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tation des alcools se trouve entre les mains de commerçants que leur honorabilité et leur grande situation mettent à l'abri de toute accusation de pratiques inavouables.

Il n'est pas sans intérêt de signaler un fait qui résulte des études auxquelles on s'est livré en Allemagne pour arriver à l'épuration des alcools. D'après les dernières recherches, il a été reconnu que les alcools de pommes de terre, plus particulièrement fabriqués en Allemagne, l'emportent sur tous les autres, en raison d'une épuration plus facile et de la moindre proportion de matières nuisibles qu'ils contiennent.

En terminant, M. Göhring dit qu'il attachait du prix à exposer, au nom du Gouvernement allemand, les considérations qui précèdent, parce qu'on répète trop fréquemment, comme un axiome, que les alcools destinés à l'Afrique doivent, en raison de leur prix minime, être tenus pour falsifiés. Dans la séance du 24 mai, Lord Vivian semble s'être également exprimé en ce sens. Or, il n'en est pas ainsi, tout au moins pour ce qui regarde les alcools de provenance allemande.

LORD VIVIAN déclare qu'il n'a entendu désigner aucun pays; il a dit qu'il croyait que la prohibition de l'importation en Afrique des spiritueux falsifiés serait probablement beaucoup plus efficace pour restreindre le commerce des boissons alcooliques que ne pourrait l'être un droit minime d'entrée; il a ajouté qu'à son avis, si l'on adoptait cet amendement, il en résulterait une grande réduction de l'importation. Or c'est là le but que son Gouvernement désire atteindre.

M. BANNING rappelle que lors de l'introduction de la proposition dont l'Assemblée est saisie, M. le Plénipotentiaire de Turquie a suggéré l'idée de la déférer à l'examen d'un Comité spécial pris dans le sein de la Conférence. Cette suggestion n'a pas été accueillie à raison des connaissances techniques qui seraient nécessaires pour traiter cette matière. Toutefois il était évidemment utile de prendre l'avis de quelques hommes d'une compétence reconnue. M. Banning s'est adressé dans ce but à M. Stas, président de l'Académie des sciences de Belgique et vice-président du conseil d'hygiène, dont les travaux de chimie jouissent d'une notoriété universelle, ainsi qu'à M. Depaire, professeur de chimie pharmaceutique et de toxicologie à l'Université de Bruxelles. L'opinion de ce dernier savant a d'autant plus de poids qu'il a été chargé, en 1887, par le Gouvernement belge, de vérifier les spiritueux consommés dans le pays. 502 échantillons, recueillis dans les diverses provinces par les commissions médicales, ont été soumis à cette occasion à l'analyse,

En voici les résultats : Tous les spécimens ont été trouvés purs, sauf deux qui renfermaient une minime quantité d'acide sulfurique, provenant probablement d'un accident de fabrication. Les recherches ont porté principalement sur la présence, dans les eaux-de-vie de consommation, des alcools supérieurs, notamment de l'alcool amylique, auxquels on attribue principalement les effets malfaisants produits sur l'organisme par l'effet des spiri

tueux.

Or, 42 p. 100 des échantillons contenaient des alcools amyliques, dans des proportions qui ont varié de o 8,4 à 2 8, 10 par litre, c'est-à-dire un maximum de 2 millièmes; 58 p. 100 des eaux-de-vie examinées ne contenaient pas d'alcool amylique.

Les alcools consommés par la population belge doivent donc être réputés purs, car les quantités d'alcool non éthylique révélées par l'analyse sont trop faibles pour déterminer des conséquences graves. Cependant ces conséquences existent; les affections alcooliques se multiplient en ce pays comme dans presque toutes les contrées d'Europe. Il faut en conclure que ce sont moins les éléments impurs mêlés aux spiritueux qui constituent le

poison que les spiritueux eux-mêmes, si rectifiés qu'on les suppose. MM. Stas et Depaire sont absolument d'accord à cet égard. Dès lors, c'est l'alcool lui-même qu'il faut ou proscrire, ou du moins renchérir autant que possible, et c'est avec raison que la Conférence, dans les résolutions qu'elle a adoptées, s'est placée sur ce terrain.

