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CHAPITRE II

QUI PEUT ACHETER OU VENDRE.

ART. 1594. Tous ceux auxquels la loi ne l'interdit pas peuvent acheter ou vendre.

1595. Le contrat de vente ne peut avoir lieu entre époux que dans les trois cas suivants : 1° celui où l'un des deux époux cède des biens à l'autre, séparé judiciairement d'avec lui, en payement de ses droits; 2o celui où la cession que le mari fait à sa femme, même non séparée, a une cause légitime, telle que le remploi de ses immeubles aliénés, ou de deniers à elle appartenant, si ces immeubles ou deniers ne tombent pas en communauté ; · 3o celui où la femme cède des biens à son mari en payement d'une somme qu'elle lui aurait promise en dot, et lorsqu'il y a exclusion de communauté. Sauf, dans ces trois cas, les droits des héritiers des parties contractantes, s'il y a avantage indirect.

1596. Ne peuvent se rendre adjudicataires, sous peine de nullité, ni par eux-mêmes ni par personnes interposées. des biens de ceux dont ils ont la tutelle.

Les tuteurs, Les mandataires, des biens qu'ils sont chargés de vendre. Les administrateurs, de ceux des communes ou des établissements publics confiés à leurs soins. Les officiers publics, des biens nationaux dont les ventes se font par leur ministère.

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1597. Les juges, leurs suppléants, les magistrats remplissant le ministère public, les greffiers, huissiers, avoués, défenseurs officieux et notaires, ne peuvent devenir cessionnaires des procès, droits et actions litigieux qui sont de la compétence du tribunal dans le ressort duquel ils exercent leurs fonctions, à peine de nullité, et des dépens, dommages et intérêts.

Observation.

Toute personne peut acheter ou vendre, excepté celles que la loi en déclare incapables. A cet égard, il y a des incapacités générales, comme celles des mineurs, interdits, femmes mariées, etc.; et des incapacités spéciales, comme celles qui suivent:

Le Code pro

I. Prohibition de la VENTE ENTRE ÉPOUX. hibe la vente entre époux dans le but d'empêcher qu'ils n'é

ludent la disposition de l'article 1096 aux termes de laquelle ils ne peuvent pas se faire des donations irrévocables. En effet, s'ils avaient la faculté de se faire des ventes, rien ne leur serait plus facile que de déguiser sous l'apparence de ces ventes de véritables libéralités, que la cupidité de l'un arracherait à la faiblesse de l'autre. Or, comme les contrats à titre onéreux sont de leur nature essentiellement irrévocables, de telles libéralités ne pourraient pas être reprises par l'époux en apparence vendeur et en réalité donateur, quels que fussent d'ailleurs ses besoins personnels ou l'ingratitude de son conjoint donataire.

Exceptionnellement, le Code permet la vente entre époux dans trois cas, où elle facilite la liquidation et le payement des droits que l'un des époux peut avoir à exercer contre l'autre. Aux termes de l'art. 1595 ces trois cas sont :

1° Celui où l'un des époux cède des biens à l'autre, séparé judiciairement d'avec lui, en payement de ses droits. Ainsi lorsque, par suite de la liquidation de ses reprises, la femme se trouve créancière de son mari d'une somme de 10,000 fr., par exemple, le mari débiteur peut lui donner en payement un de ses immeubles valant cette somme. Pareillement, si le mari se trouvait créancier de la femme, celle-ci pourrait se libérer en lui cédant un bien personnel d'une valeur égale au montant de sa dette. Mais le plus souvent la dette existe de la part du mari envers la femme, car c'est précisément sa mauvaise administration qui a motivé la séparation de biens judiciaire.

telle

2o La vente est permise dans le cas où la cession que le mari fait à sa femme, même non séparée, a une cause légitime que le remploi de ses immeubles aliénés, ou de deniers qui lui appartiennent en propre. Il serait en effet bien rigoureux, et quelquefois fort contraire à l'intérêt des deux époux, que la femme créancière ne pût pas être payée avec un bien de son mari, lorsque ce bien est à sa convenance. Prohiber une telle opération serait souvent obliger les époux à faire une vente

simulée à un tiers, à l'égard duquel la femme exercerait un rachat qui ne tomberait sous le coup d'aucune prohibition. Il est préférable que le bien puisse arriver de plano entre les mains de la femme, d'où il retournera plus tard aux enfants

communs.

Toutes les fois que le mari est débiteur de la femme, il y a une cause légitime de vente, et l'abandon qu'il lui fait d'un bien personnel pour la désintéresser est valable.

Si la femme non séparée, au lieu d'être créancière de son mari, devient sa débitrice, pourra-t-elle aussi se libérer envers lui par la cession de l'un de ses biens personnels? La logique et le principe de réciprocité le voudraient. Mais l'article ne prévoit pas cette hypothèse, et comme les exceptions ne peuvent pas être arbitrairement étendues, on doit décider la négative. La prohibition de vente recevra donc dans ce cas son application.

