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» Le jeune Alexandre venait de monter sur le trône. Comme les enfans aiment à faire le contraire de leurs parens, il me déclara la guerre, parce que son père avait fait la paix. Car nous n'avions rien encore à démêler avec les Russes, leur tour n'était pas venu (1), mais les femmes et les courtisans l'avaient décidé ainsi. Ils ne croyaient faire qu'une chose de bon goût, parce que je n'étais pas à la mode dans le beau monde ; et ils commençaient, sans le savoir, le système auquel la Russie devra sa grandeur.

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La coalition n'a jamais ouvert la campagne plus mal-adroitement. Les Autrichiens s'imaginèrent de me surprendre. Cette prétention ne leur réussit pas..

» Ils inondèrent la Bavière sans attendre l'arrivée des Russes. Ils s'en vinrent, à marche forcée, sur le Rhin. Mes colonnes avaient quitté le camp de Boulogne, et traversaient la France. Nous passâmes le Rhin à Strasbourg. Mon avantgarde rencontra les Autrichiens à Ulm et les culbuta. Je marchai sur Vienne à tour de route. J'y entrai sans obstacle. Un général autrichien oublia de couper les ponts du Danube. Je passai la rivière. Je l'aurais passée également, mais j'en arrivai plus vîte en Moravie.

(1) Leur tour devait donc arriver.

>> Les Russes débouchaient seulement. Les débris autrichiens coururent se réfugier sous leurs drapeaux. L'ennemi voulut tenir à Austerlitz; il fut battu. Les Russes se retirèrent en bon ordre, et me laissèrent l'empire d'Autriche.

» L'empereur François me demanda une entrévue : je la donnai dans un fossé. Il me demanda la paix, je l'accordai; car qu'aurais-je fait de son pays. Il n'était pas moulé pour la révolution. Mais, pour diminuer ses forces, je demandai Venise la Lombardie, et le Tyrol pour pour Bavière, afin de renforcer au moins mes amis aux dépens de mes ennemis. C'était bien le moins.

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» Ce n'était pas le moment de disputer; la paix fut signée. Je la fis proposer en même temps aux Russes. Alexandre la refusa.

» Ce refus était noble; car, en acceptant la paix, il acceptait l'humiliation des Autrichiens.

>> En refusant, il montra de la fermeté dans les revers et de la confiance dans la fortune : ce refus m'apprit que le sort du monde dépendrait de nous deux.

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» La campagne recommença. Je saivis la retraite des Russes. J'arivai en Pologne. Un nouveau théâtre s'ouvrait à nos armes. J'allai voir cette vieille terre de l'anarchie et de la liberté, cour

bée sous un joug étranger; les Polonais attendaient ma venue pour le secouer.

» J'ai négligé le parti que je pouvais tirer des' Polonais (1), et c'est la plus grande faute de mon règne. Je savais cependant qu'il était essentiel de relever ce pays, pour en faire une barrière à la Russie et un contre-poids à l'Autriche; mais les circonstances ne furent pas assez heureuses à cette époque pour réaliser ce plan.

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» D'ailleurs les Polonais m'ont paru peu propres à remplir mes vues. C'est, un peuple passionné et léger. Tout se fait chez eux par fantaisie et rien par système. Leur enthousiasme est violent; mais ils ne savent ni le régler ni le perpétuer. Cette nation porte sa ruine dans son caractère.

» Peut-être qu'en donnant aux Polonais un plan, un système et un point d'appui, ils auraient pu se former avec le temps.

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» Quoique mon caractère ne m'ait jamais porté à faire les choses à demi, je n'ai cependant fait que cela en Pologne, et je n'en suis mal trouvé. Je m'avançai au cœur de l'hiver vers les pays

(1) Remarquez que c'est toujours de lui qu'il s'agit', les peuples pour lesquels il semble travailler ne sont jamais dans ses mains que des instrumens.

du nord. Le climat n'inspirait aucune défiance' au soldat. Son moral était excellent. J'avais à combattre une armée maîtresse de son terrain et de son climat. Elle m'attendait sur les fron-. tières de la Russie. J'allai l'y chercher, parce qu'il ne fallait pas laisser languir mes troupes dans de mauvais cantonnemens. Je rencontrai l'ennemi à Eylau : l'affaire fut meurtrière et indécise.

>> Si les Russes nous avaient attaqués le lendemain, nous aurions été battus; mais leurs généraux n'ont heureusement pas de ces inspirations. Ils me donnaient le temps de les attaquer à Friedland. La victoire y fut moins douteuse.-Alexandre s'était vaillamment défendu ; il me proposa la paix. Elle était honorable pour les deux nations, car elles s'étaient mesurées avec une égale bravoure. La paix fut signée à Tilsit elle le fut de bonne foi ; j'en atteste le czar lui-même.

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» Telle fut l'issue des premiers efforts de la coa lition contre l'empire que je venais de fonder. Elle éleva la gloire de nos armées ; mais elle laissa la question indécise entre l'Europe et moi (1)

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(1) Ce n'était pas entre l'Europe et la France, mais entre l'Europe et lui; c'est donc uniquement à cause de

lui

que

la France a été sacrifiée.

Cens. Europ. -TOм. III.

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car nos ennemis n'avaient été qu'humiliés : ils n'étaient ni détruits ni changés. Nous nous re-; trouvions au même point, et, en signant la paix, je prévis une nouvelle guerre.

» Elles étaient inévitables, tant que le sort de la guerre n'amènerait pas de nouvelles combinaisons, et tant que l'Angleterre aurait un intérêt personnel à les prolonger.

» Il fallait donc profiter du repos passager que venais de rendre au continent, pour élargir la base de l'empire, afin de la rendre plus so- ' lide pour les attaques à venir. Le trône était héréditaire dans ma famille : elle commençait ainsi une dynastie nouvelle, que le temps devait consacrer, comme il a légitimé toutes les autres ; car depuis Charlemagne, aucune couronne n'avait été donnée avec autant de solennité. Je l'avais reçue du vœu des peuples et de la sanction de l'église ma famille, appelée à régner, ne devait pas rester mêlée dans les rangs de la société; ç'eût été un contrè-sens (1).

» J'étais riche en conquêtes. Il fallait lier in

(i) Il fallait donc faire de tous les Bonaparte autant de souverains. Où en serait le monde si tous les rois faisaient le même raisonnement pour les membres de leur famille ?

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