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LIVRE TROISIÈME.

DROITS POLITIQUES DES FRANÇAIS, OU NATURE ET LIMITES DE LEUR GOUVERNEMENT.

CHAPITRE PREMIER.
Grands pouvoirs de l'état.

234. Le gouvernement est un être collectif', une personne morale. Sa vie est la vie de l'état ; elle consiste, comme celle de l'homme, à penser, à vouloir ou à faire ce qu'il a pensé et voulu, pour entretenir la vie et le mouvement dans le corps politique. Mais avant qu'il pense et qu'il veuille, avant qu'il agisse au dehors, il faut qu'il soit constitué; il peut l'être par le seul fait, par la nécessité des circonstances; il l'est régulièrement par la nation ou par les représentans de la nation, exerçant, d'après une mission expresse ou tacite, le pouvoir constituant.

235. En 1814, après la déchéance et l'abdication

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Voyez l'Essai sur la Charte, liv. I, chap. 1, no 4

de Napoléon, l'ancienne maison royale fut rappelée par les vœux du sénat et du corps - législatif, par l'acquiescement général; et le roi, demandé par les Français, reconnu de suite par les puissances de l'Europe, n'administra que provisoirement, puisque les lois constitutionnelles du gouvernement royal étaient à faire ou à refaire. Le roi modifia, en divers points, l'abrégé de constitution agréé par le sénat et par le corps-législatif. C'est ce même acte, ainsi modifié, qui a été réellement accepté, sous le nom de Charte constitutionnelle, par deux chambres.

par les

Ainsi, sans délégation expresse, mais selon la nécessité des circonstances, le roi et les deux chambres ont exercé le pouvoir constituant.

236. Ainsi furent établis ou reconnus, modifiés et limités, les deux pouvoirs souverains qui constituent le gouvernement du royaume, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, qui ne doivent jamais être réunis dans le même individu ou la même corporation, étant destinés à se balancer réciproquement et à se surveiller l'un l'autre ; mais leur séparation ne doit jamais être si absolue, que ces pouvoirs ne se puissent réunir, comme ils le doivent, dans les résultats, par la direction royale,

par les effets de la surveillance des chambres, par l'influence qu'exercent l'une sur l'autre les trois branches de l'autorité législative; enfin, par une réelle harmonie entre des actions diverses. Sans l'unité finale de volonté et d'action, l'état serait

dissous; et, sans la séparation de ces deux pouvoirs, sans la surveillance de l'un sur l'autre, sans la division du pouvoir législatif en plusieurs branches, il y aurait despotisme.

237. Le premier pouvoir est chargé de penser et de vouloir; le second, d'exécuter, ou plutôt de faire exécuter. Le premier doit s'éclairer de la science générale, et choisir, entre les divers moyens, ceux qui conviennent le mieux pour obtenir, non pas précisément, comme les flatteurs aiment à le dire, l'obéissance et le repos, mais plutôt la vie et le mouvement, par l'exercice et la conservation des droits de tous; en un mot, la propriété, la sécurité, la liberté générale et particulière. Il doit être pacifique, sans doute, mais son but n'est pas

le

repos; il doit vouloir l'obéissance; mais la seule obéissance raisonnable est celle qui se concilie avec l'intelligence et la justice, c'est-à-dire avec la liberté. Dieu même a laissé aux hommes la liberté d'accomplir ses commandemens; il a voulu tout autre chose que l'obéissance et le repos.

Le second pouvoir doit exécuter franchement, exactement, complétement, surtout dans le système de la Charte, selon lequel il n'exécute jamais que ce qu'il a voulu, en tant qu'il participe au pouvoir législatif, et ce qu'il a sanctionné après l'avoir seul proposé directement.

238. Tous deux sont soumis à la raison, ou justice naturelle, et à la Charte s'ils n'étaient légalement soumis qu'à leur volonté, même conjointe

et déclarée, ils auraient une autorité sans frein, ils seraient despotiques; et alors la Charte ne serait qu'un artifice, pour se jouer des droits de tous et de chacun.

Ils peuvent néanmoins préparer la révision de cette Charte, en établissant de concert des formes légales qui maintiennent la distinction salutaire, naturelle, essentielle, de l'exercice du pouvoir constituant et de l'exercice du pouvoir constitué, de la constitution et des lois secondaires. Cette distinction seule peut amener, régulièrement et paisiblement, les améliorations que l'opinion générale aurait reconnues nécessaires, et arrêter, pour incompétence ou défaut de pouvoir, tous les projets oppressifs, anarchiques ou tyranniques. Il n'y a pas de plus grand vice de nullité que celui qui résulte du défaut de pouvoir, de l'usurpation du pouvoir, ou, comme on disait dans notre latin scolastique, non est major defectus quàm defectus qualitatis.

Ceux qui ont proposé de distinguer dans la Charte ce qu'ils appellent de grandes bases ou de vraies dispositions. constitutionnelles, et d'autres bases ou des dispositions qui dépendraient de la seule volonté ou de l'erreur commune des deux pouvoirs constitués, ceux-là, sans le vouloir, auraient ouvert la porte à l'arbitraire. On a vu dans le premier livre, chapitre 10, que cette distinction a conduit directement aux plus intolérables excès '.

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Voyez l'Essai sur la Charte, liv. I, chap. x, no 17

La Charte ne serait plus une constitution, mais une loi ordinaire ou secondaire, si le roi, si les chambres en pouvaient auéantir ou modifier les dispositions.

239. La Charte sépare et unit les deux grands pouvoirs: elle les sépare, puisqu'elle établit trois branches du pouvoir législatif, le roi, la chambre des pairs et la chambre des députés, et qu'elle réserve au roi le pouvoir exécutif (art. 13 et 15); mais elle les unit en autorisant les chambres à surveiller ce pouvoir, à l'accuser, à le juger dans les personnes des ministres (art. 54, 55 et 56); elle les unit encore, en ce que le roi, qui a déjà une branche du pouvoir législatif, le roi qui sanctionne ou promulgue les lois, est seul chargé de procurer, par ses ministres, leur entière exécution; elle les unit enfin par les prérogatives royales indépendantes des chambres et des ministres, prérogatives qui font du roi le chef suprême de l'état (art. 14), et du pouvoir royal un pouvoir tutélaire, modérateur, qui, planant sur toutes les autres autorités nationales, doit les diriger et les modérer par par les constitutionnels qui lui sont propres (art. 53, 54, 55 et 56).

moyens

240. La Charte, pour plus grande sûreté et stabilité des droits nationaux et des droits individuels. a pris soin de séparer encore chaque pouvoir en plusieurs branches, et d'unir ces branches entre elles par des liens communs.

Ainsi, le pouvoir législatif est divisé dans les

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