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principaux, chacun d'une partie de la maison, si on peut » connaître par quelle partie de la maison le feu a pris, il sera >> seul tenu de l'incendie, la présomption étant que l'incendie » est arrivé par sa faute. Si on ne peut savoir par quelle partie » de la maison le feu a commencé, étant incertain en ce cas » par la faute duquel des deux locataires l'incendie est arrivé, » il y a lieu de penser qu'aucun des deux n'en sera tenu » (1).

47. Cette opinion repose sur le principe de la personnalité des fautes. Elle était restée isolée, et l'on accordait au propriétaire une action solidaire contre chacun de ses locataires. Il serait, en effet, bien singulier, dit Merlin, que l'on fût sans action, dans le cas où le nombre des locataires multiplie la présomption de faute, tandis que l'on en accorde une dans le cas où il ne se trouve dans la maison qu'un seul chef de famille, et que, par conséquent, la présomption de faute a moins de latitude.

Ce système a été mis en relief et confirmé par un arrêt de la grand'chambre du Parlement de Paris, du 3 août 1777 (*). Une ferme avait été incendiée au moment où deux fermiers l'habitaient le fermier entrant en vertu d'un bail tout récent, le fermier sortant en vertu d'un bail près d'expirer. La cause et l'origine de l'incendie étaient ignorées.

L'arrêt adopta les conclusions de l'avocat général Séguier, qui avait soutenu « qu'à défaut de preuve que l'incendie eût été » causé par une force majeure ou par un cas fortuit, on devait » l'attribuer à la faute de l'un des fermiers; et que dans l'in» certitude de savoir qui des deux avait commis cette faute, >> ils devaient en supporter les dommages-intérêts ». C'est ce système qui a inspiré l'art. 1734 ancien du code civil.

48. En définitive, nous pouvons condenser les principes de

(1) Coutumes d'Orléans, introduction au titre XIX, § 4, n. 25, p. 704. (*) Merlin, Rép., loc. citato.

l'ancien droit sur la responsabilité du locataire à raison de l'incendie dans les propositions suivantes :

Le locataire est tenu de l'incendie causé par sa faute légère. Il est présumé en faute. Mais cette présomption disparaît devant la preuve contraire.

Au cas de pluralité de locataires, ils sont tous solidairement responsables de l'incendie.

CHAPITRE III

TRAVAUX PRÉPARATOIRES DU CODE CIVIL

49. Le but du législateur de 1804 a été de faire cesser la diversité de jurisprudence qui existait dans le dernier état de l'ancien droit. En notre matière, il a admis l'opinion dominante, mais il ne semble pas s'ètre préoccupé de lui donner une base juridique.

Les art. 49 et 50 du titre XIII du liv. III du code civil, devenus dans la rédaction définitive les art. 1733 et 1734, statuaient sur la responsabilité du locataire à raison de l'incendie. Ils furent votés sans opposition.

50. L'art. 1733, qui établissait le principe de la responsabilité, donna lieu, devant le Conseil d'Etat, à quelques observations de M. Defermon qui fit remarquer que l'on imposait au preneur une obligation lourde à laquelle il lui serait difficile de satisfaire. Comment prouver, en effet, que l'événement est arrivé sans sa faute?

Tronchet répondit que « des preuves de cette nature se tirent des circonstances », et l'article fut voté sans autre discussion (1). 51. L'art. 1734 C. civ. édictait la responsabilité solidaire des locataires habitant dans le même immeuble.

Cette disposition rigoureuse, adoptée par d'anciens arrêts, fut vivement critiquée par divers tribunaux qui furent appelés à donner leur avis sur le projet de notre code civil.

Cet article qui, sous certaines preuves négatives, édicte la

(1) V. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du C. civ., XIV, p. 249.

responsabilité solidaire des locataires, disait le tribunal de Colmar, paraît contraire à l'équité et à tous les principes. Nul ne peut être engagé sans son consentement. La loi ne peut obliger personne à courir des risques qu'on ne peut prévoir ou qu'on ne peut éviter sans s'obliger volontairement. Sans doute, un locataire doit être responsable; mais cette responsabilité doit avoir des bornes et être réglée d'après les principes de justice.

Et le tribunal de Lyon, estimant qu'il n'est pas possible d'établir un lien de solidarité entre des locataires choisis sans la participation et souvent contre le gré les uns des autres, proposait, au lieu et place de celle du gouvernement, la rédaction suivante :

«Si aucun ne peut prouver dans l'habitation duquel le feu a » commencé, ils sont tenus des dommages chacun pour sa part » et portion » (1).

Le principe de la solidarité n'en fut pas moins voté sans opposition sérieuse. Seul Lacuée fit observer que la disposition de cet article était trop dure. Mais Treilhard répondit que l'on ne pouvait retrancher à cette rigueur sans priver le propriétaire de son recours.

52. Il faut, à notre avis, chercher la raison d'être de cette disposition dans le désir d'une protection peut-être excessive des droits du propriétaire, au détriment des vrais principes juridiques. C'est la pensée exprimée au Corps législatif dans les termes suivants :

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« Ces règles sont sages, conservatrices de la propriété à laquelle le bailleur n'a aucun moyen de veiller ».

Nous nous bornerons à indiquer ici qu'une loi du 5 janvier 1883 a substitué à la responsabilité solidaire la responsabilité proportionnelle des locataires qui est, seule, rationnelle et juridique.

(') Fenet, IV, p. 200.

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