3o Enfin, la vente entre époux est permise dans le cas où la femme cède des biens à son mari en payement d'une somme qu'elle lui avait promise en dot, et lorsqu'il y a exclusion de communauté (art. 1595 30). Quelle est l'hypothèse prévue par notre alinéa? Dans une première opinion, la vente dont il s'agit pourrait avoir lieu sous tous les régimes autres que celui de la communauté. Ainsi sous les régimes sans communauté, de séparation de biens et dotal, la femme qui aurait promis une somme d'argent à son mari pourrait lui céder en payement un de ses immeubles.

Une telle interprétation des mots lorsqu'il y a exclusion de communauté ne nous paraît guère admissible. En effet, sous le régime sans communauté, le mari a déjà l'usufruit de tous les biens de la femme et celle-ci ne pourrait lui donner en payement qu'une nue propriété. L'avantage qu'aurait le mari à acquérir cette nue propriété serait le plus souvent nul, et ce n'est pas en vue d'un tel résultat que l'exception du Code a dû être établie. Sous le régime de séparation de biens, la femme ne promet en général aucune somme en dot à son mari, auquel elle devra simplement le tiers de ses revenus

pour l'entretien du ménage, et ce n'est pas encore là notre hypothèse. Pour trouver l'application de la disposition exceptionnelle que nous étudions, il faut supposer que les époux sont mariés sous le régime dotal, que la femme a promis à son mari une somme qui devait devenir dotale, et que, n'ayant pas la somme, elle lui abandonne en payement un bien qu'elle s'était réservé paraphernal. Nous supposons que la femme s'est réservé des paraphernaux, car si tous ses biens étaient dotaux, le mari en aurait l'usufruit comme sous le régime sans communauté, et elle ne pourrait lui céder qu'une nue propriété, ce qui enlèverait à la datio in solutum presque tout intérêt.

Le 3° alinéa de l'art. 1595, interprété comme nous venons de le faire, a un sens plausible, et il recevra une application assez fréquente. Quant à la formule lorsqu'il y a exclusion de communauté, employée pour désigner le régime dotal, elle n'a rien qui doive surprendre, car elle était fort usitée parmi les jurisconsultes des pays de coutumes, et il n'est pas étonnant que le Code l'ait reproduite.

Les trois cas que nous venons d'examiner appellent une observation commune. A vrai dire, ce ne sont point des cas de véritable vente consentie par un époux à l'autre, mais des cas de datio in solutum. En d'autres termes, la loi suppose que l'un des époux est créancier de l'autre, et qu'au lieu de recevoir en payement une somme d'argent, il est payé par l'abandon d'un immeuble que lui fait son conjoint débiteur. Comment le Code a-t-il été conduit à qualifier de vente ces dations en payement? La raison en est, sans doute, que les deux opérations dont il s'agit ont ensemble la plus grande analogie. Et, en effet, l'époux créancier d'une somme d'argent qui reçoit un immeuble en payement est dans la condition d'un acheteur qui aurait payé son prix d'avance, et l'on comprend que la loi ait assimilé ces deux opérations. Cependant il ne faut pas pousser plus loin l'analogie. Supposons en effet que ce soit la femme qui ait reçu du mari un immeuble en

TOME III.

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payement il n'est pas douteux que, si elle est évincée, elle pourra exercer son recours par son action primitive qu'elle avait en sa qualité de femme mariée, action qui est sanctionnée par une hypothèque légale (art. 2121), et non par l'action ordinaire de garantie qui appartient à l'acheteur, laquelle est purement chirographaire. Elle n'avait abandonné sa créance que pour devenir propriétaire de l'immeuble ne l'étant pas devenue, elle rentre dans cette créance telle qu'elle était à l'origine. D'autre part et par contre, elle ne pourra recouvrer que le montant de sa créance originaire, lors même que l'immeuble dont elle est évincée aurait doublé de valeur, tandis qu'un acheteur ordinaire serait indemnisé de la plus value (art. 1650). Ainsi qu'on le voit, il y a un intérêt sérieux à ne pas étendre l'assimilation entre la vente et la datio in solutum au delà des limites même que le Code a tracées.

La datio in solutum faite dans les trois cas dont nous. venons de parler a, comme nous l'avons dit, sa raison d'être générale. Néanmoins les époux pourraient avoir déguisé sous cette forme une véritable libéralité, par exemple en exagérant la valeur de l'immeuble donné en payement. Ainsi, quand la femme est créancière de 100, et que le mari lui abandonne un immeuble de 150, il y a contrat à titre onéreux ju-qu'à concurrence de 100, et libéralité jusqu'à concurrence de 50. Aux termes de l'article 1595 in fine, les héritiers des parties contractantes peuvent critiquer un tel avantage. Mais l'article ne dit ni quels sont ces héritiers, ni quelle est l'action qui leur appartient, ni si l'époux lui-même n'aurait pas le droit de revenir sur sa donation. Examinons rapidement ces diverses questions.

Selon certains auteurs, les seuls héritiers pouvant agir sont les heritiers à réserve, et l'action qui leur appartient n'est point l'action en nullité, mais l'action en réduction. Ainsi, dans l'exemple précité, les héritiers à réserve du mari n'auraient pas le droit de critiquer la libéralité de 50 faite par lui à sa femme, si sa quotité disponible était égale ou supérieure à 50.

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