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et la jurisprudence, surtout depuis l'arrêt de la Cour de cassation, du 14 février 1855 (S. 55, 1, 171; DP. 55, 1, 170) s'est rangé à l'avis des jurisconsultes (1). « C'est un principe consacré par la jurisprudence, disait le conseiller rapporteur de cet arrêt, et placé désormais hors de toute controverse, que les notaires ne sont pas tenus, aux termes de la loi de leur institution, de remplir les formalités destinées à assurer l'efficacité ou l'exécution des actes qu'ils reçoivent. Un arrêt de votre chambre, du 14 juillet 1847, le seul que je veuille citer, énonce cette règle en ces termes: «Attendu, en droit, que la loi du 25 ventôse n'impose «pas aux notaires l'obligation de remplir les formalités extrin«sèques de l'acte qu'ils reçoivent en cette qualité, telles que «la transcription du contrat ou l'inscription de l'hypothèque «de garantie.» «Attendu, dit un autre arrêt de la Cour de «< cassation, du 6 juin 1894 (DP. 94, 1, 359), que si le notaire « ne peut être tenu qu'en vertu d'un mandat exprès de la « partie, d'accomplir certaines formalités et de veiller à l'exécu<«<tion de certaines opérations étrangères à la rédaction de « l'acte... >>

D'après la loi de Ventôse, les notaires ne sont, en effet, que des officiers publics institués dans le but unique de donner aux conventions l'authenticité qui leur est nécessaire. Cette authenticité acquise, leur rôle est terminé. Toute la question est donc de savoir si les formalités hypothécaires sont nécessaires ou non à la validité de l'acte notarié.

L'hypothèque ne produit pas, par le seul fait de son existence,

(1) Rouen, 7 décembre 1848 (DP. 49, 2, 55). Nîmes, 5 février et 27 juin 1849 sous Cassation du 29 juillet 1850 (DP. 50, 1, 266.) Paris, 26 juin 1852 (DP. 53, 2, 94). Lyon, 13 août 1852 (DP. 53, 2, 94). Rouen, 24 novembre 1852 (DP. 54, 2, 75.) Amiens, 29 janvier 1863 (Rev. not., 619). Montpellier, 7 février 1866 (Rev. not., 1551). Cass., 11 juillet 1866 (Rev. not., 1851). Trib. Seine, 24 avril 1868 (J. N., 20799, et Rev. not., 2159). Orléans, 18 janvier 1879 (J. du not., 3192). Toulouse, 24 mars 1879 (J. N., 22178 et Rev. not., 6049). Cass., 9 juillet 1890 (DP. 91, 1, 381). Cass., 18 janvier 1892 (DP. 92, 1, 454). Pau, 20 juin 1892 (DP: 93, 2, 161). Paris, 8 novembre 1894 (Rev. not. 9372). Cass., 28 janvier 1895 (DP. 95, 1, 184). Cass., 18 novembre 1895 (DP. 96, 1, 16; S, 96, 1, 500). Cass., Req., 22 février 1897 (Rev. not., 9790).

les effets que les parties ont besoin d'en retirer. A l'acte du notaire il faut un complément : l'inscription sur les registres du conservateur. Jusque-là, tout en étant valable, l'hypothèque n'a d'existence qu'entre les parties contractantes et ne peut produire aucun effet légal. Mais de ce qu'elle ne peut encore donner naissance aux conséquences pour lesquelles elle existe, il ne s'en suit pas nécessairement que l'acte du notaire soit sans vie; or, la validité de l'acte est tout ce que les clients peuvent exiger. Du moment qu'il est fait en conformité de la loi de Ventôse, le notaire a accompli son devoir. Pour tout le monde, aujourd'hui, les formalités hypothécaires sont indépendantes de l'acte; le contrat existe valablement sans elles; aucun texte de loi n'oblige les notaires à les remplir. Elles ne sont donc pas de leur compétence, et ils n'ont nul besoin de se faire dispenser expressément de formalités qu'ils n'ont pas à accomplir. Nous n'avons pas, du reste, à insister sur un point à l'abri de toute controverse sérieuse.

