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XXXVI.

Mémoire

présenté par les Ministres plénipotentiaires de l'Ordre souverain de St. Jean de Jérusalem à Leurs Excellences les Membres du Congrès de Vienne *).

(Daté de Vienne le 24. février 1815.)

Un injuste aggresseur, sans provocation, sans prétexte, dans le temps même que son gouvernement profitoit de l'hospitalité généreuse qu'on accordoit à ses vaisseaux, secondé par des. conspirateurs perfides, dépouilla l'Ordre de St. Jean de Jérusalem du petit, mais florissant état qu'il avoit fondé sur le rocher obtenu de la libéralité de l'Empereur Charles-Quint.

Ce malheur étoit grand sans doute, mais l'Ordre ne perdit ni son existence, ni le caractère sacré de souverain qu'il portoit dignement puis tant de siècles. Un monarque des plus puissans de l'Europe **) se déclara le Chef de l'Ordre, dans le seul dessein de lui rendre son ancienne splendeur: son auguste fils en renonçant à ce titre n'a pas cessé d'en être le Protecteur. Le souverain de la Sicile lui ouvrit un asile dans ses états, sans blesser son indépendance. Un nouveau Grand-Maître fut nommé par Sa Sainteté, sur

*) Le premier Mémoire présenté par MM. les Ministres plénipotentiaires du même Ordre, en date du 20 septembre 1814, se trouve plus, haut Tome Ier, cabier 3. pag. 85. et suiv. Note de l'éditeur.

**) Paul Ier.

la demande même de l'Ordre et de l'aveu des puissances. Ses Ministres furent reçus dans toutes les cours où il étoit dans le cas d'en envoyer, et Buonoparte lui-même le comprit dans le traité d'Amiens. L'inexécution de ce traité augmenta les malheurs de l'Ordre; ses biens furent de plus en plus envahis: les souverains mêmes qui lui étoient les plus propices crurent devoir les mettre temporairement sous leur surveillance, jusqu'à ce qu'ils fussent rendus à leur premier objet d'utilité générale.

Cependant l'Ordre n'en existoit pas moins dans tous les états, excepté dans ceux immédiatement soumis à Napoléon, qui le regardoit, non comme éteint, mais comme étranger. Sur ces entrefaites le Grand-Maître meurt: le St. Père, quoiqu'instamment prié, ne trouva pas dans sa sagesse de prendre sur lui la détermination de lui donner un successeur*); mais en se servant de l'autorité qui lui est attribuée, et dont il avoit fait également usage dans d'autres circonstances extraordinaires il décerna au sacré conseil toujours subsistant à Catane, et au Lieutenant de la Grande - Maîtrise, élu par celui-ci, les facultés nécessaires pour continuer à régir l'Ordre dans la situation où il se trouvoit. Tel est l'état où il a été trouvé lors des évènemens glorieux et à jamais mémorables, qui ont rendu à l'Europe sa liberté, aux souverains leur sceptre, aux sujets leur tranquillité.

Malte avoit été reconquise par une puissance aussi généreuse qu'invincible. Ses compagnons de victoire lui en ont assuré la possession. L'Ordre est bien éloigné d'élever sa voix contre un *) S. Bd. I. . H. 3. S. 94.

tel engagement. Il a toujours fait gloire de soumettre sa volonté à celles des souverains de la chrétienté. Il recconnoît que son sort est dans leurs mains; il en conçoit les plus belles espérances, et, ne se dissimulant pas combien le moment actuel est décisif pour son destin, en ce que c'est au congrès de Vienne qu'il doit trouver son tombeau ou sa restauration, il se persuade que ces magnanimes souverains, qui réparent autant que possible tous les maux faits par la révolution, ne voudront pas achever la ruine de l'Ordre et détruire même les restes qui y ont échappé. Et les possesseurs actuels de Malte et de tout ce que l'Ordre y avoit réuni ou créé par trois siècles de travaux et de dépenses nè saisiront-ils pas avec leur magnanimité ordinaire l'occasion d'ajouter à leur gloire en tendant une main secourable à leurs devanciers et en assurant leur existence par une équitable compensation?

