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dispositif lui-même de la proposition était en quelque sorte embryonnaire : il se bornait à stipuler l'établissement de droits d'entrée et à en fixer le maximum. Ce projet a subi une première lecture en Commission; quelques idées nouvelles ont surgi; d'autres ont été abandonnées. C'est ainsi qu'on a renoncé à rédiger un tarif uniforme auquel on avait songé un instant, et qu'on a été d'avis de fixer seulement un maximum; en laissant à chaque Puissance une entière liberté dans l'application. (Voir annexe.)

Depuis lors on a recherché la formule qui répondrait le mieux à ces vues. Un projet a été préparé dans cet esprit. Il formerait un chapitre nouveau qui trouverait logiquement sa place dans le corps du Traité et qui prendrait pour titre : Mesures financières destinées à faciliter l'exécution de l'Acte général.

Il est ainsi conçu :

ARTICLE PREMIER.

« Les Puissances signataires, tenant compte de la nécessité de faciliter à certaines d'entre elles les moyens de faire face aux dépenses que le présent Acte général leur impose en vue de la répression de la traite, sont convenues que des droits d'entrée pourront être prélevés, sous les conditions déterminées à l'article suivant, par les Puissances signataires qui ont en Afrique des possessions où la perception de semblables droits n'est pas actuellement autorisée et pour autant qu'une autorisation à cette fin serait nécessaire.

ART. II.

« Les droits d'entrée mentionnés à l'article précédent ne pourront dépasser un taux équivalent à 10 p. 0/0 de la valeur des marchandises au lieu d'importation.

« Il est d'ailleurs entendu :

« 1o Que le taux de 10 p. 0/0 n'est pas applicable aux alcools, qui demeurent soumis au régime spécial défini au chapitre VI du présent Acte général;

« 2° Qu'à l'égard des autres marchandises, le taux de 10 p. 0/0 ne constitue pas une règle uniforme et impérative, chacune des Puissances intéressées ayant la faculté d'imposer des droits inférieurs ou d'admettre certains produits en franchise;

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3o Que les droits d'entrée ne pourront faire l'objet d'aucun traitement différentiel;

4° Que, dans l'application du nouveau régime douanier, chaque Puissance s'attachera à simplifier autant que possible les formalités et à faciliter les opérations du commerce. »

M. le Président fait remarquer que, dans la rédaction de l'article premier, on s'est inspiré du texte des articles du projet de traité qui autorisent l'établissement d'un droit sur les spiritueux et que la Conférence a déjà adoptés. Cette dernière disposition réservait une pleine latitude d'élever les taxes au delà du minimum fixé, pour les Puissances qui le possèdent déjà actuellement. Ici l'autorisation de percevoir des droits d'entrée jusqu'à concurrence de 10 p. 0/0 est nécessaire seulement pour les Puissances qui sont liées par certains engagements, dans la mesure où ces engagements leur sont applicables.

Celles qui auraient des réserves à faire en vertu des traités existants sont maintenues dans leurs droits, et toutes les Parties contractantes à l'Acte général pourraient souscrire à cet article.

L'article 1 laisse chaque Puissance libre de régler son régime douanier. Il est à prévoir qu'en usant de cette faculté, les Puissances ne taxeront pas sans distinction tous les produits et qu'une série de marchandises pourront échapper à toute taxe. Cette perspective atténuera sans doute en fait les inconvénients qu'on a paru redouter de certains côtés.

M. le Président rappelle que le projet primitif, lors de sa première présentation, a reçu l'accueil le plus favorable des Plénipotentiaires et à la

presque unanimité. Ce projet est revenu ensuite devant l'Assemblée après que la plupart des Plénipotentiaires eurent reçu leurs instructions.

Ils l'ont ratifié, cette fois, non plus d'après leur impression personnelle, mais d'après les ordres de leur Gouvernement. C'est le même projet qui leur est soumis aujourd'hui sous une forme plus précise et plus complète.

M. le baron Gericke de Herwynen, ajoute M. le Président, vient de manifester, en son nom et au nom du Gouvernement des Pays-Bas, des sentiments sympathiques pour l'œuvre du Roi et pour le travail de la Conférence, et il a témoigné de l'esprit de conciliation de son Gouvernement et de son bon vouloir personnel. Ces dispositions ne peuvent manquer d'être appréciées, et Son Excellence rencontrera à cet égard une entière réciprocité.