En fait, cependant, les notaires remplissent presque toujours ces formalités comme mandataires de leurs clients. Nous verrons, dans la IIIe partie, quand ce mandat, presque toujours tacite, existe véritablement; la jurisprudence en reconnaît trop facilement la preuve et, sans retomber dans la théorie du mandat légal, elle arrive ainsi à en admettre les conséquences.

Le Code civil n'exige pas que les formalités hypothécaires soient remplies dans un certain délai; il paraît donc qu'un notaire puisse quand bon lui semble les accomplir. Nous supposons, bien entendu, que le mandat est muet sur ce point, car il devrait, autrement, se conformer aux ordres de son mandant. Cette question est particulièrement importante, et l'on a vu souvent un débiteur constituer plusieurs hypothèques à des dates différentes et rapprochées et faire inscrire sciemment la dernière, consentie avant la première. Si un notaire était complice d'une semblable fraude, il encourrait une sévère responsabilité; mais, généralement, il n'en est pas ainsi, et le débiteur trompe le notaire et le créancier. Combien de temps peut donc s'écouler

avant qu'il y ait une faute à reprocher au notaire ? La loi, nous le répétons, n'a fixé aucun délai; c'est une question de fait dans laquelle le juge est tout puissant. Nous croyons cependant qu'on pourrait utilement se baser sur les considérations suivantes : le notaire a dix jours pour faire enregistrer un acte de constitution d'hypothèque; on ne peut donc pas l'accuser de négligence si c'est seulement le dixième jour qu'il accomplit cette formalité, puisqu'il est dans les délais légaux; le receveur de l'enregistrement a, de son côté, le droit de le garder vingt-quatre heures, et, s'il le remet dans le temps fixé, il faut bien accorder au notaire une certaine latitude pour expédier la minute et rédiger le bordereau. En tenant compte des jours fériés et du travail courant de l'étude, un notaire peut, croyons-nous, jusqu'au vingtième jour de la date de l'acte faire inscrire une hypothèque sans engager sa responsabilité.

Mais suivant le précepte: Fraus omnia corrumpit, le notaire qui sait qu'en n'agissant pas rapidement il causera un préjudice, est responsable et doit réparation. C'est donc toujours une question de fait et de bonne foi que les juges ont à examiner.

CHAPITRE IV

Des clauses de non-responsabilité, préventives ou
d'exonération.

Lorsqu'il en est régulièrement requis, le notaire est tenu de passer les actes pour lesquels les parties recourent à son ministère. Il y est obligé toutes les fois que les conventions ne sont contraires ni aux. lois, ni aux bonnes mœurs : il n'a pas à s'occuper si elles sont faites dans l'intérêt de toutes les parties. Une telle opinion, qui a parfois été approuvée par la jurisprudence, aurait pour conséquence de faire du notaire le tuteur légal de ses clients, ce qui n'a jamais été dans l'esprit de la loi de Ven

tôse. Le notaire ne doit refuser son concours que si l'acte est illégal ou frauduleux; dans tous les autres cas, il ne peut se soustraire à une obligation qui lui est formellement imposée par la loi. Que les notaires se considèrent comme moralement tenus d'éclairer les clients sur les conséquences de leurs actes, nous verrons, dans la IIe partie, que c'est un peu leur devoir, mais non une obligation légale. Il arrive que, malgré leur avis, les contractants persistent à réaliser un placement préjudiciable, à ne pas faire inscrire l'hypothèque, ou à négliger les significations nécessaires. Le notaire ne peut cependant pas se substi tuer à ses clients; il ne peut les obliger à obéir à sa volonté ; d'un autre côté, il est dans l'impossibilité de refuser son ministère; aussi, pour se garantir dans la limite du possible, est-il dans l'usage de mettre dans les actes ainsi passés une clause dite de non responsabilité, préventive ou d'exonération, et qui est généralement ainsi conçue : « Les parties reconnaissent que le prêt qui vient d'être constaté a eu lieu directement entre elles, sans le concours de Me X..., notaire soussigné, qui a seule ment prêté son ministère afin de donner l'authenticité aux présentes conventions. >>

