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cris de sédition, et ceux qui se disaient les plus dévoués, parce qu'ils étaient les mieux payés sont les premiers à exciter l'orage qui doit renverser l'homme qu'on disait et qui se croyait inébranlable.

Qui pouvait se croire plus en sûreté sur son trône que le roi du Brésil ? Tout paraissait tranquille dans ses états; les autorités étaient soumises; les officiers de l'armée étaient à lui; chacun vivait dans cette heureuse et profonde ignorance qui assure la tranquillité des bons rois et

le

repos de la conscience des ministres; bien loin de craindre ses voisins, le prince se disposait à profiter de leurs discordes pour arrondir ses domaines; son alliance était briguée par les monarques les plus puissans de l'Europe; rien en un not ne manquait à sa prospérité, à sa gloire, à la splendeur de son trône, ou, s'il y manquait quelque chose, c'était si peu qu'il ne devait pas s'en mettre en peine : il avait seulement oublié de suivre l'exemple du plus sage des rois, de Salomon il ne s'était pas assez dit, en parlant de ses peuples, opprimons-les avec sagesse ; et ses sujets se croyaient misérables.

Un événement funeste est venu interrompre le cours de tant de prospérités. Les habitans avaient été soumis à des taxes énormes; une conscrip

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tion excessive, exécutée avec la plus grande rigueur, avait enlevé les bras les plus utiles à l'in dustrie, pour faire des conquêtes propres à relever la splendeur du trône et à appauvrir la nation; la milice ne recevait plus de paie; elle n'avait aucun moyen d'existence. Le mal était arrivé à un tel excès, qu'une conspiration générale s'était formée. Les sujets, les mécontens ou les conspi rateurs comme on voudra les appeler, se plaignaient hautement. La cour, instruite de cette conspiration, avait donné ordre à ses troupes de. faire tomber en même temps cent cinquante têtes des plus marquantes pour appaiser le mécontentement cet ordre avait transpiré. Le colonel d'un régiment passant une revue, accuse un de ses officiers d'être un traître ; celui-ci croit que c'est le signal du massacre des conjurés ; il tire son sabre et abat le colonel à ses pieds. Sur-le-champ le tocsin sopne; le peuple et les soldats se soulèvent; ils s'emparent des canons et des munitions des bâtimens qui se trouvent dans la rivière ; enfin on recherche les armes de toute espèce. Le gouverneur de Fernanbouc veut d'abord faire résistance; mais il voit qu'il ne peut compter que sur les officiers attachés à sa personne ; il se retire au fort qu'il est obligé de rendre le lendemain. Le peuple des campagnes se porte en foule

Cens. Européen. Toм. III. 18

à Fernanbouc, plein d'enthousiasme pour la ré volution. Un congrès est convoqué; et en attendant qu'il se réunisse, un gouvernement provisoire, à la tête duquel se trouve Domingo Martines, prend la direction des affaires, et proclame un projet de constitution; ce projet repose sur les mêmes bases que la constitution des EtatsUnis de l'Amérique du nord. La liberté de conscience, la liberté de commerce sans restriction, en sont les points fondamentaux. L'insurrection devient générale dans tout le Brésil : les indépendans ont pris Bahia et San- Salvador, et leurs forces augmentent tous les jours. Cette révolu tion s'est opérée presque sans effusion de sang. La cour, pour appaiser la fermentation, avait ordonné le massacre de cent cinquante personnes des plus considérables: huit ou dix personnes seulement ont péri dans l'insurrection (1).

Les journaux ministériels d'Angleterre attribuent cette révolution aux principes des insurgés de l'Amérique espagnole. espagnole. « Avec l'activité qui

forme un des traits distinctifs du caractère des révolutionnaires, dit le Courrier, les insurgés ont déjà préparé et promulgué une nouvelle constitution, l'épée d'une main et les droits de l'homme

(1) Moniteur universel du 31 mai 1817.

del'autre. Les journalistes du ministère déplorent cet événement du ton le plus lamentable. Ils di sent que les révolutionnaires de tous les pays, qui aiment les révolutions pour elles-mêmes, et parce qu'elles détruisent les institutions et les monunens des siècles passés, recevront cette nouvelle avec transport, et qu'elle sera également bien reçue par ceux qui l'envisageront sous le point de vue commercial. Mais, continuent-ils, quand nous la considérons comme donnant une force nouvelle au principe de l'insurrection déjà en vigueur dans l'Amérique espagnole ; quand nous jetons les yeux sur la mappemonde, et que nous voyons un pays aussi vaste que la moitié du Nouveau Monde en proie aux doctrines révolution naires; quand, etc., etc., nous ne pouvons nous empêcher de répéter que nous n'avons point l'ame assez forte pour voir cet événement sans un sentiment d'affliction et de terreur.

Si le ministère britannique veut effrayer les peuples d'Europe, en offrant à leurs yeux le tableau des révolutions d'Amérique, il se montre peu adroit ; il ne doit pas lui-même manifester des sentimeus d'affliction et de terreur ; il faut au contraire qu'il prenne un air de contentement et de triomphe; alors il peut être assuré les événemens du Nouveau-Monde porteront

que

la crainte dans toutes les ames; ceux mêmes qui les auront desirés avec la plus vive ardeur, croiront s'être trompés dès qu'ils verront que ces événemens sont pour lui un sujet de joie.

L'indépendance de l'Amérique du nord, qui a été en grande partie l'ouvrage de la France, est devenue un bienfait pour ce pays, pour les peuples du continent et pour l'Angleterre ellemême. L'indépendance de l'Amérique espagnole et du Brésil pourrait-elle être un malheur pour le monde ?

Nous autres, peuples européens, nous ne sommes pas très-jaloux de notre indépendance, si nous en jugeons par la facilité avec laquelle nous portons atteinte les uns à celle des autres, et par la patience avec laquelle nous supportons le joug que nous nous imposons tour-à-tour. Cependant si nous voyions des Américains débarquer sur nos côtes pour nous rendre leurs colons, il est permis de douter si nous approuverions leur entreprise. Nous sommes révoltés que les Barbaresques fassent des incursions sur nos côtes pour y faire des esclaves; et que dirions-nous donc s'ils venaient nous apporter leurs lois et leurs gouvernemens, s'ils voulaient à toute force nous faire jouir du règne paternel de quelques-uns dè leurs princes?

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