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comme meurtre, suivant qu'il avait été commis avec ou sans préméditation.

Les rédacteurs du code de 1810 en firent, au contraire, un crime sui generis et, l'assimilant (comme le parricide) à l'assassinat, édictèrent contre les coupables la peine de mort, au lieu de celle de la déportation que prononçait le projet soumis à leurs délibérations. A leurs yeux, ainsi qu'en fait foi le rapport au conseil d'état, l'adoption de la peine capitale se justifiait par cette circonstance que l'infanticide est «< forcément prémédité ». A cette raison, s'en ajoutait d'ailleurs une plus puissante encore. En effet, malgré une assez vive opposition, Cambacérès fit prévaloir devant le conseil d'état cette idée que « le meurtre d'un être sans défense est un crime encore plus horrible que l'homicide; qu'il ne saurait donc être puni moins sévèrement; que la pudeur ne doit point servir d'excuse pour une aussi grande atrocité; que, d'ailleurs, la crainte du déshonneur n'est pas toujours le motif qui porte à ce crime, et que l'intérêt le fait aussi commettre. >>

En fait, il arriva ce que Treilhard et Berlier avaient prévu. Comme le code n'admettait pas de circonstances atténuantes en matière criminelle, le jury se trouva placé entre une condamnation à mort et l'acquittement i rendit souvent un verdict négatif.

La loi du 25 juin 1824 (art. 5) crut obvier à cet inconvénient, en permettant d'abaisser aux travaux forcés à perpétuité la peine prononcée contre la mère coupable d'infanticide qui bénéficierait des circonstances atténuantes, et ce système fut ensuite généralisé lors de la réforme de 1832. Depuis lors, la peine de l'infanticide, avec admission des circonstances atténuantes, put être abaissée jusqu'à cinq ans de travaux forcés. Cependant, les verdicts d'acquittement ont continué d'être très fréquents; on a pu dire même que dans certains départements ils étaient devenus la règle, tandis que les infanticides n'ont cessé d'augmenter, un assez grand nombre étant d'ailleurs poursuivis correctionnellement sous la qualification d'homicides par imprudence ou de suppression d'enfants, à défaut, par le ministère public, de pouvoir faire la preuve complète des éléments constitutifs du crime.

L'indulgence excessive du jury tient d'abord à un sentiment de pitié pour les filles séduites et d'aversion pour leurs séducteurs; elle tient aussi et surtout à la pénalité que la plupart des jurés jugent encore exagérée. Il a été révélé, en effet, que souvent les jurés ont déclaré qu'ils avaient préféré un acquittement à un verdict entraînant un minimum de cinq ans de travaux forcés.

La proposition de loi de M. Félix Martin, déposée au Sénat en 1897, a eu pour but de mettre un terme à ces acquittements scandaleux. Elle réservait la qualification d'infanticide à « l'homicide commis volontairement, au moment de la naissance, par une mère sur son enfant ». Elle distinguait l'infanticide prémédité de l'infanticide commis sans préméditation, lequel, pour être rare, n'est cependant pas absolument sans exemples. Enfin elle permettait au jury de déclarer, outre l'existence

des circonstances atténuantes, celle des circonstances très atténuantes; dans ce dernier cas, la peine de la mère coupable et de ses co-auteurs ou complices devait être de deux à cinq ans d'emprisonnement.

La commission sénatoriale ne voulut pas introduire dans nos lois, pour un cas spécial, le système des circonstances très atténuantes, auquel la haute assemblée s'était d'ailleurs montrée défavorable il y a quelques années. Elle se borna à faire rentrer l'infanticide dans les qualifications de meurtre ou d'assassinat, tout en admettant un abaissement des pénalités en faveur de la mère déclarée coupable qui obtiendrait le bénéfice des circonstances atténuantes. Après avoir rejeté successivement 1° un contre-projet de M. Aucoin punissant l'infanticide, sans distinctions, de la seule peine des travaux forcés à temps, 2o un contre-projet de M. Savary prononçant la peine de mort pour l'infanticide prémédité et les travaux forcés à temps pour l'infanticide non prémédité. Finalement, le Sénat a adopté les dispositions suivantes que la Chambre des députés s'est appropriées sans discussion :

Article unique.

Les articles 300 et 302 du code pénal sont modifiés comme suit :

« Art. 300. — L'infanticide (1) est le meurtre ou l'assassinat (2) d'un enfant nouveau-né (3).

« Art. 302.

Tout coupable d'assassinat, de parricide et

(1) Contrairement à ce qui a lieu dans un assez grand nombre de législations étrangères, la qualification d'infanticide n'est pas réservée, dans notre droit, au crime de la mère qui donne volontairement la mort à son enfant nouveau-né. Cette qualification a d'ailleurs perdu une grande partie de son intérêt, puisque l'infanticide n'est plus puni désormais comme un crime spécial. Elle a été conservée uniquement en vue des atténuations de peine prévues par les alinéas suivants en faveur de la mère (Comp. rapp. de M. Félix Martin).

