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les trafics prohibés. Les infractions à la loi du 3 septembre 1807 cesseraient d'elles-mêmes si le propriétaire avait à sa portée les moyens d'emprunter au taux légal, sans passer par les mains spoliatrices des vendeurs d'argent en contrebande.

Mindorge.

(MAISON RUSTIQUE du XIXe siècle, 2e. série, Tom. 4, IVe, année, no. 4, octobre 1840).

DES COLONIES AGRICOLES DE METTRAY ET DE LA CAMARGUE.

Notre génération, toute préoccupée d'intérêts matériels, n'est pourtant pas entièrement déshéritée de sa part d'hommes généreux, dévoués aux vrais intérêts de l'humanité. Les prisons, l'une des plaies les plus honteuses qui accusent les vices de notre état social, sont de nos jours l'objet d'études et de sacrifices sans nombre de la part de quelques esprits élevés travaillant sans éclat à réaliser le bien qui leur semble immédiatement possible. Effrayés de la somme épouvantable de crimes et de malheurs réservée à l'avenir des enfans atteints par la loi avant l'âge où ils sont supposés avoir la conscience du mal, des hommes justement honorés de l'estime publique, des administrateurs, des magistrats ont voulu tenter d'épargner au moins à la société la part de misères et de crimes, partage inévitable de ces enfans à l'expiration de leur peine; car, on ne peut se le dissimuler, tel est l'effet ordinaire des maisons de correction: l'enfant y entre à demi corrompu, il en sort scélérat.

De tous les travaux auxquels l'homme peut se livrer pour subvenir à ses besoins, il n'en est pas de plus moral que le travail des champs; il n'en est pas non plus qui lui

promette, lorsqu'il est bien dirigé, une plus grande somme de bonheur, avec moins d'occasions de mal faire. L'effet moral des travaux agricoles sur les jeunes condamnés n'avait point encore été essayé en France; la tentative de Mettray, couronnée dès sa naissance d'un si beau succès, est peutêtre appelée à exercer sur toute une génération la plus salutaire influence; nous serions heureux d'y voir le point de départ d'une révolution complète dans la manière dont la société traitera désormais ceux que le soin de sa sûreté l'oblige à ramener par tous les moyens possibles aux principes d'ordre sans lesquels elle ne saurait subsister.

Il fallait un courage et une abnégation de soi-même bien rares dans tous les temps, dans le nôtre surtout, pour entreprendre une tâche aussi ingrate que celle de régénérer des enfans choisis sur tous les points de la France parmi ce qu'elle renferme de plus profondément démoralisé; c'est ce prodige de dévouement qu'ont réalisé MM. Demetz et de Brétignières. Ainsi que l'a dit l'honorable M. de Gasparin : « Renonçant à toutes leurs habitudes, ils se sont voués, par une sainte résolution, à la cause de cette réforme importante; les sacrifices personnels et pécuniers ne leur ont rien coûté; leur philanthropie a surmonté tous les obstacles; ils en reçoivent le prix de leur conscience et de la juste appréciation des gens de bien. »

Nous regardons comme un devoir de faire connaître en détail à nos lecteurs l'œuvre philanthropique de Mettray, tant pour rendre hommage à la vertu modeste de ceux qui l'ont entreprise que pour appeler l'attention publique sur l'immense avenir promis à une colonie, première application du principe de la réforme morale par l'agriculture.

Le sol sur lequel s'élèvent les bâtimens de Mettray a été cédé, ainsi que les terres qui en dépendent, par M. le vi

comte de Brétignières, pour y établir la colonie. Un si généreux exemple a trouvé des imitateurs; des souscriptions nombreuses ont été recueillies parmi tout ce que la France compte de noms les plus hauts placés dans l'opinion; un propriétaire du département de la Moselle, M. le comte Léon d'Ouches, a fait don d'une somme de 10,000 fr. Les fonds nécessaires étant réunis et les travaux préalables terminés, le directeur s'est occupé d'abord de vaincre l'un des principaux obstacles, et de préparer le succès de l'entreprise en formant avant tout de bons contre-maîtres. L'école des contre-maitres a été ouverte le 28 juillet 1839; vingt-trois élèves y ont reçu des soins assidus, dont le résultat a permis d'en choisir déjà plusieurs qui sont actuellement en fonctions dans la colonie.

