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comme officier public, qu'il agit. Certains auteurs et quelques arrêts de jurisprudence (1) ont voulu y voir un double mandat, émanant et du prêteur et de l'emprunteur; mais, comme des négociations ont toujours précédé la réalisation du prêt, on peut dire plutôt qu'il s'agit d'un véritable courtage. Un mandat, pour exister valablement, doit être accepté et surtout conféré; or, il n'est pas dans la pensée du notaire d'aggraver ainsi sa responsabilité, pas plus qu'il n'est dans celle des clients, de leur imposer une semblable obligation. Il est certain que dans chaque espèce, il y a une question de fait à examiner: par exemple, si aux circonstances ordinaires s'ajoutent des faits positifs, tel que promesses ou correspondances, ou bien si le notaire débat. les conditions du prêt au nom du prêteur; alors on pourra y voir un mandat, mais généralement ce contrat n'existe pas. le notaire, qui ne fait qu'indiquer un emprunteur à un créancier, ne saurait être responsable, surtout si celui-ci est intelligent et capable de s'assurer par lui même des garanties offertes (2), ou bien encore s'il connaît personnellement l'emprunteur (3). Une semblable indication ne peut constituer le contrat de mandat (4).

Les notaires, dans l'exercice de ces négociations, remplissent les mêmes fonctions que les courtiers de commerce. L'article 12 de l'ordonnance de 1843 leur interdit de se porter caution, comme l'article 86 du Code de commerce le défend aux courtiers. Il paraît donc juste qu'ils soient traités de la même manière et qu'ils assument la même responsabilité qu'eux. « Or, jamais, dit le Répertoire alphabétique de Dalloz (Bourses de commerce, no 521), tant que la mauvaise foi n'est pas prouvée, il (le courtier de commerce) ne peut répondre ni de la valeur des objets compris dans le contrat qui se forme par son intermédiaire, ni de la

(1) Trib. Seine, 4 décembre 1877 (Rev. not., 5587).

(2) Douai, 19 janvier 1889 (Rev. not., 8222).

(3) Cass., Req, 2 arrêts du 19 octobre 1891 (J. N., 24760). Rennes, 21 juillet 1887. (J. N., 23967).

(4) Besançon, 31 décembre 1894 (Rev. not., 9430).

solvabilité des parties, ni des suites de l'engagement. » Somme toute, comme le décidait la Cour de Douai, le 14 juin 1858 (DP. 58, 2, 149), la responsabilité n'existe qu'en cas de dol ou de faute lourde. Pourquoi considèrerait on plus sévèrement le notaire, alors qu'il n'y a rien « qui doive lui faire craindre d'engager sa responsabilité dans le cas où l'affaire viendrait à mal tourner (1).

(1) Paul Pont, dans la Revue du notariat, no 462.

TROISIÈME PARTIE

DU NOTAIRE MANDATAIRE OU NEGOTIORUM GESTOR

CHAPITRE Ier

Différence entre le mandat et la gestion d'affaires

Jusqu'ici, nous avons considéré le notaire en sa seule qualité d'officier public; mais il faut convenir que, pratiquement, cette situation est une exception, et que la responsabilité est ordinairement modifiée par l'application des règles du mandat ou de la gestion d'affaires.

Nous avons vu que le notaire n'était pas le mandataire légal de ses clients, et que cette qualification n'avait pas sa raison d'être; mais le mandat conventionnel trouve ici une fréquente application.

Pour exister, celui-ci doit être conféré expressément, c'est-àdire par acte authentique, par convention sous signatures privées, par lettre missive ou verbalement ; mais, pour produire ses effets légaux, il doit être accepté, et pour cette acceptation, la loi se contente de l'expression tacite de la volonté (Art. 1985 du Code civil). En est-il de même pour le mandat en lui-même? Peut-il être tacite sans être une gestion d'affaires?