L'Ordre de St. Jean de Jérusalem a envoyé ses plénipotentiaires au congrès, non pour demander une subsistance opulente et oisive, mais d'être mis en état de continuer à prodiguer son sang et ce qui lui reste de biens, pour s'exercer dans les vertus de ses prédécesseurs, la charité et la valeur. Et qui est l'Ordre qui fait cette demande? Cest une corporation qu'aucune nation chrétienne ne peut considérer comme étrangère c'est la Noblesse européenne elle-même, qui n'est qu'une avec l'Ordre de St. Jean, puisque c'est d'elle qu'il reçoit ses membres et que c'est à Elle qu'il ouvre cette carrière qui a mis tant d'illustres sujets en état de cueillir des lauriers au service de leur prince et de leur patrie.

La noblesse allemande a déjà manifesté formellement ses voeux pour conservation de cet Ordre; celle des autres pays auroit suivi ou précédé son exemple, si elle avoit pu comme la première, sexpliquer devant le congrès par ses représentans. Mais sa voix n'en retentit pas moins dans toute l'Europe. Ce sont ces raisons et ces espérances expliquées plus au long dans le mémoire (le seul *) de la part de l'Ordre qui ait un caractère officiel) que sous la date du 20 septembre dernier, les soussignés ont eu l'honneur d'adresser aux représentans des hautes puissances qui leur font prendre la confiance de soumettre au Congrès, d'après leurs instructions, les demandes respectueuses de leur Ordre, qui sont les suivantes :

1. Que, puisqu'en conséquence des évènemens et des engagemens pris par les hautes puissances qui ont signé le traité de Paris, il n'est pas possible que Malte, avec toutes ses appartenances, soit rendue à l'Ordre de St. Jean de Jérusalem, celui-ci soit pourvu d'un autre établissement également libre et souverain, dans les limites de la Méditerranée, tel qu'il soit convenable à l'exercice de son institut, qui est d'entretenir un hôpital ouvert à toutes les nations, et d'armer des navires contre les pirates Barbaresques, et autres infidèles qui exerceroient des hostilités contre les nations chrétiennes.

*) Un autre Mémoire pour l'Ordre, avoit été présenté au Congrès par M. le commandeur Vié de Césarini. On le trouve plus haut T. V. p. 490 et suiv. Remarque de l'éditeur.

2. Que la possession libre et indé pendante de cet établissement soit garantie à l'Ordre par toutes les hautes puissances assemblées au Congrès, ainsi que la neutralité constitutionnelle, et que pour la plus grande sécurité de celle-ci, en cas de guerre entre puissances chrétiennes, il soit déclaré le nombre et la force des bâtimens de guerre de chacune des nations belligérantes qui pourront être reçus à la fois dans ses ports.

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3. Que la puissance qui retiendra l'île de Malte, veuille indemniser l'Ordre des biens et propriétés de toute espèce, qu'il a été obligé d'y laisser, et cela comme le lui dictera sans doute sa justice et sa générosité.

4. Que le Congrès daigne employer ses bons offices, envers tous les souverains sous la domination desquels l'Ordre a des biens et des propriétés retenus provisoirement, afin qu'ils veuillent les lur rendre, et que pour la partie de ces biens qui auroit été vendue ou autrement aliénée, il leur plaise de l'indemniser par d'autres biens ou revenus, selon que les circonstances respectives de chaque état pourroient le comporter. On sollicite également les bons offices de chaque plénipotentiaire en particulier, auprès de la puissance quil représente.

5. Que si, ces bases accordées, qui toutes sont essentielles, moins pour l'Ordre lui-même que pour l'utilité générale de laquelle il a toujours été et dont il désire encore d'ètre, il fût trouvé nécessaire d'y ajouter d'autres condi tions, celles-ci pourroient-être, ainsi que la Acten d. Congr. VI. Bd. 3. Heft

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