M. le Président croit devoir s'arrêter un instant sur quelques-unes des observations présentées par M. le Ministre des Pays-Bas, en attendant qu'il y soit répondu plus complètement lorsque le texte en aura été distribué.

Son Excellence, dit-il, a fait remarquer que l'on proposait d'augmenter les ressources de l'État Indépendant du Congo, sans préciser les dépenses auxquelles il s'agirait de faire face. Il convient à ce propos de rappeler la déclaration faite, à l'une des dernières séances, par les Plénipotentiaires de l'État Indépendant. S'inspirant d'un sentiment auquel l'Assemblée a rendu hommage, ils ont considéré comme un devoir d'exposer honnêtement, comme ils l'ont dit eux-mêmes et comme ils l'ont fait, la situation qui résultera des charges imposées par l'Acte général et l'impossibilité où se trouverait leur Gouvernement, dans l'état actuel de ses ressources, de concourir à l'œuvre dont toutes les Puissances poursuivent l'accomplissement. La Conférence ne manquera pas de tenir compte de cette déclaration et des explications qui l'ont accompagnée, quand le moment sera venu de prendre une décision.

D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que le projet ne fait que poser les principes. Il laisse, quant à la fixation des droits et sous la réserve du maximum, une entière latitude aux Puissances intéressées, et l'on ne peut douter que celles-ci ne cherchent à ménager les intérêts du commerce et à les concilier, autant que possible, avec le but qu'il s'agit d'atteindre.

Le Gouvernement des Pays-Bas suggère la recherche en commun des moyens qui permettraient à l'État du Congo d'accomplir les obligations du Traité. Il y a ici une distinction essentielle à faire. Les membres de la Conférence n'ont pas dans le cours de oublié que, leurs débats, chaque fois qu'il s'est rencontré une disposition touchant aux prérogatives des États en ce qui concerne leur juridiction intérieure, et en tant que celles-ci n'étaient pas limitées par des engagements internationaux, ces prérogatives ont été revendiquées avec un soin qui ne s'est jamais démenti. C'était une conséquence du principe de la souveraineté, lequel n'a jamais été contesté par la Conférence. Ce principe, semble-t-il, on ne saurait refuser de l'appliquer ici.

On a déjà fait mention, à diverses reprises, et M. le Ministre des Pays-Bas ne les a pas révoquées en doute, des charges qui seraient imposées à l'État Indépendant par l'Acte général et qui excèdent ses ressources. Parmi les moyens auxquels il faudrait recourir pour lui procurer ces ressources, les mesures fiscales à prendre à l'intérieur de l'État ont été citées. tout d'abord.

Mais on voudra bien reconnaître que, quant à ce point, l'indépendance de l'État du Congo n'est pas limitée, et qu'on s'expliquerait mal dès lors qu'une délibération des Puis

sances fût nécessaire et dût être renvoyée à une époque ultérieure pour l'autoriser à user des pouvoirs qui appartiennent à tout État indépendant. Ce n'est, du reste, qu'au point de vue du droit, et sans juger indispensable d'y insister, que le Président fait cette réserve. En fait, ou bien les taxes en question seraient modiques et n'apporteraient pas les ressources reconnues nécessaires, ou, si elles étaient portées à un taux qui les rendrait productives, elles frapperaient le commerce bien au delà de ce que l'on peut avoir à craindre des droits d'entrée. Il en est de même des droits de sortie.

Les traités en vigueur en autorisent la perception; ils existent depuis plusieurs années. Il y a de sérieuses raisons de croire qu'on ne pourrait pas, sans commettre une erreur économique, demander à leur rehaussement les ressources financières qu'on recherche; mais comme pour les taxes intérieures, on ne voit pas comment une nouvelle délibération des Puissances serait nécessaire pour en légitimer le remaniement.

Il résulte des considérations qui précèdent que, parmi les moyens les plus propres à procurer à l'État du Congo les ressources qui lui manquent, le seul qui puisse être l'objet d'une discussion au sein de la Conférence, c'est l'établissement d'un droit d'entrée.

M. le Président rappelle ici qu'il a toujours défendu le principe du libre échange, et qu'il n'est pas prêt à le désavouer. Il croit qu'en soutenant aujourd'hui la proposition relative à l'établissement d'un droit d'entrée, il reste conséquent avec lui-même. Dans les circonstances actuelles, il peut être opportun, il peut même être utile au commerce de lever l'interdiction inscrite dans le traité de Berlin.