M. SANFORD, après avoir rappelé que son amendement a été présenté en termes géné raux à la Commission le 1er avril, répond à M. Banning et à M. Göhring que l'opinion du Congrès international de Paris est en contradiction avec celle des experts cités par eux. Quant au côté technique de la question, qui à ses yeux est le seul important, il résulte des renseignements qui lui ont été communiqués, depuis la dernière discussion sur la matière, , par des personnes de haute compétence, qu'il existe des moyens faciles de constater dans les alcools la présence de matières impures. Parmi les différentes méthodes qui ont fait spécialement l'objet des études du Congrès international de Paris de 1889 pour l'étude des questions relatives à l'alcoolisme, il est une méthode simple, rapide et pratique, qui a donné d'excellents résultats et qui est employée par l'administration fédérale des alcools en Suisse, où, depuis 1886, le monopole de la vente des alcools se trouve entre les mains de l'État. Cette méthode est celle de Rösl; elle permet de constater dans les alcools la présence de substances impures, alors même que celles-ci ne s'y trouveraient que dans la proportion de 2 millièmes.

M. BANNING ne pense pas que la contradiction signalée par M. Sanford existe. Le Congrès de Paris a demandé la prohibition absolue de l'importation des boissons distillées dans les États de l'Afrique centrale et un contrôle sévère des boissons fermentées, ce qui est toute autre chose. Il est probable, il est même certain qu'il se débite en Europe comme en Afrique des eaux-de-vie falsifiées; mais l'expérience démontre que ces falsifications sont relativement rares, et que c'est une erreur ou du moins une hypothèse gratuite que de leur attribuer les effets pernicieux qui sont dus à l'alcool lui-même, non à son altération.

L'exemple de la Suisse n'est pas probant. Ici, la vente de l'alcool est devenue un monopole d'État. Si l'alcoolisme vient à diminuer dans ce pays, ce ne sera pas parce que le produit sera plus ou moins pur, mais parce qu'il sera beaucoup plus cher.

Il faut tenir compte au surplus des difficultés d'application. L'analyse chimique des alcools se fait parfaitement dans les laboratoires; mais il ne paraît pas qu'il existe actuellement un instrument matériel de contrôle donnant des résultats immédiats et suffisamment certains. D'un autre côté, la vérification des alcools destinés à l'exportation en Afrique ne pourrait se faire efficacement que dans les ports d'exportation même. Il faudrait donc en limiter le nombre et installer dans chacun d'eux un laboratoire complètement outillé et dirigé par un chimiste expérimenté. L'analyse exigerait deux jours au moins. Ce serait pour le commerce une cause réelle de frais et de retards notables.

M. SANFORD fait observer qu'en Suisse l'opération se pratique dans l'espace de quelques

secondes.

M. Le Comte Khevenhüller-Metsch répond que cela s'explique par l'existence du monopole de l'État. D'ailleurs, beaucoup de savants ont des doutes sur l'efficacité de la méthode dont il s'agit. En Autriche, on est arrivé aux mêmes résultats qu'en Allemagne.

par

M. SANFORD dit qu'il a été constaté au Congrès de Paris que l'alcoolisme est occasionné le poison que contiennent les alcools à bon marché et dont l'épuration a été imparfai

tement faite; il a été inconnu avant l'introduction des spiritueux distillés de pommes de terre, de betteraves, etc...., à bas prix, par faute d'épuration suffisante.

M. BOURÉE est d'avis que si l'on donnait suite à la proposition de MM. les Plénipotentiaires des États-Unis, à la difficulté de se mettre d'accord sur le principe viendrait s'ajoutercelle de trouver la méthode scientifique qui devrait être appliquée. Il en résulterait un grand retard dans la conclusion des travaux de la Conférence.

M. DE MARTENS Constate que tous les membres de la Conférence sont d'accord sur un point c'est qu'il serait désirable, non seulement de restreindre l'importation des alcools en général, mais encore de prévenir l'entrée des alcools impurs.

Mais quelles mesures y aurait-il lieu de prendre?

