui-même. C'était une révolution perpétuelle, dont les meneurs ne cherchaient pas seulement à s'établir d'une manière perma

nente.

» Général, mais sans emploi, je fus à Paris, parce qu'on ne pouvait en obtenir que là. Je m'attachái à Barras, parce que je n'y connaissais que lui. Robespierre était mort; Barras jouait un rôle, il fallait bien m'attacher à quelqu'un et à quelque chose (1).

» L'affaire des sections se préparait : je n'y mettais pas un grand intérêt, parce que je m'occupais moins de politique que de guerre. Je ne pensais pas à jouer un rôle dans cette affaire; mais Barras me proposa de commander sous lui la force armée contre les insurgés. Je préférais,

(1) S'attacher à Barras, parce qu'on ne peut pas s'attacher à Robespierre! voilà une turpitude que rien ne l'obligeait à dévoiler.

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en qualité de général, d'être à la tête des troupes, plutôt qu'à me jeter dans les rangs des sections, où je n'avais rien à faire.

T

» Nous n'avions, pour garder la salle du manége, qu'une poignée d'hommes, et deux pièces de quatre. Une colonne de sectionnaires vint nous attaquer pour son malheur. Je fis mettre le feu à mes pièces, les sectionnaires se sauvé rent; je les fis suivre ; ils se jetèrent sur les gra+ dins de St.-Roch. On n'avait pu passer qu'une pièce, tant la rue était étroite. Elle fit feu sur cette cohue, qui se dispersa en laissant quelques morts le tout fut terminé en dix minutes.

» Cet événement, si petit en lui-même, eut de grandes conséquences : il empêcha la révolu tion de rétrograder. Je m'attachai naturellement au parti pour lequel je venais de me battre, et je me trouvai lié à la cause de la révolution. Je commençai à la mesurer et je restai convaincu qu'elle serait victorieuse, parce qu'elle avait pour elle l'opinion, le nombre et l'audace,

L'affaire des sections m'éleva au grade de général de division, et me valut une sorte de célébrité. Comme le parti vainqueur était inquiet de sa victoire, il me garda à Paris malgré moi, car je n'avais d'autre ambition que celle de faire la guerre dans mon nouveau grade.

Je restai donc désœuvré sur le pavé de Paris. Je n'y avais pas de relations; je n'avais aucune habitude de la société, et je n'allais que dans celle de Barras, où j'étais bien reçu. C'est là où j'ai vu, pour la première fois, ma femme, qui a eu une grande influence sur ma vie, et dont la mémoire me sera toujours chère.

» Je n'étais pas insensible aux charmes des femmes, mais jusqu'alors elles ne m'avaient pas gâté, et mon caractère me rendait timide auprès d'elles. Madame de Beauharnais est la première qui m'ait rassuré. Elle m'adressa des choses flatteuses sur mes talens militaires, un jour où je me trouvai placé auprès d'elle; cet éloge m'enivra; je m'adressai continuellement à elle; je la suivais partout ; j'en étais passionnément amoureux, et notre société le savait déjà, que j'étais encore loin d'oser le lui dire.

pour

» Mon sentiment s'ébruita; Barras m'en parla. Je n'avais le mier. En ce cas, de raison pas me dit-il, il faut que vous épousiez madame de Beauharnais. Vous avez un grade et des talens à faire valoir; mais vous êtes isolé, sans fortune, sans relation; Il faut vous marier, Gela donne de l'à-plomb, Madame de Beauharnais est agréable et spirituelle, mais elle est veuve. Cet état ne vaut plus rien aujourd'hui; les femmes

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