Page images
PDF
EPUB

offertes soient sérieuses, réelles, et non illusoires (1). Plus cautionis in re est quam in persona. Aussi, lui faut-il s'assurer, par tous les moyens à sa portée, de la valeur du gage, et lorsqu'il se sera entouré de renseignements reconnus sérieux par le prêteur lui-même, sa responsabilité sera à l'abri. La valeur des immeubles est une chose tellement sujette à fluctuation qu'il est fort difficile de donner une appréciation exacte: la loi exige trois experts. A lui seul, le notaire ne peut pas déterminer, au juste, la somme au-dessus de laquelle il est dangereux de prêter. Tout le monde sait la défaveur des ventes sur saisie, et il arrive sou vent que le même immeuble vendu à intervalles rapprochés atteigne des prix bien différents (2). Le notaire, du reste, n'a pas à fixer la valeur des biens, mais seulement à dégager cette valeur des éléments dont il dispose. Il est certain qu'il ne doit pas être négligent et constater des valeurs manifestement trop grandes (3); mais lorsqu'il aura apporté toute la prudence désirable, on ne pourra rien lui reprocher. En sa seule qualité de mandataire, il n'est pas tenu de faire procéder à une expertise, pas plus qu'il ne peut être responsable de la valeur donnée au gage par une expertise postérieure (4), à moins que l'insuffisance du gage soit manifeste et notoire au moment du prêt (5): si, par exemple, la valeur de l'immeuble ne dépasse pas la somme prêtée, d'une façon suffisante pour parer aux frais de réalisation du gage, aux intérêts conservés par la loi au même rang que le capital, et à une certaine dépréciation de la propriété (6). En un mot, le notaire doit s'assurer que les immeubles hypothéqués garantissent suffisamment la somme objet du prêt, ses intérêts pendant

(1) Riom, 5 janvier 1894 (J. N., 25752).

(2) Trib. Seine, 4 décembre 1877 (DP., 78, 3, 16). Poitiers, 11 novembre 1889. (Rev. not., 8223; DP., 90, 2, 198). Trib. Périgueux, 14 juin 1890 (J. N., 24905). Trib. Vervins, 9 décembre 1892 (J. N., 25172).

(3) Douai, 19 janvier 1887 et 24 janvier 1887 (Rev. not., 7620).

(4) Dijon, 28 décembre 1876 (DP., 78, 1, 168).

(5) Trib. Cambrai, 17 novembre 1886, et Rouen, 22 novembre 1886 (Rev. not., 7578).

(6) Orléans, 9 décembre 1892 (DP., 94, 2, 452).

deux années, plus l'année courante et les frais de mise à exécution et autres, s'il y a lieu.

Le notaire doit encore vérifier l'état hypothécaire des immeubles (1), surtout s'il est dit dans l'acte, que le capital deviendra exigible si l'immeuble est déjà grevé au-delà d'une certaine

somme.

Nous savons qu'en sa seule qualité d'officier public, le notaire n'est pas tenu de remplir les formalités hypothécaires nécessaires, non pour donner à l'acte sa perfection, mais pour assurer l'efficacité des droits des parties (2). Cependant, lorsqu'il a reçu un mandat, exprès ou tacite, pour s'occuper de ces formalités, il est responsable de leur accomplissement. La jurisprudence. est formelle (Paris, 14 juin 1854; DP. 55, 2, 252. Cass., 14 février 1855; DP. 55, 1, 170), et le conseiller rapporteur de ce dernier arrêt a pu dire justement : « Le notaire qui s'est chargé tacitement ou par écrit d'assurer l'exécution ou l'efficacité de l'acte qu'il a reçu, est responsable envers ses clients de sa négligence. ou de l'omission des formalités nécessaires pour obtenir le résultat qu'on s'était proposé. » Et le notaire ne dégagerait pas sa responsabilité en soutenant que s'il n'a pas pris l'inscription, c'est qu'elle aurait été sans effet (3). Ce n'est pas à lui à trancher la question le client lui a donné mandat de remplir la formalité, qu'il exécute son mandat, et sa responsabilité sera à couvert.

On considère généralement comme seul responsable, le notaire qui fait inscrire une hypothèque dans un bureau autre que celui de l'arrondissement dans lequel se trouve l'immeuble (Paris, 26 janvier 1872, Rev. not., 4110, confirmé par Cass., 25 novembre 1872; DP. 73, 1, 134, et Rev. not., 4303). Il nous semble que les conservateurs devraient partager avec eux la responsabilité, car ils ne sont pas aussi passifs que l'arrêt précité semble l'admettre, et c'est tout au moins chez eux un devoir

(1) Cass., Req., 20 décembre 1882 (DP. 83, 1, 311) et 17 octobre 1893 (J. N. 25236).

(2) Cass., Req., 22 février 1897 (Rev. not., 9790). (3) Cass., 21 mars 1855 (DP. 55, 1, 133).

moral d'avertir les parties des irrégularités qui pourraient profiter à des tiers. Eux-mêmes, du reste, interprètent autrement la loi du 21 ventôse an VII, particulièrement pour la radiation des inscriptions. Or, ils doivent parfaitement connaître les immeubles se trouvant dans leur bureau, puisque l'article 39 de la loi du 21 ventôse an VII, les oblige à avoir un tableau sur trois colonnes contenant la première, les noms des communes de l'arrondissement; la seconde, l'ancien arrondissement dont chacune d'elles faisait partie, et la troisième, l'indication du bureau de la nouvelle organisation hypothécaire. Du. reste, jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation, du 25 novembre 1872, les conservateurs n'étaient pas considérés comme aussi passifs (1). L'article 2199 du Code civil ordonne aux conservateurs d'inscrire, de suite, à leurs bureaux, les inscriptions requises; mais encore faut-il qu'ils aient qualité pour le faire. Or, il est incontestable qu'ils n'ont pas à inscrire une hypothèque sur un immeuble situé en dehors de leur circonscription, pas plus qu'ils ne peuvent percevoir de salaire ; ils sont donc en droit de se refuser à remplir cette formalité; bien plus, ils devraient le considérer comme étant leur devoir. Et ce sera pour eux le moyen de prévenir le notaire, qui, comme tout homme, peut se tromper. Certainement, le notaire doit s'entourer de renseignements; mais à qui les demander sur la limite exacte de la circonscription du bureau des hypothèques, si ce n'est au conservateur luimême ?