(2) L'infanticide est, la plupart du temps, prémédité : la mère dissimule sa grossesse, ne fait aucuns préparatifs pour recevoir son enfant, accouche clandestinement et commet son crime. Toutefois, on a pu citer des exemples d'infanticide commis sans préméditation (Voy. les discours de M. F. Martin et du garde des sceaux, M. Monis à la séance du Sénat du 6 juillet 1900). Le législateur a donc effacé là présomption du code pénal de 1810 et le jury doit être appelé à se prononcer, suivant le droit commun, sur la question de préméditation (Conf. rapp. de M. Escanyé à la Ch. des dép.).

(3) La commission sénatoriale avait d'abord défini l'infanticide: l'homicid commis volontairement sur un enfant au moment de sa naissance. Dans la rédaction définitive on a rétabli l'expression enfant nouveau-né, malgré les controverses auxquelles elle a donné lieu. Nous rappelons que, d'après la jurisprudence, l'enfant n'est plus nouveau-né lorsque la naissance a été déclarée à l'officier de l'état civil ou qu'il s'est écoulé assez de temps, depuis cette naissance, pour qu'elle n'ait pu demeurer complètement inconnue. C'est d'ailleurs, d'après la cour de cassation, une question de fait abandonnée à l'appréciation du jury (Dalloz, Suppl. Vo Crimes et délits contre les personnes, nos 80 et suiv.).

d'empoisonnement sera puni de mort, sans préjudice de la disposition particulière contenue en l'article 13 relativement au parricide.

<< Toutefois la mère (1), auteur principal ou complice de l'assussinat ou du meurtre de son enfant nouveau-né, sera punie, dans le premier cas, des travaux forcés à perpétuité, et dans le second cas, des travaux forcés à temps, mais sans que cette disposition puisse s'appliquer à ses co-auteurs ou à ses complices (2). »

XXI.

LOI DU 29 NOVEMBRE 1901, MODIFIANT LES ARTICLES 170 ET 171 DỤ CODE CIVIL, EN CONFÉRANT AUX AGENTS

DIPLOMATIQUES ET AUX

CONSULS LE DROIT DE PROCÉDER, A L'ÉTRANGER, A LA CÉLÉBRATION DU MARIAGE ENTRE UN FRANÇAIS ET UNE ÉTRANGÈRE (3).

Notice par M. Ed. DELALANDE, président du tribunal civil de Dieppe.

Aux termes des articles 47 et 48 du code civil, les actes de l'état civil concernant des français qui se trouvent en pays étranger, peuvent être reçus, soit par les agents diplomatiques ou consuls français, soit par les autorités étrangères désignées à cet effet.

D'un autre côté, l'article 170 dispose que le mariage contracté en pays étranger entre français et entre français et étrangers est valable s'il a été célébré dans les formes usitées dans le pays.

Il était généralement admis que la compétence des agents diplomatiques ou consuls français se trouvait restreinte aux actes intéressants uniquement leurs nationaux, et par conséquent aux mariages entre français seulement (4).

(1) Plusieurs législations étrangères distinguent entre la mère légitime et la mère illégitime. Cette distinction n'a pas trouvé place dans notre loi (Conf. discours de M. Félix Martin; Sénat, 26 juin 1900).

(2) La commission sénatoriale, à propos d'un amendement de M. Bérenger, avait considéré un instant qu'il pouvait exister pour quelques-uns des co-auteurs ou complices de la mère (proches parents) des motifs de spéciale indulgence (Rapp. suppl. de M. Félix Martin). Le Sénat ne s'est pas rallié à cette opinion, qui avait été combattue par le garde des sceaux (V. Sénat, séance du 27 nov. 1900).

(3) J. Off. du 30 novembre 1901. TRAVAUX PRÉPARATOIRES.

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doc. 1899, p. 813. Sénat rapport, doc.

Chambre projet de loi, Rapport, p. 924; urgence et adoption, 20 mars 1899. 1900, p. 643; urgence et adoption, 29 juin 1900. Chambre: rapport, doc. 1901, p. 66; adoption, 5 février 1901. Sénat rapport, doc. 1901, p. 388; adoption, 19 novembre 1901.

(4) Voy. Cass. 10 juin 1819. Circ. du ministre des affaires étrangères, du 4 nov. 1833, et du garde des sceaux, du 16 sept. 1878.

Il en résultait qu'un français ne pouvait valablement, à l'étranger, faire célébrer son mariage avec une étrangère devant un agent français.

Cet état de choses présentait de graves inconvénients, notamment dans les pays de capitulations et dans tous ceux en général où le mariage est exclusivement religieux. Il pouvait se faire, en effet, qu'au lieu de la résidence du français, il n'existât aucun ministre du culte, ou qu'il n'existât que des ministres appartenant à des confessions différentes.

