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position tout à fait exceptionnelle et de nature à se présenter très rarement, beaucoup plus rarement, en tous cas, que la remise absolue. Nous allons le prouver. On suppose naturellement que la remise a lieu nullo accepto. Or, qu'est-ce qui peut motiver une pareille remise, sinon une pensée de libéralité? Que veut le créancier? Ne pas demander au débiteur qu'il veut gratifier le montant de sa dette. Mais pour atteindre ce résultat, il n'a qu'à ne pas le poursuivre et à se retourner contre les autres, en déduisant du montant de sa demande la part du débiteur gratifié, et en spécifiant le motif de cette déduction. Que si le débiteur a besoin d'un titre qui puisse prouver sa libération, le créancier, s'il veut limiter la remise à sa personne, ne manquera pas de le manifester clairement. S'il ne le fait pas, il n'y a rien de déraisonnable à présumer que son intention était de remettre objectivement la dette. C'est donc

sa

volonté qui règle les effets de la remise. On lui demande de la préciser nettement, voilà tout; s'il ne le fait pas, on peut à bon droit, pour les raisons que

nous venons de donner, le considérer comme ayant renoncé à sa créance.

par

265. A la remise de la dette il ne faut pas assimiler la conclusion d'un concordat qui aurait été accordé le créancier à l'un de ses débiteurs en faillite; car ici, la remise n'est pas volontaire, mais forcée, et ne peut manifestement être interprétée dans le sens d'une remise objective; elle ne pourra donc aucunement être invoquée par les autres codébiteurs (art. 545 C. co.).

266. En doit-il être de même dans le cas d'un arran.

gement amiable par lequel un commerçant, en état de cessation de paiements, est déchargé par ses créanciers, auxquels il fait l'abandon de son actif, de la portion de dettes qui ne serait pas couverte par l'actif abandonné? La Cour de cassation ne l'admet pas et voit dans cet arrangement une remise régie par l'art. 1285 (Cass., 12 nov. 1867, D., 67. 1. 483). Nous approuvons cette jurisprudence basée sur l'application fidèle des textes, bien que les solutions auxquelles elle conduit soient moins explicables en notre espèce que dans le cas de remise pure et simple de la dette.

267. L'art. 1284 assimile à la remise expresse la remise tacite « La remise du titre original sous signa»ture privée ou de la grosse du titre à l'un des débi>>teurs solidaires a le même effet (libératoire) au profit » de ses codébiteurs ». Ce n'est là que l'application des principes généraux en matière de remise tacite de dette. Dans le cas de remise du titre original sous signature privée, il naît au profit de tous les débiteurs une présomption de libération juris et de jure; dans le cas de remise de la grosse, la présomption est juris tantum (art. 1282 et 1283).

268. Jusqu'ici nous ne nous sommes occupé que de la remise totale de la dette. Le créancier peut aussi ne faire remise à l'un des débiteurs que d'une portion de cette même dette. Si cette fraction excède la part contributoire du débiteur, elle sera censée avoir été faite objectivement et par suite les effets en seront communs à tous. Si cette fraction est égale ou inférieure à la part contributoire du débiteur gratifié, le créancier, bien

qu'il ne fasse pas de réserves expresses à ce sujet, manifeste clairement sa volonté de restreindre sa libéralité au débiteur qu'il désigne spécialement. Les règles concernant cette hypothèse seront donc les mêmes que celles de la remise faite avec réserve.

269. 2o La remise est faite avec réserve des droits du creancier contre les autres débiteurs. - Cette hypothèse a été examinée précédemment et nous avons vu pour quelles raisons cette remise, étrangère en principe aux autres débiteurs, pouvait cependant être invoquée par <dans la mesure de la part de celui auquel il [le » créancier] a fait la remise » (art. 1285 al. 2 in fine). Cette part sera la part contributoire réelle du débiteur

eux

libéré.

