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Cette opinion doit, selon nous, être rejetée. D'abord l'article 1595 in fine parle des héritiers en général, et non pas seulement des héritiers à réserve. Puis, il est de principe que les époux ne peuvent pas se faire des libéralités irrévocables, et une libéralité déguisée sous la forme d'un acte à titre onéreux est, en fait, irrévocable. On objecterait en vain que la jurisprudence valide les donations ainsi déguisées ; et en effet il ne s'agit pas ici d'une question de forme, mais bien d'une question de capacité. Les époux sont incapables de se faire des libéralités déguisées, puisque ce déguisement même leur enlève le caractère essentiel de la révocabilité. La donation dont il s'agit est donc nulle pour la totalité, et dès lors tous les héritiers, sans distinction, de l'époux donateur, auront le droit de demander cette nullité.

Le même droit appartient-il à l'époux donateur? Nous le pensons. L'article 1595 ne parle, il est vrai, que des héritiers de la partie, mais c'est qu'il suppose que la partie elle-même n'ira point demander la nullité de l'avantage qu'elle a consenti. Si en fait elle veut la demander, nous ne voyons aucune raison qui l'en empêche, le droit commun permettant à tout incapable de provoquer la nullité des actes qu'il a faits en dehors des cas où la loi l'autorise exceptionnellement à

contracter.

Que décider quand la vente ou datio in solutum intervenue entre l'un des époux et son conjoint ne rentre dans aucune des hypothèses où la loi la permet? A notre avis, l'acte est toujours nul, par la raison que, si les époux ont entendu faire une vente sérieuse, ils ne l'ont pas pu à cause de la prohibition générale de vente qui existe de l'un à l'autre; et que, s'ils ont voulu déguiser sous cette forme une libéralité, ils ne l'ont pas pu davantage, ainsi que nous venons de l'expliquer.

Dans les cas où la vente ou datio in solutum entre époux est nulle, cette nullité n'est point radicale. Le contrat est affecté d'un vice qui le rend simplement annulable, et la nul

lité devra en être demandée dans les dix ans qui suivront la dissolution du mariage (art. 1304 et 2253), conformément au droit commun en pareille matière.

II. Prohibition de vente à l'égard des TUTEURS, MANDATAIRES, ADMINISTRATEURS et OFFICIERS PUBLICS.-L'article 1596 déclare incapables de se rendre adjudicataires tous ceux qui sont chargés d'effectuer les ventes ou d'en faire monter le prix aux enchères publiques. La raison de ces prohibitions et de la nullité qui en découle se comprend d'elle-même. La loi n'a pas voulu placer les personnes entre leur devoir et leur intérêt. Du moment que leur devoir est de poursuivre la vente, ou de faire monter le plus possible le prix d'adjudication, il ne faut pas qu'elles aient intérêt comme enchérisseurs à déprécier les biens vendus, et à déprimer par des manœuvresquelconques le prix d'adjudication.

On admet en général que la défense faite par la loi au tuteur de se rendre acquéreur des biens du mineur, ne s'applique pas au cas de licitation de biens indivis entre celui-ci et son tuteur 1.

L'article ne parle pas du subrogé tuteur. Pourra-t-il se porter adjudicataire? Oui, dans le cas de vente forcée, faite à la requête des créanciers du mineur, car, d'un côté, il n'est pas écarté par le texte, et, de l'autre, il n'est point partie active à la vente 2. Non, dans le cas de vente volontaire, car alors il surveille le tuteur, et l'esprit de la loi est évidemment de lui appliquer une prohibition qui le soustraira aux tentations de son intérêt et ne le laissera qu'en face de son devoir.

Quant au curateur, on ne peut pas faire la même distinction. Que la vente soit poursuivie à la requête des créanciers ou qu'elle soit volontaire, le curateur doit toujours assister le mineur émancipé, compléter sa personne, et jouer un rôle

↑ Valette, Expl. du Cod. Nap., p. 237, note 2. n° 754.

Marcadé, art. 1596, no 1.

Demolombe, t. VII,

Aubry et Rau, t. I, § 117, p. 430.

actif dans toutes les opérations de la vente. Dès lors il nous paraît nécessaire de lui appliquer la prohibition de l'article 1596. Si le texte de la loi est muet, son esprit est évident, et commande cette extension de la prohibition au cu

rateur.

L'article 1597 déclare enfin nulles les cessions de procès, droits et actions litigieux faites à certains fonctionnaires ou officiers ministériels exerçant dans le ressort du Tribunal ou de la Cour qui doit juger la contestation. Nous expliquerons cet article au chapitre du Transport des créances.

CHAPITRE III

DES CHOSES QUI PEUVENT ÊTRE VENDUES.

ART. 1598. Tout ce qui est dans le commerce peut être vendu, lorsque des lois particulières n'en ont pas prohibé l'aliénation. 1599. La vente de la chose d'autrui est nulle: elle peut donner lieu à des dommages-intérêts lorsque l'acheteur a ignoré que la chose fût à autrui.