C'est en vue de remédier à ces inconvénients et de faciliter le mariage de nos nationaux qu'une proposition de loi fut déposée en 1897, par M. Joseph Reinach, à l'effet d'étendre la compétence des agents diplomatiques ou consulaires, en matière d'état civil (1).

Cette proposition étant devenue caduque par suite de l'expiration de la législature, un nouveau projet complétant l'article 170 fut présenté par le gouvernement le 25 février 1899.

Toutefois, afin d'éviter tout conflit avec les législations des pays intéressés, le projet réservait expressément au président de la République le droit de désigner les états dans lesquels il semblerait utile de conférer aux agents français une extension de pouvoirs.

La Chambre des députés, sur l'avis de sa commission, adopta le principe de l'extension de compétence, mais estima qu'il y avait lieu de se préoccuper, au point de vue international, de la législation et des usages, non pas du pays où résideraient nos agents, mais du pays d'origine des étrangères avec qui des français voudraient se marier.

En outre, la Chambre des députés pensa que la modification de l'article 170 devait entraîner une modification de l'article 171, qui prescrit la transcription en France de l'acte de mariage contracté à l'étranger. L'application de cet article devait ètre restreinte aux mariages célébrés suivant les formes usitées à l'étranger; car, en ce qui concerne les actes dressés par nos agents, ils sont inscrits sur deux registres, dont l'un est, à la fin de l'année, envoyé à Paris et déposé à la chancellerie des affaires étrangères (art. 48 du code civil, modifié par la loi du 8 juin 1893).

Sur la proposition de sa commission, et conformément à l'avis du garde des sceaux, le Sénat rétablit le second alinéa, par cette considération que la question de validité des mariages contractés à l'étranger au regard de la loi nationale des époux était une question déjà examinée par les conférences de La Haye des 12, 27 septembre 1893, et 25 juin, 13 juillet 1894, et qui serait reprise lors de la réunion de la prochaine conférence, en vue d'un accord international (2).

(1) Cette extension de compétence a été consacrée par diverses lois étrangères. Lois belges du 20 mai 1882 et du 20 octobre 1897 (Ann. soc. législ. comp., 1898, p. 558). Loi italienne, 28 janvier 1865, art. 29. Lois allemandes, 4 mai 1870 et 6 février 1875. - Lois anglaises des 28 juillet 1849 et

18 août 1890 (art. 9).

(2) Cet accord n'a pas encore été réalisé. V. Convention de La Haye, 14 novembre 1896. (J. Off., 7 février et 9 avril 1899.)

Au contraire, la modification de l'article 171 fut acceptée par la commission du Sénat.

Le projet ainsi remanié fut successivement voté, sans discussion d'ailleurs, par la Chambre des députés et par le Sénat.

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Article unique. Les articles 170 et 171 du code civil sont

modifiés comme suit :

Art. 170. Le mariage contracté en pays étranger entre français, et entre français et étrangers, sera valable, s'il a été célébré dans les formes usitées dans le pays, pourvu qu'il ait été précédé des publications prescrites par l'article 63, au titre des actes de l'état civil, et que le français n'ait point contrevenu aux dispositions contenues au chapitre précédent.

Il en sera de même du mariage contracté en pays étranger entre un français et une étrangère (1), s'il a été célébré par les agents diplomatiques ou par les consuls de France, conformément aux lois françaises (2).

Toutefois les agents diplomatiques ou les consuls ne pourront procéder à la célébration du mariage entre un français et une étrangère que dans les pays qui seront désignés par décrets du président de la République (3).

Art. 171. Dans les trois mois après le retour du français sur le territoire de la République, l'acte de célébration du mariage contracté en pays étranger, dans les conditions prévues par le paragraphe 1er de l'article précédent, sera transcrit sur les registres publics des mariages du lieu de son domicile.

(1) Le projet portait : « entre français et entre un français et un étranger. » Les mots « entre français » ont été supprimés, cette disposition ne faisant que reproduire celle de l'article 48 du code civil.

(2) Il ressort des termes de l'article 170 modifié, aussi bien que des documents parlementaires, que les agents français ne sont pas compétents pour célébrer le mariage d'une française avec un étranger.

(3) V. décret du 29 décembre 1901 désignant les agents diplomatiques, consuls et vice-consuls de France en Turquie, en Perse, en Egypte, au Maroc, à Mascate, au Siam, en Chine et en Corée.

La faculté de procéder au mariage d'un français avec une étrangère est en outre accordée aux agents consulaires qui ont reçu les pouvoirs d'officiers de l'état civil, dans les conditions prévues par l'article 9 de l'ordonnance du 26 octobre 1833. (J. Off. 4 janvier 1902). Voy. aussi circulaire du ministre des affaires étrangères du 14 janvier 1902.

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