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COMMUNICATION OFFICIELLE AU TRIBUNAT.

Le Corps législatif fit la communication officielle au Tribunat le 17 ventose an XI (8 mars 1803), et le 23 M. Gillet prononça le rapport à l'assemblée générale, au nom de la section de législation.

RAPPORT FAIT PAR LE TRIBUN GILLET.

Tribuns, le mariage, qui est la source de la multiplication des hommes, est aussi le principe des liens les plus forts et les plus constans qui les unissent.

Que chez les êtres dirigés par le seul instinct, les deux sexes n'aient que des unions passagères, la nature le permet ainsi, parce qu'entre eux elle n'a mis d'autre loi que celle de l'attrait, qui est peu durable. Mais à cet attrait elle a joint, en faveur de l'homme, la sensibilité morale qui lui fait chérir l'être qu'il a choisi, et l'intelligence qui le lui fait estimer ; c'est par ces sentimens inépuisables qu'elle a imprimé au mariage ce caractère de permanence qui fait de la société des époux la première des sociétés, et qui confond leur mutuelle existence comme dans une seule existence indivisible.

Cependant là ne se bornent pas les vues de la nature. De cette union qu'elle a dirigée doivent naître des fruits dont la vie long-temps faible et incertaine, soumise à tous les besoins comme à toutes les infirmités, ne commencera que par les douleurs de leur mère, ne sera conservée que par ses soins pénibles, et ne pourra être soutenue que par les travaux et la protection du père. De là entre les époux et ceux à qui ils donnent le jour de nouveaux rapports de secours et de reconnaissance, d'affection et de piété, d'autorité et de déférence; et le lien du mariage est doublé par celui de la nais

sance.

Bientôt ces nœuds si chers s'étendent et se prolongent par

la parenté, dont les rameaux sortent de la paternité comme d'une tige féconde pour embrasser tous les descendans du même auteur; ils se multiplient par les alliances qui entrelacent les familles en leur donnant des proches nés hors de leur sein; de cette communauté d'affinités et d'origines se forme enfin la réunion d'intérêts, de mœurs et de forces, qui constitue l'état politique : ainsi cette société primitive du mariage, si simple d'abord et si peu considérable en apparence, devient l'élément principal dont se compose, s'accroît et se lie la grande société des nations et celle du genre humain tout entier.

Ce n'est donc pas sans motif que, chez les peuples civilisés, le mariage est considéré comme une institution solennelle. On aurait en effet une idée bien peu exacte de son importance et de sa dignité, si l'on ne voulait y voir qu'un pacte. naturel ou une convention civile; il est encore, plus que tout cela, un engagement social et comme un traité public dont les époux sont à la fois les parties et les ministres. Il est vrai qu'ils y stipulent pour eux-mêmes, mais ils y stipulent aussi pour la patrie, qui attend d'eux de nouveaux supports pour leur famille, à qui ils vont ajouter une succession d'autres familles ; pour la postérité, dont le bonheur dépend des générations qui la précèdent.

Donner à ce grand traité de justes bases, c'est sans doute un des travaux les plus imposans qui puissent occuper le législateur; et tel est le but du projet soumis aujourd'hui à votre délibération.

Heureux le temps où des sujets aussi graves, médités avec sagesse et éclairés par da science, peuvent encore être discutés par la véritable philosophie et développés par la persuasive éloquence. Déjà cette tâche honorable n'est plus à remplir; mais nous n'en devons pas moins, lorsque nous vous présentons l'avis de la section, vous rendre compte de l'examen qui l'a déterminée.“

Puisque du mariage naissent tant de relations d'ordres différens,

De l'épouse avec l'époux,
Des parens avec les enfans,
Des familles avec les familles,

Du corps social avec ses membres, la loi proposée n'aura atteint son but qu'autant que de toutes ces relations aucune n'aura échappé à sa prévoyance; et, pour n'être pas inférieure à son objet, il faut qu'elle ait assuré une garantie convenable à tous les intérêts si divers que ce contrat embrasse.

SI. Intérêts de la société.

Or, pour commencer par celui de ces intérêts qui est le plus grave et le plus étendu, l'un des premiers besoins de l'État, sans doute, est la population dont le mariage est la source la plus féconde, parce qu'il en est la plus pure; s'ensuit-il cependant que le législateur doive user de sa puissance pour y déterminer les citoyens? L'antiquité et les Romains eux-mêmes en offrent des exemples qui, de notre temps encore, ont semblé entraîner quelques opinions. Mais presque toujours ces sortes de législations accusent les peuples pour qui elles sont faites de décadence ou de faiblesse. Dans un état florissant, la propagation ne demande au législateur d'autre encouragement que de n'être point arrêtée. A cet égard, le projet proposé a sur notre ancienne jurisprudence plusieurs avantages, moins par les dispositions qu'il contient que par celles qu'il n'a pas dû rappeler.