1600. On ne peut vendre la succession d'une personne vivante, même de son consentement.

1601. Si, au moment de la vente, la chose vendue était périe en totalité, la vente serait nulle. Si une partie seulement de la chose est périe, il est au choix de l'acquéreur d'abandonner la vente, ou de demander la partie conservée, en faisant déterminer le prix par la ventilation.

Des choses qui PEUVENT ou ne PEUVENT PAS être vendues. - En principe tout ce qui est dans le commerce peut être vendu, à moins, ajoute l'article 1598, que des lois particulières n'en aient prohibé l'aliénation. Nous savons déjà que toutes les choses sont dans le commerce, sauf exception. Et la vente peut avoir pour objet non-seulement la propriété de ces différentes choses, mais encore tous les démembrements de la propriété qui sont reconnus par notre législation. Ainsi on

peut vendre un droit d'usufruit, d'usage, d'habitation, de servitude, tout comme la pleine propriété. On peut vendre un genre, par exemple, telle quantité de blé, de vin; ou un corps certain, par exemple, telle maison, telle ferme. En un mot, la liberté des conventions est la règle au point de vue des choses qui en sont l'objet, comme au point de vue de la nature des engagements que les parties peuvent con

tracter.

Il nous reste à signaler les principales choses dont la loi a exceptionnellement prohibé l'aliénation. Sont hors du com

merce :

1o Les biens du domaine public, que ce domaine public soit celui de l'État, des départements ou des communes. Ainsi les routes impériales et départementales, les chemins vicinaux, les places publiques, les forteresses, etc..., ne peuvent pas être aliénés. Cette aliénation ne deviendrait possible que si l'autorité compétente, changeant leur destination, les replaçait sous l'empire du droit commun;

2o Les choses dont l'État s'est réservé le monopole, soit dans un but de sécurité publique, comme la poudre, les armes de guerre, les poisons; soit dans un but de fiscalité, comme le tabac, le papier timbré;

3o Les blés en vert et pendants par racines, car la loi du 6 messidor an III, qui formulait cette prohibition déjà édictée sous l'ancien régime, n'a jamais été abrogée 1. La prohibition dont il s'agit avait un double but empêcher l'accaparement des grains, et protéger la détresse des cultivateurs contre l'appât d'un prix de vente prématurée qui n'aurait pas été suffisamment rémunérateur. Son application est devenue fort rare, et, sous un régime de liberté commerciale, il n'est pas douteux qu'elle ne tombe rapidement en désuétude;

4° Les pensions alimentaires accordées par justice, par application des articles 205 et suiv. du Code Napoléon, car,

1 Marcadé, art. 1598, no 3.

Coin-Delisle, Rev. crit., t. XV, p. 17.

si le créancier de la pension pouvait la céder, il se priverait des aliments que la loi a voulu lui assurer ;

5o Les fonctions publiques, parce que, à raison de leur nature, et malgré la délégation qui en est faite, elles résident toujours dans la main du souverain. Et même pour les offices ministériels, dont la transmission à prix d'argent est admise par le gouvernement, la vente n'a pas précisément l'office pour objet, mais la démission que donne le titulaire et la présentation qu'il fait de son successeur à l'agrément de l'autorité.

De la vente des CHOSES FUTURes. Les choses futures et qui n'ont pas d'existence actuelle peuvent-elles être vendues? L'affirmative n'est pas douteuse : seulement il s'agira d'interpréter l'intention des parties, pour savoir si dès à présent elles se sont ou non définitivement liées. Ont-elles entendu ne faire le contrat que si la chose se réalisait ? Alors la vente sera subordonnée à cette réalisation qui constituera une véritable condition suspensive. Ont-elles au contraire entendu contracter à tout événement? Alors la vente sera valable, lors même que la chose n'existerait jamais, car la vente n'a pas eu pour objet la chose elle-même, mais la chance que cette chose existât. Un exemple montrera l'exactitude de cette distinction. Le propriétaire d'une vigne vend la récolte de l'an prochain, à raison de tel prix par tonneau de vin récolté. Il est bien évident que, dans ce cas, les parties ont eu en vue la récolte elle-même, et, que si cette récolte n'existe pas, la vente est nulle faute d'objet. Mais si elles sont convenues que la vente de la récolte a lieu pour tel prix et à forfait, alors la vente a pour objet, non plus la récolte, mais la chance de la récolte, qui peut avoir, selon les circonstances, une valeur très-supérieure ou très-inférieure au prix stipulé, et cette vente est valable lors même que la récolte serait tout à fait nulle. L'importance du prix sera l'élément principal qu'on devra consulter pour savoir si les parties ont voulu faire un contrat commulatif ou un contrat purement aléatoire.

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