L'affirmative est aujourd'hui admise et par la doctrine et par la jurisprudence. Cependant, il y avait quelque doute à adopter cette manière de voir. L'article 1985 du Code civil s'exprime, en effet, en ces termes : « Le mandat peut être donné ou par acte

public, ou par écrit sous seing privé, même par lettre. Il peut aussi être donné verbalement; mais la preuve testimoniale n'en est reçue que conformément au titre des contrats ou des obligations conventionnelles, en général. L'acceptation du mandat peut n'être que tacite et résulter de l'exécution qui lui a été donnée par le mandataire. » D'après ce texte, le mandat ne peut être qu'écrit ou verbal, à la différence de son acceptation, qui peut être tacite. Et, si nous consultons les travaux préparatoires de la loi, nous y trouvons le passage suivant du rapport fait par Tarribe au Tribunat, dans la séance du 16 ventôse an XII : « Il est de la nature des contrats consensuels que le consentement puisse être donné dans toute forme propre à le manifester. La conséquence de ce principe est que le mandat, qui appartient à cette classe de contrats, puisse être donné par un acte public ou privé, par une simple lettre et même verbalement, que le mandataire puisse l'accepter de ces diverses manières, qu'il puisse même l'accepter tacitement par la simple exécution. » Le rapporteur, pas plus que le texte du Code civil, ne parle du mandat tacite; il semble donc que ce cas n'ait pas été prévu ou qu'il ait été omis volontairement. Cette opinion peut encore s'appuyer sur le texte de l'article 1372 du Code civil, qui dit que la gestion d'affaires existe, que le propriétaire la connaisse ou qu'il l'ignore, ce qui semble exclure la possibilité du mandat tacite. D'après ces différents textes, on pourrait donc conclure qu'il y a gestion. d'affaires et non mandat, toutes les fois que celui-ci n'est pas conféré expressément, par écrit ou verbalement.

Malgré la valeur réelle de ces arguments, la jurisprudence et les auteurs n'ont pas cru devoir admettre cette théorie, ainsi que nous le constations tout à l'heure.

Le mandat est un contrat consensuel, répond-on, dans lequel la forme n'a aucune valeur, et qui, pour exister, n'a besoin que du consentement des parties. Qu'il soit écrit, verbal ou tacite, il sera valable dès que les volontés se seront touchées. La forme elle-même est indifférente et ne peut être utile que pour la facilité de la preuve. Si certains actes, comme le testament ou

la donation, en vertu de la règle Forma dat esse rei, ont besoin de la forme pour leur validité, il n'en est pas de même du mandat. Et en employant le mot « verbalement » comme antithèse aux mots « acte public, écrit sous seing privé, lettre », l'article 1985 désigne toute procuration donnée autrement que par écrit. Il ne faut pas prendre cette expression à la lettre, mais la considérer plutôt comme synonyme de cette autre, «sans écrit ». L'article 1372 dit bien, en effet, que la gestion d'affaires existe, même si le propriétaire en a connaissance; mais pourquoi interpréter ce texte dans le sens indiqué par l'opinion que nous combattons ? N'est il pas plus simple de dire que l'on subit quelquefois une position que l'on regrette et que, pour une cause quelconque, on ne peut faire cesser? Un propriétaire peut se trouver dans une semblable posture, et c'est, croyons-nous, le cas auquel l'article fait allusion.

Aussi, M. P. Pont a-t-il pu écrire justement (Petits contrats, I, n° 844): « Conformément aux observations du Tribunat (1), il fut admis que l'écriture n'est pas nécessaire pour la constitution du mandat, et que, même donné par paroles ou par signes, le mandat n'en est pas moins susceptible, dès que l'existence en est reconnue ou établie, de créer entre les parties, les engagements propres au contrat. Cela seul doit faire décider que sous le Code Napoléon, de même qu'en droit romain et sous l'ancien droit français, le mandat peut se former même tacitement, c'est-à-dire sans qu'il intervienne aucune déclaration expresse de la volonté des parties. »

Et le législateur lui-même n'a-t-il pas admis un mandat tacite, en décidant que « la remise de l'acte ou du jugement à l'huissier, vaudra pouvoir pour toutes exécutions autres que la saisie immobilière et l'emprisonnement, pour lesquels il sera besoin d'un pouvoir spécial. » (Art. 556, C. Pr. civ.)

Donc, le mandat tacite peut exister et existe réellement,

(1) En s'exprimant ainsi, M. P. Pont réfute l'argument tiré du rapport de Tarribe au Tribunat, et dont nous avons signalé plus haut un passage impor

tant.

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