M. le Ministre des Pays-Bas a représenté la situation des affaires commerciales au Congo comme moins favorable qu'on ne l'a dépeinte; il a ajouté qu'on pouvait prévoir le moment où des travaux, tels que le chemin de fer, par exemple, étant achevés, une ère meilleure viendrait à s'ouvrir; il en a conclu qu'il fallait éviter de grever le commerce de nouvelles charges. Sans vouloir discuter en ce moment le tableau tracé par M. le Ministre des PaysBas, M. le Président croit pouvoir en tirer une conséquence toute différente. C'est, en effet, pour subvenir aux nécessités financières de la période de transition et aux nécessités urgentes que commandera la répression de la traite, que l'État du Congo a besoin de moyens financiers immédiats. Si comme on doit l'espérer avec M. le Ministre des Pays-Bas, le commerce prend ensuite les développements sur lesquels on peut compter, les sacrifices qu'il aurait à supporter seront plus que compensés par le progrès des affaires et par la sécurité et les facilités qui lui seront assurées.

On ne peut mettre en doute le désir qui animera les Puissances intéressées, l'Acte général supposé conclu, de ménager autant que possible, dans la fixation des droits d'entrée, les intérêts du commerce qui se confondent d'ailleurs avec le leur propre.

M. le Président demande à la Conférence la permission de lui lire quelques passages d'un rapport publié tout récemment, et qui met en relief la situation de l'État du Congo au point de vue de la répression de la traite et des obligations que lui imposera à cet égard l'Acte général. Il s'agit d'une lettre officielle de M. le major Wissmann, qui, avant d'exercer ses fonctions actuelles, s'est trouvé en situation de bien connaître le territoire du Congo :

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Quand nous serons arrivés partout assez loin pour que les indigènes puissent nous demander notre protection et que nous serons assez forts pour la leur accorder, personne n'osera plus capturer des esclaves ni les transporter. Nous ne pourrons réprimer la chasse aux esclaves que quand nous rendrons impossible le transport à la côte et par conséquent le commerce. On fait la chasse aux esclaves dans les malheureuses contrées où les indigènes n'ont que des lances et des arcs pour se défendre contre leurs cruels ravisseurs. Pour protéger les indigènes dans ces pays, nous devrions établir une communication par une ligne

de stations jusque dans ces régions éloignées. Ces territoires sont presque exclusivement situés à l'intérieur des limites de l'État du Congo; mais l'exportation des esclaves capturés a lieu presque exclusivement par l'Afrique orientale allemande et par certaines routes déterminées où les marchands d'esclaves se sont ménagé des points d'appui, tels que Tabora et Ujidji.

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« Tabora est le principal carrefour de ces routes.

Les esclaves rassemblés au nord-ouest du lac Victoria, ceux qui viennent de l'intérieur de l'État du Congo (de beaucoup les plus nombreux) et beaucoup qui sont capturés à l'ouest du lac Nyassa se rencontrent à Tabora dans leur voyage vers la côte; c'est donc le point qu'il importe le plus de surveiller.

«< Immédiatement après comme importance vient Einja, situé auprès des trois grands lacs. En établissant sur ce point sa surveillance, qui serait extraordinairement facilitée par un petit bateau à vapeur, l'Allemagne aurait fait tout ce qu'on peut faire contre la peste africaine, et ses efforts seraient certainement couronnés de succès. »

On remarquera que M. le major Wissmann signale à deux reprises le Congo comme le foyer principal de la traite.

On peut juger par là de l'importance de la mission de l'État du Congo au point de vue de la répression de la traite, du caractère urgent des mesures qu'il aura à prendre et de l'impérieuse nécessité, au même point de vue, de lui procurer le plus tôt possible les ressources nécessaires pour accomplir cette mission.

En terminant, M. le Président dit que la proposition de M. le baron Gericke de Herwynen sera, comme toutes celles qui ont été soumises à la Conférence, immédiatement distribuée à tous les Plénipotentiaires.

M. le Baron Gericke de Herwynen, de son côté, examinera avec la plus sérieuse attention la proposition présentée par M. le Président; il persiste cependant à croire que les droits de sortie seraient préférables aux droits d'entrée que l'on demande d'établir.

M. LE PRÉSIDENT répond que les Plénipotentiaires de l'État indépendant du Congo s'expliqueront à cet égard dans la prochaine séance, ainsi que sur les autres questions de fait qu'a traitées Son Excellence.