La doctrine admet la validité de cette clause (1), et nous croyons que la jurisprudence l'admettrait aussi s'il n'y avait aucun doute sur sa signification. Ce qu'elle veut dire, c'est que le notaire n'a été ni le mandataire, ni le gérant d'affaires, de l'un ou de l'autre des contractants, qu'il ne s'est nullement entremis dans la négociation du prêt, mais non pas qu'il est déchargé, par ses clients, des obligations inhérentes à sa fonction de notaire, qu'il est affranchi de la responsabilité résultant d'une faute commise dans l'exercice de sa profession.

Malgré cette limitation dans le sens de cette clause, la juris

(1) Massé, Parfait notaire, t. I, liv. IV, ch. XXIX, p. 654. P. Pont, Revue critique, t. VII, p. 49. Boeker, J. du not., numéro du 25 octobre 1862. Defrénois et Vavasseur, t. IV, no 7642. Vilain, Cours de notariat français, no 282. Maillaud, Notariat simplifié, Respons., p. 419 et 420. Ed. Clerc, Formulaire, t. I, p. 208. E. Paultre (Rev. not., nos 816 et 2683), etc.

prudence n'en a admis que rarement la validité (1); elle semble fixée, d'une manière absolue, en sens contraire (2).

Mais, en jugeant ainsi, elle ne se rend pas compte de la posttion défavorable dans laquelle elle place le notaire. S'il refuse son ministère, elle lui applique l'article 3 de la loi de Ventôse; s'il authentique la constitution d'hypothèque, malgré ses conseils, elle le rend responsable de toutes les conséquences d'un acte qu'il a rédigé malgré lui: ce qui fait que, de quelque manière qu'il agisse, le notaire ne peut mettre sa responsabilité à couvert, les clients ont toujours un recours contre lui. « Nous sommes, dit M. Paultre, dans la Revue du notariat, les conseils légaux des parties; nous devons les avertir de l'illégalité de leurs conventions (Lyon, 8 février 1867. Dijon, 12 juillet 1867) et les éclairer sur toutes les conséquences qui en découlent. Nous devons veiller à l'accomplissement de toutes les formalités qui sont la suite de nos actes. Fort bien. Mais nous ne pouvons pas mettre, en tous cas et toujours, notre volonté à la place de la volonté du client. Or, quand, malgré nos conseils et notre avertissement, les parties persisteront à réaliser un acte annulable ou préjudiciable à l'une d'elles, qui viendra, plus tard, rendre témoignage à notre conduite? Qui viendra attester que nous avons fidèlement rempli notre mission, s'il ne nous est pas permis d'insérer, au contrat, la mention explicative de ce qui s'est passé ? » Une telle solution n'est pas admissible, et pourtant elle existe avec la jurisprudence actuelle.

Ces clauses sont « inefficaces en droit et en fait, ambigües et équivoques» (Toulon, 30 juin 1859, Rev. not., 2572); et « les parties et les juges ne sont aucunement liés » par elles (Cass., Req., 17 juillet 1872, S. 72, 1, 386; DP. 73, 1, 87, Rev. not., 4248).

(1) Metz, 17 juin 1863 (Rev. not., 606). Paris, 15 mars 1870 (Rev. not., 2711). Auxerre, 2 mars 1892, confirmé par Paris, le 7 décembre 1892. Amiens, 29 janvier 1863 (Rev. not., 619). Blaye, 4 juin 1873. Ces deux dernières décisions blâment même le notaire de n'avoir pas inséré cette clause.

(2) Aix, 28 avril 1870 (Rev. not., 2934). Trib. Seine, 26 janvier 1876 (J. N., 22, 906). Paris, 22 novembre 1889 (J. N., 24, 435). Trib. Chambéry, 11 août 1890 (J. du not., 1890, p. 749).

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