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» Au reste, tout ce qui pousse l'homme hors des limites de la raison, ne produit rien d'avantageux pour la morale et pour la religion. Nos missionnaires sont partis ; vous savez qu'ils nous ont laissé une croix qu'ils ont plantée en grande pompe. La foule se rend nuitamment à ce calvaire, non par esprit de dévotion, mais comme autrefois à Longchamp, par partie de plaisir. Le prétexte de la religion sert de voile au libertinage, la nuit le favorise, et déjà les parens prudens interdisent à leurs filles ce dangereux pélerinage. Qu'on nous disc donc maintenant s'il ne valait pas mieux se reposer sur nos curés du soin de faire refleurir les doctrines religieuses, et si nous avions besoin que des ecclésiastiques nomades s'occupassent de notre salut! >>

- Voici une lettre écrite de Rennes, le 31 mars, à M. de la R.... qui paraît pouvoir se placer à la suite de celle qu'on vient de lire :

« A l'instant où nous pensions que toutes les mascarades étaient finies, et que le carême prenait, nous avons appris que dans les environs de Brest, venait de se jouer une très-jolie petite comédie dont on nous a fait part, et dont je vais vous donner le détail.

» Un moribond, dont la tête était moins af

faiblie que le corps, sentant que son heure était venue, voulait mourir saintement et bien lave par les mains du curé de sa paroisse. Celui-ci après avoir passé en revue tous les menus péchés du patient, prétendait toujours qu'on lui cachait quelque chose. Enfin ne pouvant plus rien tirer du mourant, après avoir employé vainement bien des détours pour parvenir à son but, il lui dit ingénuement qu'il était un acquéreur de biens nationaux, et que s'il ne se lavait pas de ce péchélà soit en les rendant à l'ancien propriétaire, soit en les donnant à l'église, lui, curé, lui refuserait tout net l'absolution, et que lui, mourant, irait en enfer droit comme un I. Le malade avait beau dire qu'il avait acheté, il est vrai, mais bien payé ; que le roi et la loi reconnaissaient que sa propriété était bien à lui, et que s'il rendait des biens dont l'acquisition lui avait coûté son patrimoine, il frustrerait ses enfans du leur, ce qui n'était pas d'une justice rigoureuse. Le curé lui ripostait qu'avec des biens comme ceux-là on était damné comme la poule à Simon; que c'était rendre un service à ses enfans que de les leur enlever, dussent-ils être réduits à vivre comme St. Roch et son chien; et qu'au reste puisqu'il faisait la sourde oreille, il l'envoyait charitablement à tous les diables, en s'écriant,

d'une voix prophétique, que Satan, qui déjà tenait son ame, viendrait certainement, à l'instant de sa mort, enlever son cadavre pour en faire ses choux gras. Le curé sortit furieux. Le patient envoya chercher tout bonnement un deuxième prêtre qui lui délivra ses papiers de voyage, et le mourant devint mort quelques heures après.

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Cependant la menace du curé avait donné l'éveil, Un fils du damné, ancien hussard, d'autres disent dragon, résolut de veiller auprès des restes de son père. Il s'associa un gaillard qui, comme lui, avait couru le monde, et avait appris en Egypte à ne pas craindre, quelques années après, les sorciers de la Prusse.—A minuit, grand bruit dans la maison, la porte s'ouvre; deux moyens diables jetant du feu à pleines mains et par la bouche, précédaient un grand diable couvert de feu et armé de cornes d'une honnête longueur.-Voilà le dragon qui tire son, sabre et qui crie; oui, S. N. D. D., les diables: de ce pays-ci ne sont pas plus méchans que les diables de Moscow qui ne m'ont pas fait peur? Attendez que je vous reconduise. - Les petits diables se sauvent. Le grand diable veut parer, un coup de sabre avec la main: hélas! trois de ses. doigts tombent à terre, et la douleur lui faisant

retrouver la parole, il demande grâce, en bas breton, et fait reconnaître dans satan le curé de la paroisse. On a voulu le traduire devant les assises de Quimper; mais je crois qu'on est venu à bout d'assoupir cette affaire, quant aux poursuites, et cela devait être ; car, puisqu'il était permis à nos missionnaires d'éteindre les chandelles dans une: église, de faire sonner la trompette et de parodier l'ange du jugement dernier, il doit être bien permis à un curé bas breton de jouer le diable, attendu qu'il y a plus d'analogie.

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Ce n'est pas seulement à Bordeaux que les prédications opèrent; à Amiens, un bon curé a fait la confession publique de ses erreurs et de ses péchés de la manière la plus édifiante. M. le curé a voulu que sa confession fût imprimée et publiée au nombre de cinq cents exemplaires (1).. Nous croyons servir ses intentions en la faisant

(1) Voici la lettre adressée par le vénérable curé à son imprimeur, Caron-Vitet :

« Monsieur, quoique ma profession de foi ait été affichée et publiée, d'après ma demande expresse à mes supérieurs ecclésiastiques, dans les paroisses de la ville d'Amiens, je désire qu'elle soit imprimée au nombre de 500 exemplaires, pour être envoyée, par moi, dans les différentes paroisses du diocèse qui peuvent avoir connaissance de

connaître à nos lecteurs. Comme il s'agit de péchés révolutionnaires, et que nous vivons dans un temps de conversions, on ne saurait trop mul tiplier les exemples qui doivent conduire les ames égarées dans la voie du salut.

« Je soussigné, Charles - Léonard Quignon, âgé de quatre-vingt-deux ans, attaqué depuis un mois d'une maladie dangereuse, et devant раraître peut-être bientôt devant le tribunal de Dieu, je veux, autant qu'il est en mon pouvoir, réparer les scandales que j'ai donnés depuis les premiers momens de la révolution jusqu'à présent.

»Ne pouvant, comme je le desire, faire moimême la profession publique des sentimens que le Seigneur, dans sa grande miséricorde, met aujourd'hui dans mon coeur, et les faire connaître en personne au respectable prélat monseigneur de Mandolx, mon véritable et légitime évêque, je les consigue dans cet écrit que j'ai lu et signé (1) devant M. Jean-Baptiste Vasseur, ancien

mes erreurs et de mes torts pendant le cours de la révo◄ lution.

» Je vous prie de m'envoyer ces 500 exemplaires le plutôt possible. Votre très-humble serviteur, QUIGNON. » Amiens, 22 février 1817. »

(1) On dirait que le bon curé ne l'a pas fait.

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