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CHAPITRE VI.

Liberté d'opinion et de religion. ( Articles 5, 6, 7, 8 de la Charte.)

167. RESPECTIVEMENT aux droits et aux devoirs sociaux, la liberté des opinions, en tout genre, vraies ou fausses, est naturellement sans bornes, parce qu'elle a, dans notre intérieur, un asile impénétrable, qui doit rester inaccessible à toutes les autorités humaines. Dieu s'est à lui seul réservé le droit de juger les pensées et de sonder les cœurs. Selon l'esprit de la Charte, art. 8, notre liberté de penser, même sur les religions, s'étend jusqu'au droit de publier nos opinions. Mais dès qu'on agit en vertu de ses opinions, l'on devient responsable de l'action extérieure, devant les lois qui l'ont prévue; responsable de ses paroles, quand on les a dites; de ses écrits, quand ils sont publiés; de ses autres actions, quand on les a commises.

168. La Charte reconnaît de plus à « chacun une égale liberté de professer sa religion, et chacun obtient pour son culte la même protection, »> article 5.

Cependant, «< la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de l'état, » article 6. << Les ministres de la religion catholique, aposto

lique et romaine, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent seuls des traitemens du trésor royal,» article 7.

169. Dans le sens le plus étendu, la religion est l'ensemble de ce que l'on pense être obligé de croire et de pratiquer pour se rendre agréable à la divinité, bien ou mal connue.

En ce sens, la religion peut être une erreur comme une vérité. Erreur ou vérité, il y a, selon le droit naturel et selon la Charte, pour chacun des hommes, liberté de religion; il y a même, et il doit y avoir, liberté individuelle d'irréligion, de déisme sans providence, et d'athéisme absolu', comme il y a liberté d'opinions libérales ou illibérales. Les opinions ne peuvent pas être sous le domaine de la loi de l'état. Nous devons tous savoir tolérer, en paix, ce que Dieu tolère et ce que l'homme ne peut vouloir gêner ou anéantir sans appeler la persécution, l'hypocrisie et les révolutions. Instruire, quand nous le pouvons, nos frères que nous croyons errans, les édifier sans cesse de nos bons exemples, gémir sur leurs erreurs, prier pour qu'ils soient éclairés, les secourir sans distinction d'opinions religieuses ou autres voilà ce que nous commandent la raison et l'Évangile. Nos pères firent la guerre étrangère et la guerre civile, et la guerre de l'inquisition contre les infidèles, et même contre des peuples chrétiens. D'horribles violences,

1 Horresco referens......

:

des massacres, des proscriptions, des pillages couverts d'un prétexte religieux, n'ont que trop souillé nos annales. Nous avons connu les crimes révolutionnaires et les crimes contre-révolutionnaires, sortis souvent les uns et les autres de l'esprit de contre révolution. Nous avons vu les guerres presque aussi religieuses que politiques de la Vendée et de la chouannerie, et les assassinats organisés, tantôt sous un nom divin, tantôt sous celui de la légitimité, à Toulon, Marseille, Lyon, Avignon, dans presque tout le Midi. Comprenons enfin qu'il n'y a de paix et de sûreté que dans la tolérance entière des opinions; et ne fût-ce que par intérêt pour les opinions religieuses ou même irréligieuses qui nous sont les plus chères, sachons les tolérer toutes. De longues et déplorables expériences ne doivent pas être entièrement perdues pour nous. Pendant les sept siècles derniers, des persécutions atroces, aveugles ou hypocrites, avaient enfanté, contre la religion catholique, les haines les plus furieuses, et préparé les horribles tempêtes dont nous fumes témoins. Cette religion, à son tour, a été persécutée, pendant les trois ans, de 1792 à 1795'; et lorsqu'elle est redevenue religion de l'état, lorsqu'il lui est permis de recouvrer, sans limites, les richesses et les préséances d'ordre

1 Le culte catholique fut rétabli dans toute la France, par une loi rendue en 1795. Ce fait notoire est trop méconnu.

2 Voyez la loi générale, et par-là imprudente, du 2 janvier 1817. Voyez notre Essai sur la Charte, liv. I, chap. x n° 119.

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politique qui avaient corrompu son clergé, que voyons-nous? L'ancienne intolérance a relevé sa tête hideuse; l'ultramontanisme, d'imprudens concordats et les superstitions, l'ignorance, accourent à son aide. On atténue, on combat, on diffame les précieuses maximes de l'église de France, qui font la sûreté du royaume; on attaque et l'on condamne impunément nos plus sages lois modernes ou nouvelles, constitutionnelles ou secondaires. De leur côté, les amis de la liberté s'en alarment; on en voit qui croient se mettre en défense en s'efforçant de miner les idées religieuses qu'on leur rend haïssables, et dont ils craignent les abus. L'un nous dit que moins elles ont de force, plus le peuple est libre, paisible, vertueux et heureux; d'autres, la tête courbée vers la terre, ne voulant estimer que les biens qu'elle donne et les valeurs qu'y ajoute l'industrie, déclarent que les frais de religion ne sont que de fausses dépenses. D'autres aspirent à une religion purement civile, ou à une religion sans clergé, sans culte public; ou exaltent les réformés comme tels, et nous les vantent à ce titre comme des modèles qu'il faut imiter. Que de raisons pour s'attacher à la Charte, qui est également éloignée de tous ces excès, dans les trois articles qu'il s'agit d'expliquer!

170. L'homme est naturellement religieux. La religion lui est un besoin, un devoir, un secours, durant toute sa vie. Elle est une consolation ineffable dans l'infortune; elle éclaire, elle échauffe,

elle réconcilie les esprits et les cœurs. Elle offre des motifs sublimes et un prix immense à toutes les vertus. Elle sert pour le tems; elle donne des trésors de juste espérance pour l'éternité. Ainsi, loin de ma bouche comme de ma pensée le blasphême payen de 1812: Il faut de la religion pour le peuple. Il en faudrait, de cette religion divine qui a policé le monde en traçant le chemin du ciel ; il en faudrait à tous les hommes, riches et pauvres, savans et ignorans ; mais surtout aux dépositaires d'un pouvoir absolu, et même aux nations qui savent priser les justes libertés publiques et privées, tôt ou tard fidèles compagnes de la religion et de la probité. J'ai connu bien des défenseurs de la liberté sociale, autrement de la justice; et ceux que j'ai vus les plus constans, les plus sincères, les plus équitables, les plus désintéressés, les plus dévoués, soit dit sans offenser personne, c'étaient des hommes religieux, des chrétiens, des catholiques. Il y a une alliance naturelle entre la religion chrétienne, la vraie philosophie, les sciences et la liberté raisonnable; travailler à resserrer les nœuds de cette alliance, est le plus bel emploi qu'on puisse faire des lumières et des talens.

171. Professer librement une religion, c'est avec sécurité la pratiquer, en approuver les dogmes et la morale, les rites et la discipline; les soutenir, les protéger, si l'on veut, par ses paroles, par ses écrits, par ses actions.

Sans tomber dans l'athéisme, ni dans l'indiffé–

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