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DE

LA RESPONSABILITÉ DU LOCATAIRE

A RAISON DE L'INCENDIE DE LA CHOSE LOUÉE

PREMIÈRE PARTIE

Origine historique du principe de la responsabilité du locataire à raison de l'incendie.

CHAPITRE PREMIER

DROIT ROMAIN

1. Le locataire était-il de plein droit, en droit romain, présumé responsable de l'incendie qui, au cours du bail, détruisait la maison louée? Aucun texte ne semble avoir directement réglé ce point. Mais, en revanche, cette question, considérée comme très difficile par les romanistes des xvi° et xvi° siècles, avait donné lieu, parmi eux, à de très vives controverses.

Dans cette esquisse historique, nous nous bornerons à dégager les idées qui étaient alors le plus généralement admises

DE L.

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et nous nous demanderons ensuite si elles correspondent bien à la vraie notion romaine de la responsabilité du locataire à raison de l'incendie.

2. L'on s'était mis d'accord sur la solution à donner aux deux points suivants : 1° l'incendie est dû à un cas fortuit; 2o il est dû, au contraire, au dol ou à la faute lourde.

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par

Dans le premier cas incendie causé la foudre ou communiqué par un édifice voisin l'on décidait que le locataire n'était point responsable. A l'appui de cette solution, l'on citait deux textes 1. 15, D., XIX, 2, et 1. 23, D., L, 17.

Au contraire, le preneur non seulement était tenu des suites de l'incendie, mais pouvait même ètre châtié corporellement si l'incendie était causé par son dol ou par sa faute lourde (1. 28, § 12, D., XLVIII, 19). Il y avait entente sur ces deux hypothèses.

3. Mais que décider si l'on ignore absolument la cause de l'incendie et si on ne peut le rattacher ni au cas fortuit ni à une faute? Deux grandes opinions s'étaient formées, l'une, la plus accréditée, faisant, en ce cas, supporter l'incendie par le propriétaire, l'autre le mettant à la charge du locataire. Bien que très différentes dans leurs conséquences, ces deux thèses s'appuyaient sur les mêmes textes et notamment sur la 1. 1, § 3, D., I, 14: l'incendie est, la plupart du temps, présumé arriver par la faute des habitants. L'on se divise sur la nature de la faute prévue par le texte et, en outre, sur la portée des mots plerumque inhabitantum.

4. L'opinion qui met l'incendie à la charge du propriétaire argumente ainsi sur ce texte (1). Elle dit tout d'abord que la présomption de faute porte non point sur une personne déterminée, mais sur un groupe de personnes, les habitants. Il y a

(1) Menochius, De arbitrariis judicum quæstionibus et causis, casus 390 et les autorités qu'il cite.

donc incertitude et, par suite, impossibilité de fonder une action contre une personne déterminée. Cette difficulté, qui ne pouvait se présenter lorsqu'un locataire habitait seul l'immeuble loué, se produisait lorsque l'immeuble était habité par des personnes dont il n'était point responsable, telles que son épouse, son fils ou son esclave.

A cet argument d'une portée relative, l'on avait coutume d'en ajouter un autre tiré de la fameuse division tripartite de la faute, que les jurisconsultes de l'ancien droit, à l'exception de Doneau (Comment., lib. 16, ch. VII), avaient cru trouver dans le droit romain. La faute présumée à la charge de l'habitant serait une faute très légère non in committendo, mais in omittendo. Or, le locataire ne répondant que de son dol, de sa faute lourde ou légère, ne pourrait être tenu de cette faute d'incendie qui est très légère. A cela une exception. Le locataire peut être responsable même de sa faute légère, s'il en a été ainsi con

venu.

Mais le bailleur pourrait-il poursuivre la réparation de cette faute très légère par l'action de la loi Aquilia? Non, répondaiton, parce que cette action suppose une faute de commission et ne réprime point les fautes d'omission.

Maintenant, le locataire sera tenu de l'incendie causé par sa faute légère. Il devra même réparer le dommage causé aux maisons voisines (1. 30, § 3, D., IX, 2, et l. 27, § 9, D., IX, 2).

