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turer jusqu'au centre de l'Autriche ; j'arrivai jusqu'à la vue de Vienne, et je signai là le traité de Campo Formio. Ce fut un acte glorieux pour la France.

Le parti que j'avais favorisé au 18 fructidor était resté maître de la république. Je l'avais favorisé, parce que c'était le mien, et parce que c'était le seul qui pút faire marcher la révolution (1). Or, plus je m'étais mêlé des affaires, plus je m'étais convaincu qu'il fallait achever cette révolution, parce qu'elle était le fruit du siècle et des opinions. Tout ce qui retardait sa marche ne servait qu'à prolonger la crise.

» La paix était faite sur le continent; nous n'étions plus en guerre qu'avec l'Angleterre; mais, faute de champ de bataille, cette guerre nous laissait dans l'inaction.

» J'avais la conscience de mes moyens ; ils étaient de nature à me mettre en évidence, mais ils n'avaient point d'emploi. Je savais cependant qu'il fallait fixer l'attention pour rester en vue, et qu'il fallait tenter pour cela des choses extraordinaires, parce que les hommes savent gré de les étonner. C'est en vertu de cette opinion que j'ai imaginé l'expédition d'Egypte. On a voulu

(1) Ceci est en contradiction avec ce qui a été dit, p. 19.

l'attribuer à de profondes combinaisons de ma part; je n'en avais pas d'autre que celles de ne pas rester oisif après la paix que je venais de conclure (1).

» Cette expédition devait donner une grande idée de la puissance de la France: elle devait attirer l'attention sur son chef; elle devait surprendre l'Europe par sa hardiesse. C'étaient plus de motifs qu'il n'en fallait pour la tenter, mais je n'avais pas alors la moindre envie de détrôner le grand-turc, ni de me faire pacha.

» Je préparais le départ dans un profond secret. Il était nécessaire au succès, et il ajoutait au caractère singulier de l'expédition.

» La flotte mit à la voile. J'étais obligé de détruire, en passant, cette gentilhommière de Malte, parce qu'elle ne servait qu'aux Anglais, Je craignais que quelque vieux levain de gloire ne portât ces chevaliers à se défendre et à me retarder: ils se rendirent, par bonheur, plus. honteusement que je ne m'en étais flatté.

» La bataille d'Aboukir détruisit la flotte, et

(1) C'était donc pour fixer l'attention et rester en vue, que Bonaparte compromettait le sort d'une brave armée et de la marine française. Qu'on nous dise ensuite que cet homme était guidé par l'amour du bien public.

livra la mer aux Anglais. Je compris, dès ce moment, que l'expédition ne pouvait se terminer que par une catastrophe (1): - Car toute armée qui ne se recrute pas, fuit toujours par capituler, un peu plutôt ou un peu plus tard.

» Il fallait en attendant rester en Egypte, puisqu'il n'y avait pas moyen d'en sortir. Je mé décidai à faire bonne mine à mauvais jeu. J'y réussis assez bien.

>> J'avais une belle armée; il fallait l'occuper, et j'achevais la conquête de l'Egypte, pour employer son temps à quelque chose. J'ai livré par-là aux sciences le plus beau champ qu'elles aient jamais exploité.

» Nos soldats étaient un peu surpris de se trouver dans l'héritage de Sésostris; mais ils prirent bien la chose, et il était si étrange de voir un Français au milieu de ces ruines, qu'ils s'en amusaient eux-mêmes.

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N'ayant plus rien à faire en Egypte, il me parut curieux d'aller en Palestine, et d'en tenter la conquête. Cette expédition avait quelque chose de fabuleux. Je m'y laissai séduire. Je fus mal informé des obstacles qu'on m'opposerait, et je ne pris pas assez de troupes avec moi.

(1) Voilà ce que valut à la France le desir de Bonaparte de rester en vue.

» Parvenu au-delà du désert, j'appris qu'on avait rassemblé des forces à Saint-Jean-d'Acre Je ne pouvais pas les mépriser ; il fallut y marcher. La place était défendue par un ingénieur français; je m'en aperçus à sa résistance: il fallut lever le siége: la retraite fut pénible. Je luttai pour la première fois contre les élémens; mais nous n'en fûmes pas vaincus.

» De retour en Egypte, je reçus des journaux par la voie de Tunis. Ils m'apprirent l'état déplorable de la France, l'avilissement du directoire, et le succès de la coalition. Je crus pouvoir servir mon pays une seconde fois. Aucun motif ne me retenait en Egypte, c'était une entreprise · épuisée. Tout général était bon pour signer une capitulation que le temps rendrait inévi table (1), et je partis sans autre dessein que celui de réparaître à la tête des armées pour y ramener la victoire.

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Débarqué à Fréjus, ma présence excita l'enthousiasme du peuple. Ma gloire militaire rassurait tous ceux qui avaient peur d'être battus. C'était une affluence sur mon passage: mon voyage

(1) Compromettre un armée pour fixer l'attention sur soi, et l'abandonner quand on l'a compromise; voilà l'héroïsme de Bonaparte.

ent l'air d'un triomphe, et je compris en arrivant à Paris que je pouvais tout en France.

» La faiblesse du gouvernement l'avait mis à deux doigts de sa perte: j'y trouvai l'anarchie. Tout le monde voulait sauver la patrie, et proposait des plans en conséquence. On venait m'en faire confidence ; j'étais le pivot des conspirations; mais il n'y avait pas un homme à la tête de ces projets qui fût capable de les mener. Ils comptaient tous sur moi, parce qu'il leur fallait une épée. Je ne comptais sur personne, et je fus maître de choisir le plan qui me convenait le

mieux.

» La fortune me portait à la tête de l'état. J'allais me trouver maître de la révolution, car je ne voulais pas en être le chef: le rôle ne me convenait pas. J'étais donc appelé à préparer le sort à venir de la France, et peut-être celui du monde.

>> Mais il fallait auparavant faire la guerre; faire la paix; assouvir les factions (1); fonder mon autorité. Il fallut remuer cette grosse machine

(1) Pour fonder son autorité, il fallait assouvir les factions; et c'est pour assouvir les factions qu'il fallait mettre la France et l'Europe au pillage. Tel était l'amour du bien public qui lui avait fait abandonner son armée d'Égypte.

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