C'est pourquoi vous n'y trouverez aucun de ces empêchemens opposés par des barrières purement spirituelles, non qu'elles ne puissent s'élever encore dans le domaine respecté des consciences; mais elles ont dû disparaître dans le domaine de la loi, dirigée par des vues d'un autre ordre.

Vous n'y retrouverez point non plus ces exclusions dictées en apparence par la sévérité de la morale, mais qui, sous les

noms de rapt, de séduction et de mariage IN EXTREMIS, n'avaient en effet que des caractères équivoques, propres à égarer les juges, en fournissant des armes aux antipathies de . l'orgueil et de la cupidité contre des penchans assortis ou du moins excusables. Tout ce que ces règles pouvaient avoir de 146 véritablement utile se trouve implicitement réservé par les dispositions générales, qui assurent pour première base au mariage l'intégrité du consentement des parties, fortifiée, dans l'âge de l'inexpérience et de l'ivresse, par un consentement plus éclairé. Enfin, l'égalité politique et l'égalité religieuse, en effaçant les incompatibilités de culte et de naissance, ont brisé les principaux obstacles qui, dans nos mœurs et jusque dans nos lois, avaient autrefois gêné la liberté des mariages.

Toutefois cette liberté a ses bornes légitimes, et de sages restrictions ne sont pas moins dans l'intérêt de la société qu'une facilité libérale.

Ainsi, il est de l'intérêt de la société que des unions trop 144 hâtives n'anticipent pas sur la maturité de la nature, et qu'il ne soit pas permis à des êtres à peine affranchis de la stérilité de l'enfance, de perpétuer dans des générations imparfaites leur propre débilité.

Il est de l'intérêt de la société que la foi conjugale ne soit 147 pas partagée entre deux contrats subsistans, afin que le mariage conserve cette unité qui forme, dans la vie domestique comme dans les mœurs publiques, la plus noble et la plus touchante des harmonies.

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Il est dé l'intérêt de la société que l'intimité des familles ne 161 soit point une occasion de séductions corruptrices, d'entreprises et de rivalités, mais qu'au contraire la pudeur y repose comme dans son naturel asile. Outre quelques idées probables sur la perfectibilité physique, il y a donc un motif moral pour que l'engagement réciproque du mariage soit impossible à ceux entre qui le sang ou l'affinité a déjà établi des rapports directs ou très-prochains, de peur que la pureté de

leurs affections mutuelles ne soit troublée par les illusions

d'une autre espérance.

155-191 Il est surtout de l'intérêt de la société que le mariage ait

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une authenticité non équivoque, afin que la légitimité de tous ses effets ne soit point incertaine, afin que la dignité conjugale ne soit point compromise, afin que l'honorable réciprocité de ses obligations ne soit pas confondue avec ces commerces ténébreux dont les victimes subissent le joug de tous les désordres, parce qu'elles ont rejeté celui des mœurs et repoussé celui des lois.

Ces différentes règles ont été établies par la sagesse de tous les siècles : les violer, c'est troubler l'ordre social; aussi le projet les a-t-il expressément distinguées de toutes les autres, en soumettant à la poursuite directe du ministère public les actes qui pourraient y contrevenir.

que

Ce n'est pas à dire pourtant que les conséquences en soient partout également rigoureuses. Le principe peut conserver sa force, et cependant n'être pas inflexible. Dans une matière la nature, la marche des événemens et celle des passions même soumettent, suivant les climats, les temps et les personnes, à tant de variétés, il ne faut pas que la loi soit invariable, et moins encore qu'elle entreprenne de prévoir toutes les circonstances. Il a donc été raisonnable de se conformer à des idées depuis long-temps admises, qui permettent de relâcher, par des dispenses, quelques-uns des empêchemens les moins essentiels; et de ce nombre sont ceux qui résultent de l'âge et du second degré d'affinité ou de parenté. La même indulgence a pu s'étendre sans danger jusqu'à l'une des publications qui préparent l'authenticité du mariage. Seulement on a dû prendre la précaution de faire vérifier les causes de ces dispenses par l'autorité civile qui les délivre. Car à quelle autre qu'à elle un tel pouvoir eût-il été remis chez une nation souveraine d'elle-mêine, et dont les membres divers n'ont de soumission commune que celle où l'unité civile les engage?

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