Le juge appréciera, d'après les circonstances, s'il y a ou non faute légère.

5. Dans un deuxième système (1), le locataire était, au contraire, présumé responsable de l'incendie. La faute présumée par la l. 1, § 3, D., I, 14, ne serait point une faute très légère, mais simplement une faute légère. En outre, la l. 11, D., XVIII,

(1) Fachinæus, Controversiarum opus, cap. 87.

6, signifie que, pour s'exonérer de la présomption qui pèse sur lui, le père de famille ou le locataire a simplement à prouver qu'il n'a commis aucune faute. L'on faisait en outre fort justement remarquer que la l. 5, § 2, D., XIII, 5 et la 1. 23 D., L, 17, invoquées par l'opinion commune, favorable au propriétaire, parlaient simplement de la faute, mais non de la faute très légère.

Quant à l'argument tiré du caractère de généralité de la présomption de faute, on le rétorquait en disant que la loi 51, § 1, D., IX, 2, accordait l'action de la loi Aquilia contre tous ceux qui avaient frappé un esclave, lorsqu'il était impossible de connaître celui qui avait porté le coup dont cet esclave était

mort.

6. Nous n'avons point, dans une étude historique, à nous prononcer sur ces deux systèmes. Néanmoins, il nous paraît que la première opinion repose sur des subtilités et sur une notion très inexacte du caractère de la faute, tandis que la dernière dénote, chez ses adeptes, de la logique et une connaissance approfondie du droit romain.

7. Examinons une dernière hypothèse. La maison incendiée est habitée par plusieurs locataires, et l'on ne sait chez lequel d'entre eux l'incendie s'est déclaré. Seront-ils tous responsables? Non, répond Menochius, loc. cit., parce que dans l'incertitude où l'on se trouve de savoir chez qui le feu a pris, l'on ne peut demander à aucun les réparations du sinistre. C'est la conséquence de l'opinion de Menochius qui pense que la présomption de faute doit, pour pouvoir s'exercer, peser sur une seule tête. Nous verrons que Pothier s'est rangé à cette opinion. 8. A notre avis, la vraie doctrine romaine est celle-ci Dans le doute, le locataire est responsable de l'incendie, à moins de prouver qu'il n'a commis aucune faute et a fait tout son possible pour éviter le feu.

A l'appui de cette thèse, l'on a coutume de citer deux textes: 1. 3, D., I, 14 et la l. 12, D., XVIII, 6.

Le premier texte, qui est une loi de Paul, énumère les attributions du préfet des Vigiles. Ce fonctionnaire était plus particulièrement chargé du service des incendies. Il lui appartenait de réprimer les méfaits et les simples fautes qui pouvaient être commis à l'occasion des incendies. Et comme, dans cet ordre d'idées, l'incendie est, dans la plupart des cas, causé par la négligence des habitants, et quia plerumque incendia culpá fiunt inhabitantium, ces derniers devaient être, suivant la gravité de leur faute, frappés de verges ou simplement admonestés.

Ce texte n'a point, à notre sens, d'autre portée que celle d'un règlement de police. Il est donc illogique d'étendre ses dispositions à des matières de droit civil. Cependant, il nous indique que pour les Romains l'incendie n'était point fortuit, mais dû à une faute. Nous allons nous demander si le locataire était, par son contrat, tenu de cette faute.

9. Le locataire est tenu notamment des deux obligations sui

vantes :

Il doit 1° user de la chose louée en bon père de famille; 2° restituer cette chose à la fin du bail ('). La perte de la chose arrivée par cas fortuit libère le locataire, mais si la perte est due à une faute, il reste tenu, parce que la faute prolonge son obligation (1. 30, D., XIX, 2).

Mais la difficulté reste entière. Il est certain que le locataire répond de sa faute. Cela ressort de divers textes du Digeste qui formulent la théorie de la faute contractuelle.

Ulpien (1. 23, D., L, 17) dit, en effet, que le locataire est tenu de sa faute et de son dol, et qu'il doit apporter de la diligentia, c'est-à-dire user de la chose louée en bon père de

(1) Donellus, Opera, III, de jure civili, lib. XIII, cap. VIII, p. 862.

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