Le débat a prouvé que la Conférence n'est pas compétente pour les discuter et qu'elle ne possède aucun moyen de procéder à un examen scientifique. D'autre part, les savants ne s'entendent pas davantage jusqu'à présent. Les expériences faites en Allemagne et en Autriche n'ont pas été concluantes. La question reste donc ouverte. Mais peut-être trouverait-on une issue en disant dans l'article xc du Traité :

Justement préoccupées...

les Puissances sont convenues d'interdire l'introduction des alcools impurs, incomplètement rectifiés ou falsifiés et d'appliquer les disposi tions, etc.... >>

Cette rédaction tient compte des articles I et II de la proposition de M. Sanford, et laisse de côté la question de l'expertise sur laquelle la Conférence ne peut se prononcer.

M. BANNING fait remarquer que les membres de l'Assemblée sont unanimes pour rendre hommage à la pensée qui a dicté l'amendement proposé par MM. les Plénipotentiaires des États-Unis. Il est incontestable que les eaux-de-vie, pures ou impures, sont déjà et risquent de devenir de plus en plus une cause de dépravation, de destruction même des populations indigènes. On ne saurait donc prendre des mesures trop rigoureuses pour en contrôler ou restreindre le trafic. Le dissentiment ne porte que sur les moyens d'exécution pratique. Tenant compte à ce point de vue de la proposition américaine, il serait utile d'insérer au Protocole un vœu conçu, par exemple, en ces termes : « Les Puissances sont d'avis qu'il importe de contrôler autant que possible, et particulièrement lorsqu'il y a lieu de suspecter des fraudes graves, la qualité des spiritueux importés en Afrique pour la consommation indigène. »

Ce serait à la fois une mesure d'hygiène et un avertissement aux importateurs peu consciencieux. Les administrations coloniales agiraient comme les Gouvernements de tous les pays civilisés qui prescrivent aux autorités de police d'intervenir chaque fois que des suspicions s'élèvent au sujet de la qualité des denrées de consommation.

M. SANFORD fait remarquer que la proposition suggérée par M. Banning implique le principe contenu dans le paragraphe 3 de son amendement.

M. DE MARTENS est également d'avis qu'il suffit d'émettre un simple vœu en laissant à chaque Puissance le soin de déterminer les mesures à prendre.

M. BOURÉE dit qu'il ne s'agirait que d'une recommandation à adresser aux Puissances.

M. SANFORD déclare qu'en présentant son amendement il a voulu constater que la falsification des alcools est un fait avéré et qu'elle entraîne des conséquences désastreuses pour

les races africaines; en ce qui concerne les moyens de mettre le principe à exécution, il n'insiste pas en présence de l'opposition qu'il constate, et déclare s'en rapporter à l'appréciation de la Conférence.

M. le Président dit que l'entente lui paraît être établie sur plusieurs points. Le sentiment de sollicitude pour les populations africaines, qui a inspiré la proposition de M. Sanford, est partagé par tous les membres de l'Assemblée. D'autre part, il résulte des explications échangées qu'on ne pourrait arriver à s'entendre sur les moyens moyens d'exécution, parce que les divergences d'opinion portent non seulement sur les procédés à employ 1, mais encore sur les formules scientifiques. Il serait donc impossible de faire entrer dans l'Acte général une disposition réglant cette matière. Mais tout le monde admettra que la question soulevée par M. Sanford ne doit pas disparaître sans laisser de traces. Il sera sans doute conforme aux vues des Plénipotentiaires de constater dans les Actes de la Conférence la présentation de l'amendement et de le recommander en même temps à la sollicitude des Gouvernements. La plupart des pays possédant déjà une législation rigoureuse sur la falsification des denrées alimentaires, et l'attention des Gouvernements étant éveillée, on peut s'attendre à ce que ces derniers appliquent strictement les lois existantes et étendent l'action de ces lois dans la mesure qu'ils jugeraient possible, aux possessions d'Afrique, si elles n'y étaient pas actuellement applicables. Mais il va de soi que ces mesures seront prises par chaque Puissance dans l'exercice de son indépendance et de sa souveraineté, On atteindra ainsi le but que l'on se propose,

le moment.

dans ce qu'il présente de réalisable pour

M. LE BARON DE RENZIS pense qu'il suffirait d'inscrire au Protocole que la Conférence exprime sa confiance dans les dispositions des Gouvernements.

