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Personne au reste ne doit se laisser prendre aux gémissemens de crocodile, qui nous sont transmis par quelques feuilles britanniques. C'est en Amérique que se prépare l'affranchissement des mers; tous les peuples y proclament l'indépendance absolue du commerce, et leur puissance s'accroît d'une manière prodigieuse: or, l'on conçoit que cela doit effrayer un gouvernement qui a fondé son existence sur le monopole de tout le commerce du monde. Si les peuples. du continent étaient assez insensés pour attenter à l'indépendance des Américains, ils deviendraient l'instrument de leur propre servitude; ils se ruineraient pour soutenir des guerres dont le résultat, quel qu'il fût, serait funeste à leur indépendance et à leur commerce.

Les peuples d'Europe n'ont qu'une chose à désirer; c'est que les Américains qui viennent de recouvrer leur indépendance, soient assez sages pour organiser un bon gouvernement, et assez forts pour se faire respecter. Ils auront assez de sagesse, parce qu'ils ne sont pas assez érudits pour aller chercher, comme les Français, des modèles de gouvernement et de conduite dans les annales de Rome ou de la Grèce ils ne singeront ni les Brutus, ni les Publicola 'ni les César, ce qui serait encore pire. Le

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vernement de leurs voisins leur servira de modèle, et les préservera des extravagances dans lesquelles les Français ont été jetés. Qu'ils se méfient sur-tout des exagérés; car ce sont les hommes qui perdent tout, Si leurs ennemis désespèrent de les réduire par la force, ils tenteront de les détruire en les poussant à des excès; et c'est à quoi peuvent servir l'exagération et le faux patriotisme.

Nous avons rapporté dans notre second volume une lettre attribuée à Jésus-Christ. Nous l'avons donnée comme ayant été publiée avec permission de l'autorité, sans examiner quels en étaient les véritables auteurs. Voici une lettre qui nous en fait connaître l'origine, et qui nous prouve que les prédications des missionnaires à Bordeaux n'ont pas été stériles.

« La fameuse lettre de J.-C. a produit un effet défavorable pour les missionnaires. De pareilles absurdités, dignes du treizième siècle, ne pouvaient réussir dans le dix-neuvième. Les missionnaires ne tardèrent pas à s'en apercevoir, et ils dirent en chaire que cette lettre avait été fabriquée par les ennemis de la religion, pour les li-. vrer à la risée du peuple. Il est vrai que le peuple se moquait de la lettre, et commençait même à rire de ceux auxquels il l'attribuait ; mais il n'est pas vrai que les véritables auteurs de cette pièce ridicule, quels qu'ils puissent être, l'aient comhaine des missionnaires. Il y a plus dé trente ans que cette lettre existe. Elle fut imprimée dans le dix-huitième siècle, à une époque

posée par

où les philosophes endoctrinaient le monde ; elle avait pour objet de prévenir ou de détruire les effets des doctrines philosophiques, et l'on conviendra que c'était une assez pauvre réponse aux pages éloquentes de Rousseau et aux traits malins de Voltaire. Un exemplaire de cette lettre était depuis cinq ans entre les mains d'un habitant de Bordeaux, homme de grande piété, si toutefois on est pieux quand on porte l'amour de la religion jusqu'à la superstition la plus absurde,

» Il avait enfermé soigneusement cet écrit sous verre. M. l'abbé F****, missionnaire, peut en rendre témoignage; il ne l'ignore certainement pas, puisque c'est lui qui dirige la conscience de cet homme, l'un de ses pénitens. Cet ardent bigot, plus exalté encore par la présence et les discours des missionnaires, crut faire merveille en donnant une nouvelle publication à cette lettre, et l'imprimeur la fit crier et vendre dans les rues, Elle eut d'abord une grande vogue: la singularité du fait știmula la curiosité; mais bientôt la curiosité fit place au mépris, et les missionnaires ne tardèrent pas à s'en apercevoir. On les accusait hautement d'en être les auteurs. Cette accusation n'était pas juste ; mais elle était naturelle : leurs sermons n'annoncent pas toujours une religion bien éclairée, et l'on pouvait croire, sans

trop de malignité, qu'ils connaissaient assez mal le siècle pour compter sur le succès d'une fraude pieuse qui, dans des temps plus reculés, n'eût pas manqué son effet sur l'esprit de la multitude ignorante.

» Ils sentirent que leur crédit était ébranlé; ils voulurent le raffermir, en attribuant à leurs ennemis cet écrit que l'on supposait venir d'eux; ils eussent mieux fait de dire la vérité. M. l'abbé F****, je le répète, ne l'ignorait pas; la religion lui commande de faire du bien à ses ennemis, devait-il les calomnier ?.... Qui l'empêchait de déclarer la superstitieuse crédulité de son pénitent? Ignore-t-il que la superstition nuit plus encore à la religion que les efforts des impies?

» Il reste à savoir comment il se fait que la lettre de Jésus-Christ a été criée et vendue dans les rues de Bordeaux. Qu'elle eût été simplement exposée chez les libraires, rien n'y mettait obstacle; mais l'administration supérieure devaitelle permettre, ne devait-elle pas empêcher une publicité si scandaleuse ? C'était d'elle seule que les missionnaires avaient droit de se plaindre, Cependant ils ne lui ont fait aucun reproche. Il faut donc croire que si l'administration a autorisé le scandale, ou l'a toléré, elle a aussi mal jugé le siècle que le pénitent de M. l'abbé F****,

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