La rédaction des bordereaux est particulièrement importante. Il a été décidé que le notaire qui omet la subrogation à l'hypothèque légale de la femme en est responsable (2), la faute fût-elle le fait d'un de ses clercs (3), car il répond de tous les actes de son étude, et ses clercs sont considérés comme ses manda

(1) Lyon, 13 avril 1832 (S. 33, 2, 393). Pau, 21 janvier 1834. Paris, 17 août 1843. Cass., 9 juin 1841. 12 juillet 1847. Agen, 6 août 1852, confirmé par Cass., 3 janvier 1853.

(2) Bordeaux, 21 janvier 1862 (Rev. not., 285).

(3) Trib. Joigny, 17 mars 1859 (DP. 59, 3, 46).

taires (1). Si l'immeuble sur lequel il faut prendre inscription se trouve en dehors de son arrondissement, le notaire doit élire domicile, pour son client, dans un endroit quelconque de l'arrondissement des biens; mais là se borne son obligation, et si, dans le bordereau, le notaire a élu domicile dans sa propre étude pour la correspondance et le retour des pièces, c'est, de sa part, une précaution surabondante, à laquelle il n'était pas tenu et qui ne peut l'obliger à en donner avis à l'autre domicile élu (2).

Il a été jugé souvent que le notaire mandataire devait renouveler l'inscription, qu'il fût ou non détenteur des titres (3). Tout le monde l'admet; la seule chose sur laquelle il puisse y avoir des difficultés, c'est sur la preuve elle-même du mandat.

Lorsqu'un créancier fait directement, et sans l'intervention de son notaire, une prorogation de délai à son débiteur, est-ce une preuve qu'il reconnaît le placement comme bon et qu'en conséquence il décharge le notaire de toute sorte de responsabilité ? «Nous le croyons, en règle générale, disent Rutgeerts et Amiaud, no 1373 bis, car, en prolongeant le terme d'exigibilité, le créancier a formellement prouvé qu'il acceptait le placement et n'avait aucun doute sur la solvabilité du débiteur. » Nous ne sommes pas aussi affirmatif; il peut y avoir des circonstances où ce fait ne prouve pas une décharge de mandat: par exemple, si la prorogation a été faite sur les conseils du notaire ou pour sauvegarder une situation notoirement mauvaise.

Dans le même ordre d'idées, le tribunal de Vervins, le 9 décem bre 1892 (J. N., 25172) décida que le notaire mandataire est déchargé de toute responsabilité lorsque son client a transporté la créance à un tiers, ratifiant ainsi l'acte dans tous ses effets. Cette décision de jurisprudence, quoique très avantageuse pour le nota riat, ne saurait être regardée comme une déclaration de principe mais plutôt comme une présomption de ratification du prêt que

(1) Dijon, 22 novembre 1895 (Rev. not., 9539).

(2) Paris, 6 mai 1872 (Rev. not., 4181).

(3) Saint-Etienne, 17 mars 1873 (Rev. not., 4439). Cass. Req., 15 décembre 1874 (DP. 75, 1, 453; Rev. not., 4852). Moulins, 28 mai 1876; Rev. not., 5247).

comme une décharge de responsabilité du notaire négociateur. Il y a toujours à considérer des questions de fait et d'intention, qui ne peuvent être résolues que selon les circonstances de chaque espèce.

APPENDICE

De l'action en responsabilité

Le corollaire nécessaire de la responsabilité du notaire est l'exercice de l'action en responsabilité; autrement, le droit à la réparation du préjudice serait illusoire. Cette action, qui ne comporte rien de particulier pour les fautes commises par les notaires dans les prêts hypothécaires, est soumise aux règles générales de la procédure et aux articles 33 et 53 de la loi de Ventôse quant à la compétence du tribunal et aux voies d'exécution sur le cautionnement. Nous n'avons donc pas à entrer dans

son examen.

Disons seulement que le client a deux choses à prouver le préjudice éprouvé et la faute imputable au notaire.

Il ne peut y avoir préjudice qu'après la réalisation du gage, si celui ci n'est pas suffisant pour garantir le prêt. Jusqu'à ce moment, le client n'a pas le droit de faire sommation au notaire d'avoir à restituer les fonds, et le notaire ne peut être tenu de rembourser lui-même la somme (Angers, 28 janvier 1895 (J. N., 23729).

Il faut aussi prouver la faute (1), et un notaire qui démontrerait, par exemple, que si le gage est insuffisant, c'est que les poursuites n'ont pas été faites en temps opportun, ne pourrait encourir aucune espèce de responsabilité. Du reste, pour apprécier la faute, ce n'est pas au moment de la réalisation du gage

(1) Paris, 4 août 1873 DP. 74, 2, 83), Toulouse, 24 mars 1879 (DP. 79, 2, 244). Cass., 30 mai 1881 (DP. 81, 1, 414).

« PreviousContinue »