Cependant, s'il était prouvé que le créancier ignorait la part contributoire du débiteur qu'il a gratifié, il semce serait se conformer à son intention que de

ble

que

décider que la part en question est une part virile. A virile ne fût supérieure à la part

moins

réelle,

que cette part

car le créancier a indiqué assez nettement qu'il ne voulait point gratifier les autres débiteurs (Demol.,

11.

397; Mourlon, II, n. 1269; Laromb., art. 1285,

n. 16).

De sorte que, si le débiteur qui a bénéficié de la remise, n'était personnellement obligé pour aucune part dans la dette, même à l'insu du créancier, la remise à lui faite ne libèrerait les autres d'aucune partie de la dette (art. 1287 al. 2).

PLISSONNEAU

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§ X. Compensation.

270. Opposée, sur la poursuite du créancier, par celui des débiteurs qui est devenu à son tour créancier, la compensation tient lieu de paiement; par conséquent ses effets sont communs à tous les codébiteurs; sur ce point pas de difficulté.

271. Mais généralement, le créancier s'adressera au débiteur auquel il ne doit rien. Celui-ci pourra-t-il opposer l'existence de la contre-créance acquise par son codébiteur? Nous avons vu que ce fait, de nature exceptionnelle, ne devait pouvoir être invoqué que par le débiteur en la personne duquel il se produit. Les autres débiteurs ne pourront donc l'invoquer. C'est ce que dit l'art. 1294 al. 3. « Le débiteur solidaire ne peut... opposer la compensation de ce que le créancier doit à son codébiteur ».

En résulte-t-il nécessairement que la disposition de cet article doive être considérée comme une dérogation à la règle de l'art. 1290, d'après laquelle « la compen»sation s'opère de plein droit, par la seule force de la » loi, même à l'insu des débiteurs »? On le dit généralement, mais nous aurons bientôt à discuter l'exactitude de cette assertion.

272. Est-il absolument interdit aux codébiteurs de se prévaloir de l'existence de la contre-créance de leur consort, ou bien peuvent-ils l'invoquer jusqu'à concurrence de sa part dans la dette? En d'autres termes, y at-il, oui ou non, en matière de compensation, une exception à la théorie générale de la répercussion sur le créancier des recours entre débiteurs ?

Tout a été dit sur cette difficile question, et nous ne répéterons pas ici les arguments produits de part et d'autre (voir pour la première opinion: Colm. de Sant., V, n. 142 bis, III; Mourlon, II, n. 1266; Duverg. sur Toull., IV, n. 377, note a; Demol., n. 401. - Cass. Belgique, 13 juin 1872, D., 74. 2. 218 et la note pour la seconde : Domat, Lois civiles, part. 1, liv. III, titre III, sect. I, art. 8; Pothier, n. 274; Laromb., art. 1294, n. 5; Aubry et Rau, IV, § 298 ter, note 19; Rodière, n. 81; Marcadé, art. 1294, n. 3; Toullier, VI, n. 733; Duranton, XII, n. 430. Cass., 24 déc. 1834; Toulouse, 14 août 1818).

273. Avant de nous ranger à l'une ou à l'autre de ces opinions, revenons à la remarque que nous formulions tout à l'heure. Est-il bien exact que l'art. 1294 soit en contradiction absolue avec l'art. 1290? Cela nous paraît au moins douteux.

L'art. 1290 nous dit bien que la compensation a lieu de plein droit, mais il faut pour cela que soient remplies les conditions requises par la loi. Or, aux trois conditions exigées par l'art. 1291, il convient d'en ajouter une autre, que la loi a évidemment sous-entendue et que MM. Aubry et Rau formulent de la manière suivante: « Le créancier de l'une des obligations doit » être le débiteur personnel et principal de l'autre obli»gation, et réciproquement le créancier de celle-ci » doit être débiteur principal et personnel de celle-là ». Or, le débiteur est bien débiteur principal de la dette solidaire; mais en est-il débiteur personnel dans le sens que donnent à ce terme MM. Aubry et Rau, c'est-à-dire

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