En réponse à une question de M. Sanford, M. DE MARTENS explique la proposition qu'il a suggérée. Il a cherché à combiner le texte du projet de traité avec l'amendement de M. le Plénipotentiaire des États-Unis. Si la Conférence croit nécessaire de mettre un terme à l'abus des alcools purs, elle sera sans doute également d'avis qu'il faut empêcher l'introduction des alcools falsifiés, dont l'usage est plus nuisible encore. Sa proposition n'a pour but que de proclamer le principe en vertu duquel l'importation des alcools falsifiés est également désapprouvée par la Conférence.

M. LE BARON Gericke de HerwYNÉN demande comment on déterminerait, dans ce cas, la qualité des alcools.

M. DE MARTENS répond que cette tâche appartiendrait aux autorités locales de chaque

pays.

CARATHÉODORY EFENDI estime que la proposition de M. de Martens présente de grandes difficultés pratiques, parce qu'il sera toujours très difficile, ainsi qu'il résulte des explications données dans le cours de cette discussion, de distinguer les alcools de bonne qualité de ceux qui ne le sont pas. Quant à lui, il répète que toutes les boissons spiritueuses, quelles qu'elles soient, sont nuisibles; et il désirerait que l'on pût interdire d'une façon absolue leur entrée en Afrique.

Mais M. le Ministre de Turquie reconnaît que cette opinion n'est pas partagée par tous ses collègues, et que l'amendement de M. Sanford donne lieu, d'autre part, à des objections nombreuses. Pour ces motifs, et la Conférence n'ayant pas accepté la proposition de déférer

l'examen de la question à un Comité technique spécial, ainsi que lui-même l'avait suggéré, il se rallie à la proposition que vient de faire M. le Président.

M. de Martens déclare qu'il retire son amendement et qu'il adhère également à la proposition du Président.

M. le Président résume le débat. Il demeure entendu qu'il n'y a pas lieu d'introduire dans le Traité une proposition relative aux alcools falsifiés, mais le Protocole, en rendant compte de la discussion, constatera que les membres de la Conférence se sont trouvés d'accord pour rappeler aux Gouvernements le devoir qui s'impose à toutes les Puissances de prendre les dispositions nécessaires dans les ports de sortie, comme dans les ports d'entrée en Afrique, afin de prévenir les abus qui ont été signalés. On pourrait indiquer, tout en affirmant le principe de la souveraineté de chaque État en cette matière, que, pour arriver à une action efficace, il serait nécessaire d'appliquer sévèrement les lois existantes en Europe, et de les mettre en vigueur, chaque fois que cela serait possible, dans les colonies et possessions africaines.

M. le Président croit qu'il serait difficile d'aller plus loin. M. Sanford, d'ailleurs, n'aura pas à regretter l'initiative qu'il a prise, puisqu'elle aura eu pour effet d'attirer spécialement l'attention des Puissances sur une question à laquelle le Gouvernement des États-Unis semble porter un vif intérêt.

La Conférence donne son assentiment à la proposition de M. le Président.

M. LE PRÉSIDENT propose ensuite de remettre à une prochaine séance l'examen du projet coordonnant les différents chapitres qui formeront le futur Acte général. Ce projet, préparé par le Bureau, a été communiqué à chaque Plénipotentiaire. Il pourrait être revisé par un Comité composé de quelques-uns des membres de l'Assemblée.

La Conférence désigne pour faire partie de ce Comité, outre M. le Président, MM. le Comte Khevenhüller-Metsch, Banning, Van Maldeghem, Bourée, Baron Gericke de Herwynen et de Martens; Lord Vivian est invité à se joindre à ses collègues.

La séance est levée.

ALVENSLEBEN, GÖHRING, R. KHEvenhüller, LAMBERMONT, E. BANNING, SCHACK DE
BROCKDORFF, J.-G. DE AGUERA, Edm. VAN EETVELDE, VAN MALDEGHEM, Edwin
H. TERRELL, H.-S. SANFORD, A. Bourée, VIVIAN, John Kirk, F. de Renzis,
L. GERICKE, H. DE MACEDO, L. OUROUSSOFF, MARTENS, BURENSTAM, Et. CARA-
THÉODORY, John KIRK, GÖH RING.

Certifié conforme à l'original:

L. ARENDT, Martin GOSSELIN, Comte Pierre VAN DER STRATEN PONTHOZ, Ch. SEEGER,
Comte André DE ROBIANO.

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