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Le trône même ne l'était pas, puisque la prérogative royale n'était point définie; puisque la régence ne l'était pas non plus; puisque Louis XIV avait pu appeler à la couronne ses enfans légitimés; puisque, dans l'assemblée constituante, on n'osa pas se prononcer sur la renonciation de la maison d'Espagne au royaume de France. Sur toute chose on n'avait que des faits isolés ou peu nombreux, ou contraires à d'autres faits, des priviléges insoutenables, des usages incertains et vacillans, des prétentions, des opinions contestées plus ou moins vivement, substituées à d'autres prétentions, à d'autres opinions, à d'autres usages tout aussi variables, et d'ordinaire dépourvus de raison.

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Il n'y avait donc ni constitution antique, ni constitution nouvelle; il y avait seulement un roi, et un amas d'obstacles à toute constitution, à tout gouvernement, fondés sur la justice, et en harmonie avec l'état de la nation, avec les lumières du tems. Il fut donc nécessaire, en 1789, de négliger des actes insuffisans, informes, contradictoires, pour consulter enfin l'intérêt national, et tâcher de mettre en loi la volonté publique.

CHAPITRE III.

Constitution de 1
1791.

49. IL convenait de poser un terme à ces incertitudes et aux tristes aberrations du gouvernement, à la déprédation des finances, à la décadence de l'état, non moins remarquable en pays étranger dans l'intérieur du royaume.

que

Les parlemens, les assemblées des notables et du clergé, l'opinion générale, avaient demandé, avaient obtenu de Louis XVI, la convocation des états-généraux. On aspirait à une régénération universelle. Sans prétendre imiter l'Amérique Septentrionale, on enviait les libertés privées et les libertés publi ques des Anglais, et l'on désirait s'en rapprocher, autant que pouvaient le permettre une vieille civilisation, un louable attachement à la famille qui régnait depuis tant de siècles.

On prétendait non pas renverser le trône et les autels, mais obtenir en assemblée nationale la réforme d'abus révoltans dans le clergé, dans l'administration, l'ordre judiciaire, les finances, l'armée, etc. On voulait la suppression des priviléges, l'égalité devant la loi, la liberté individuelle, l'entière liberté religieuse, la liberté de la presse, enfin la garantie des droits naturels et civils avec l'orga

nisation d'un gouvernement monarchique représentatif et constitutionnel. On sentait vivement le besoin d'une révolution, pour nous ramener presque en toutes choses à la justice et au sens commun. Cette révolution périlleuse était depuis long-tems prévue, et les événemens la rendaient de jour en jour plus inévitable.

50. On ne calculait point l'opposition probable des courtisans et des autres privilégiés; on considérait leur petit nombre; on ne prévoyait pas leurs artifices, ni l'appui qu'ils trouveraient dans la faiblesse et les préjugés du prince, dans l'ignorance et la misère du pauvre, ni leurs plans bientôt conçus et pratiqués sans cesse de pousser à tous les excès 'pour crier aux scandales, et déshonorer enfin tout système de réforme pour mieux l'étouffer; ni leurs émigrations hostiles, ni leurs mouvemens continuels de guerre civile et de guerre étrangère; on ne songeait pas surtout aux effroyables mesures, aux lois déréglées qui naîtraient de leurs résistances; on ne songeait pas assez aux intrigues des ambitieux, aux ruses des traîtres, aux fureurs des partis et aux suites funestes des doctrines exagérées, ou imprudentes, ou perverses.

Je ne fais qu'indiquer ces causes d'orages et de

'Un noble breton publia, en 1789, l'idée, qui fut mise en pratique en 1793, de soulever ce qu'il appelait bas-tiers contre ce qu'il nommait haut-tiers. M. Bertrand, ministre de Louis XVI, explique dans ses Mémoires ce qu'il en coûta d'abord au roi pour les premières piques et pour les hurlemens des sections et des tribunes. On a entendu, en 1793, des nobles prêchant contre les républicains modérés.

tempêtes; je n'écris pas l'histoire sanglante de nos troubles politiques durant les trente ans derniers : je ne dois examiner que les grands résultats législatifs, c'est-à-dire les constitutions qui se sont remplacées dans cette courte période, et qui ont, à la suite de nos victoires et de la domination d'un empereur des Français, exercée dans presque toute l'Europe, amené enfin notre épuisement total, nos désespoirs, nos défaites, le rétablissement de la troisième dynastie, et, pour gage de réconciliation au dedans et au dehors, la Charte constitutionnelle de Louis XVIII.

51. On peut croire que si les dispositions qu'elle contient eussent été proposées à l'ouverture de la session de 1789, avec quelques-uns des amendemens annoncés en 1815, ou d'autres analogues, elle eût obtenu l'assentiment empressé de presque toute l'assemblée constituante; nous n'eussions pas eu à gémir sur tant de crimes et de malheurs qui ont affligé la patrie.

Il échappe néanmoins une réflexion fondée sur les faits. Si d'anciens privilégiés n'on pas cessé d'attaquer cette Charte depuis sa publication; si, en présence du roi et des deux chambres, quelquesuns d'eux ont laissé éclater le profond mécontentement qu'ils en éprouvent; si, malgré leurs sermens, ils ont continué de la maudire; si l'on a entendu dans les chambres contester à cet acte son caractère constitutionnel, demander ouvertement qu'elle fût retirée, s'ils ont réussi à la faire sus

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pendre ou violer par des lois d'exception, c'est-àdire par des contre-lois; si enfin ils ont préparé des vengeances contre ceux qui aiment à l'invo quer; en un mot, s'ils ont conspiré contre l'ordre qu'elle établit, qu'aurait-on pu espérer de leur modération, en 1789, lors même que cette Charte eût été proposée aux députés des trois ordres?

Mais les trois ordres furent abandonnés à euxmêmes. On affecta d'éloigner d'eux toute idée d'un nouveau droit public; on ne leur proposa que des augmentations d'impôts, puis ces concessions mesquines et trop tardives comprises en l'acte royal du 23 juin de cette même année, qui détruisait toutes les espérances d'une constitution.

52. L'opinion publique triompha de tous les obstacles. Quand le roi le voulut, les ordres se réunirent en une seule assemblée. La majorité des députés du clergé, la minorité de la noblesse, et la presque totalité du tiers-état, répondirent à l'attente et aux vœux de la nation, par une multitude de bonnes lois et de sages décrets. Ils s'accordèrent pour abolir les dimes et le régime féodal; les annates, les dispenses et les provisions de Rome nées des fausses décrétales et d'un scandaleux concordat; les priviléges d'ordre, de province, de ville, de communautés, d'individus; la vénalité, l'hérédité des offices, la torture, les jurandes, etc., etc. : pour adopter une déclaration des droits généralement digne d'être approuvée; une meilleure division territoriale du royaume; enfin, une constitu

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