La séance est levée.

ALVENSLEBEN, GÖHRING, R. KHEVENHÜLLER, LAMBERMONT, E. BANNING, SCHACK DE
BROCKDORFF, J.-G. DE AGUERA, Edm. VAN EETVELDE, VAN MALDEGHEM, Edwin
H. TERRELL, H.-S. SANFORD, A. BOURÉE, VIVIAN, John KIRK, F. DE RENZIS,
L. GERICKE, L. OUROUSSOFF, MARTens, Burenstam, Et. CARATHÉODORY, John
KIRK, GÖHRING.

Certifié conforme à l'original :

L. ARENDT, Martin GOSSELIN, Comte Pierre VAN DER STRATEN PONTHOZ, Ch. Seeger,
Comte André DE ROBIANO.

ANNEXE AU PROTOCOLE N° XX.

Commission chargée d'examiner l'établissement de droits d'entrée au Congo.

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La séance est ouverte à 2 heures 1/2.

SÉANCE DU 21 MAI 1890.

M. LE PRÉSIDENT dit qu'il a réuni la Commission afin d'activer les travaux de la Conférence en provoquant un échange de vues sur la proposition relative à l'établissement d'un droit d'entrée dans le bassin conventionnel du Congo.

Il sait que plusieurs Plénipotentiaires sont encore sans instructions, mais il a pensé que tous les membres de la Conférence recevraient avec satisfaction des renseignements qui seraient de nature à éclaircir certains points et à présenter la proposition sous son vrai jour. Il espère que ces explications, lorsqu'elles seront parvenues à la connaissance des Gouvernements, leur permettront de hâter le moment où les instructions définitives seront envoyées.

Il y a un premier point qui préoccupe le commerce peut-être autant que l'établissement même du droit, c'est le mode d'exécution, les formalités dont la perception du droit sera entourée. On s'est demandé si ces formalités ne seraient pas de nature à entraver le mouvement des affaires. Il y aura sans doute certaines formalités, on ne peut y échapper, mais il sera possible de les réduire en adoptant des procédés qui faciliteront les opérations du commerce.

Il y a d'abord une catégorie de marchandises auxquelles les droits d'entrée ne seront certainement pas applicables : ce sont celles qui sont destinées à être réexportées. Pour celles-là, il suffira de rechercher le système d'entreposage le moins compliqué possible. M. le Président demande à ce propos à M. de la Fontaine Verwey s'il se fait à Banana ou à Boma des réexpéditions par simple transbordement.

M. LE DÉLÉGUÉ NÉERLANDAIS répond que le cas se présente très rarement, mais que les marchandises de cette catégorie sont le plus souvent mises en entrepôt et puis réexpédiées.

M. LE PRÉSIDENT pense que les marchandises pourront entrer dans des magasins ayant le caractère d'entrepôts particuliers. Ces entrepôts devraient naturellement présenter certaines garanties.

Quant aux marchandises destinées à la consommation, il peut arriver qu'elles ne soient pas livrées immédiatement à leur destination. Le système d'entrepôt offrirait encore ici des facilités au commerce et permettrait de faire sortir les marchandises au fur et à mesure des demandes de livraison et d'espacer le payement des droits.

M. le Président n'est pas en situation de soumettre une formule applicable à tous les cas, mais il peut affirmer que toutes les mesures seront prises pour éviter au commerce les formalités qui ne seraient pas strictement nécessaires.

On sait également que la perception d'un droit ad valorem est une source de difficultés, même en Europe. Aussi y a-t-on renoncé presque partout. Il existe, toutefois, des cas où la perception des droits ad valorem présente des avantages. C'est quand il y a des écarts considérables dans la valeur des produits compris sous une même rubrique. C'est ce qui se présente pour les tissus, par exemple. Mais, en thèse général, les droits spécifiques répondent mieux au but que l'on veut atteindre. Il est à prévoir que les droits ad valorem seront généralement convertis en taxes spécifiques. C'est à cette fin que le projet parle de droits équivalents à 10 p. 0/0 de la valeur, au maximum.

En troisième lieu, le projet s'exprime comme si les droits devaient s'appliquer à toutes les marchandises. Il n'en sera pas ainsi. Un choix sera fait parmi les marchandises à taxer. Les unes, par leur nature et leur usage, pourraient supporter le droit le plus élevé si, bien entendu, il ne dépas

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