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CHAPITRE PREMIER

EFFETS ENTRE LE CRÉANCIER COMMUN ET CHACUN DES CODÉBITEURS PRIS ISOLÉMENT

35. Ces effets peuvent se classer en deux catégories; la première se rapportant aux effets dérivant de l'unité d'objet de la dette solidaire, la seconde ayant trait aux effets qui ont leur cause dans ce principe que chacun des codébiteurs est vis-à-vis du créancier dans la situation d'un débiteur principal. Nous nous occuperons successivement de chacune de ces deux catégories.

SECTION PREMIÈRE

EFFETS RÉSULTANT DE L'Unité d'objet

36. D'après les termes mêmes de l'art. 1200, la solidarité ne peut exister que si les codébiteurs se sont obligés à une même chose. L'unité d'objet, voilà donc le trait primordial de l'obligation solidaire.

Si deux débiteurs s'obligent par le même contrat à deux choses différentes, il est évident qu'il ne peut y avoir entre eux de solidarité. Chacun ne devra que la chose qu'il a promise.

37. Il en serait ainsi alors même que la convention donnerait au créancier le droit de poursuivre l'un ou

l'autre des débiteurs à son choix et qu'il aurait été stipulé de plus que le paiement fait par l'un libèrerait l'autre. Ces stipulations accessoires n'empêcheraient pas qu'il n'y eût là deux obligations distinctes et séparées. Ces obligations emprunteraient, il est vrai, à l'obligation solidaire, quelques unes de ses particularités, notamment celle relative à l'effet libératoire absolu d'un seul paiement; mais les règles ordinaires de l'obligation solidaire leur seraient inapplicables. Ainsi notamment l'un des débiteurs ne serait pas libéré par la perte, survenue par cas fortuit, de la chose qui faisait l'objet de l'obligation de l'autre.

38. La solidarité peut-elle être établie entre deux débiteurs de choses différentes? Ainsi, par exemple, Pierre et Paul peuvent-ils être débiteurs solidaires, le premier de la maison A, le second de la maison B?

Sans doute en vertu de la liberté des conventions, les contractants pourront, en fait, se placer exactement dans les mêmes conditions que si la solidarité existait, mais ils devront pour cela spécifier toutes les règles qu'ils désirent se voir appliquer, ou tout au moins manifester l'intention bien claire et bien formelle de se soumettre à toutes les conséquences que produirait une solidarité véritable.

A défaut de cette manifestation de volonté, le seul effet que produirait une stipulation pure et simple de solidarité, et qu'il faudrait appliquer sous peine de méconnaître l'intention évidente des parties contractantes, serait de rendre un seul paiement libératoire pour

tous.

les

39. Dans une obligation solidaire, l'un des débiteurs peut-il être obligé sous une alternative, tandis autres sont obligés purement et simplement?

que

Il est hors de doute que l'alternativité peut exister concurremment avec la solidarité, si elle concerne tous les codébiteurs sans exception. Je conviens en même temps avec Jacques et avec Pierre qu'à telle date ils me livreront, à leur choix, une certaine quantité de blé ou un certain nombre de barriques de vin. Pierre et Jacques s'engagent solidairement. Rien de plus licite. Le principe de la liberté des conventions autorise une pareille combinaison qui n'a rien de contraire aux principes soit de l'alternativité, soit de la solidarité.

Mais supposons que l'alternative ait été stipulée au sujet de Pierre, tandis que l'obligation de Jacques porte exclusivement sur l'un des deux termes de l'obligation de Pierre. Cette combinaison ne serait-elle pas contraire au principe d'après lequel l'objet de l'obligation solidaire doit être le même pour tous les débiteurs?

Remarquons d'abord que s'il s'agissait d'une obligation facultative, la question ne ferait pas de doute, pourvu toutefois que ce fut la prestation « in obligatione» et non celle « in facultate solutionis » qui fût commune. Il serait alors absolument vrai de dire qu'il n'y a aucune atteinte portée à l'unité d'objet.

Même au cas d'obligation alternative nous ne pensons pas que la convention en question soit contraire à l'existence de la solidarité. Dans l'esprit des contractants, l'adjonction de la modalité en faveur de Pierre ne préjudiciait en rien à l'existence de la solidarité. La situa

tion sera la suivante : Jacques et Pierre seront codébiteurs solidaires du terme de l'alternative qui leur est commun, mais de plus Pierre pourra prester le second terme, prestation qui a été considérée aussi bien par le débiteur que par le créancier comme équivalente à la première et qui par conséquent produira absolument les mêmes effets. La solution que nous donnons trouve, à notre avis, sa justification dans l'art. 1201, d'après lequel « l'obligation peut être solidaire quoique l'un » des débiteurs soit obligé différemment de l'autre... » Dans notre exemple, Pierre et Jacques sont obligés tous deux au paiement de la même chose, mais Pierre y est obligé différemment de Jacques en ce sens qu'il peut remplacer la prestation commune par une autre équivalente.

40. L'objet de l'obligation solidaire étant unique et le même pour tous, il en résulte que les changements qui se produisent dans cet objet, et qui ont leur cause unique dans cet objet lui-même, doivent être supportés par tous les codébiteurs solidaires.

Il faut, disons-nous, que ces modifications aient une cause purement objective, uniquement relative à l'objet lui-même; il ne faut pas que les différents sujets de l'obligation solidaire aient pris une part quelconque directe ou indirecte à cette modification; car alors entrerait en jeu, par le fait même de cette intervention, un autre élément, l'élément subjectif, et la solution que nous venons de donner ne serait plus juste dans sa partie générale et absolue.

41. Cette restriction opérée, nous trouverons fort peu

PLISSONNEAU

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d'effets ayant pour cause unique l'unité d'objet; il en existe cependant quelques-uns.

42. Si la chose qui fait l'objet de l'obligation solidaire s'accroît par accession (art. 556, 557, 561), cet accroissement sera dù par tous les codébiteurs solidaires. Il en est ainsi en particulier des fruits produits par la res in obligatione dans les différents cas où ces fruits s'ajoutent à l'objet principal de l'obligation. Une chose frugifère a, par exemple, été vendue solidairement par plusieurs copropriétaires, et la vente par hypothèse n'a pas été translative de propriété. Le droit commun permet à l'acquéreur de demander au vendeur en même temps que la chose vendue les fruits que cette chose a produits depuis le jour de la vente; les covendeurs solidaires seront donc tenus, chacun pris isolément, de rendre compte à l'acheteur des fruits et des produits qui sont venus s'ajouter à l'objet principal de la dette.

42 bis. Supposons que ces fruits aient été perçus et consommés par l'un des covendeurs, les autres serontils tenus solidairement de leur restitution et de leur valeur? De même l'un des covendeurs a commis un fait dommageable au créancier, relativement à la perception de ces fruits, par exemple il a usé de procédés qui les ont empêché de se produire ou de se développer; les autres seront-ils, vis-à-vis du créancier, responsables solidairement de ce dommage? Nous ne faisons qu'indiquer la question pour bien la séparer des hypothèses précédentes. Ici s'est produit un fait étran ger à l'objet; l'intervention nécessaire ou intempestive

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