Pendant que ce premier noyau d'élèves, pris parmi les jeunes détenus, se formait sous la direction des chefs, les constructions s'élevaient rapidement; leur distribution, sagement ménagée, a su concilier l'économie avec toutes les exigences de la salubrité et du bien-être des colons. L'organisation intérieure de la colonie est aussi simple que sagement entendue; on ne saurait établir aucun point de comparaison entre le régime d'une prison et celui de Mettray. L'idée qu'on cherche à reproduire à tous les instans et sous toutes les formes à l'esprit des colons est celle de la famille; les surveillans n'ont pas d'autre titre que celui de chefs de famille. Ils ont sous leurs ordres des enfans choisis entre les plus méritans de la colonie; leur titre est celui de frères aînés. C'est par l'affection et la plus rigoureuse justice qu'on obtient à Mettray ce qui ne peut s'obtenir ailleurs en employant la force et l'arbitraire. Non que les chefs soient désarmés envers des natures perverties à l'avance, et sur qui les moyens moraux doivent avoir d'abord nécessaire

ment peu de prise; mais un seul trait fera juger le caractère des punitions: elles sont prononcées par un tribunal de jeunes détenus. Les chefs n'aggravent jamais les décisions: ils ne se sont réservé que le droit de les adoucir.

Il y a donc à Mettray ce que l'homme peut contempler de plus noble dans ce monde : la lutte du bien contre le mal, de la vertu contre le vice, et c'est la vertu qui l'emporte.

Chaque bâtiment isolé contient une famille de 40 colons; le chef de famille a sous ses ordres deux contre-maîtres. Dans chaque section de 20 colons on choisit un frère aîné pour seconder les chefs dans la suveillance de ses camarades; ces fonctions durent un mois. Quatre maisons sont achevées; elles sont construites à 10 mètres de distance l'une de l'autre ; les intervalles sont remplis par des hangars. Dans un bâtiment séparé, qui contient l'école, se trouvent réunies la chapelle, l'infirmerie, la pharmacie, la lingerie, la salle de bains et la cuisine; ce corps de logis est en outre habité par le directeur, les sœurs, les deux instituteurs, quatre contre-maîtres et les hommes de service. Toutes ces constructions ont été terminées en cinq mois.

Dans l'établissement du matériel, tout a été calculé avec une prévoyance admirable; il suffit d'en citer un trait. Les hamacs disposés par rangées, mais en sens inverse, pour que les enfans ne puissent converser entre eux, même à voix basse, sont tous les matins suspendus à la muraille et laissent la place libre; les tables, fixées au mur par des charnières, se relèvent après le repas; le même local devient tour à tour dortoir ou réfectoire, sans le moindre embarras, et en un moment.

Les neufs premiers enfans installés à Mettray y ont été amenés par le directeur lui-même, M. Demetz, qui était

allé les chercher à la maison de détention de Fontevrault; ils se sont conduits dès leur arrivée d'une manière irréprochable. La métamorphose qui s'est opérée en eux a été si prompte qu'elle a frappé tous ceux qui en ont été témoins.

Parmi les jeunes colons aujourd'hui réunis à Mettray, les uns ont été envoyés des maisons centrales dans des voitures cellulaires, d'autres ont été confiés à des ecclésiastiques ou à des personnes sûres; enfin MM. Demetz et de Bretignières ont fait à plusieurs reprises de longs voyages pour aller chercher, soit à Paris à la prison de la Roquette, soit à la maison centrale de Fontevrault, de nouvelles recrues. Mettray compte actuellement 82 jeunes colons; ils appartiennent à 21 départemens : Bouches-du-Rhône, Calvados, Cher, Côtes-du-Nord, Eure, Eure-et-Loir, Finistère, Ille-et-Vilaine, Indre, Indre-et-Loire, Isère, Loire - Inférieure, Loiret, Manche, Haute-Marne, Oise, Rhône, Sarthe, Seine, Seine-et-Oise et Vendée.

MM. les préfets, dont plusieurs ont souscrit pour la colonie de Mettray, en ont généralement compris toute la portée; M. le préfet du Loiret a ouvert un registre où les rapports sur la conduite des enfans de son département envoyés à la colonie, seront inscrits pour être communiqués au conseil général; M. le préfet de l'Isère a envoyé à Mettray les jeunes détenus revêtus de l'uniforme de la colonie aux frais de son département.

Les départemens les plus éloignés, dit dans son rapport M. Demetz, ont considéré comme un avantage la distance qui nous sépare; ils ont compris que l'enfant, ainsi arraché à ses funestes relations et à ses mauvaises habitudes, et se trouvant en quelque sorte déporté, recevrait plus facilement la nouvelle direction qu'on voulait lui donner. Il résultera nécessairement de grands avantages de la réunion

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