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Notions générales. - Le prêt est, en droit français, un contrat réel, comme en droit romain: en effet, la principale obligation de l'emprunteur est de restituer ou la chose même qu'il a reçue, ou des choses de même nature en pareilles quantité et qualité, et on ne peut restituer ce qu'on n'a pas

reçu.

Le prêt à usage ou commodat a nécessairement pour objet un corps certain dont le prêteur reste propriétaire.

Le prêt de consommation ou mutuum a nécessairement pour objet des choses fongibles, dont la propriété passe à l'emprunteur.

Précisons le caractère de ces deux espèces d'objets.

Généralement les choses qui ne se consomment pas par le premier usage, telles qu'un cheval, une montre, forment la base du commodat; et celles qui se consomment par le premier usage, telles que le vin, le blé, forment la base du prêt de consommation. Mais il n'en est pas toujours ainsi, et quelquefois la volonté des parties vient modifier la destination natureile des choses.

D'une part, en effet, celles qui ne se consomment pas par le premier usage peuvent être considérées comme choses fongibles, et devenir l'objet d'un prêt de consommation; et, d'autre part, celles qui se consomment par le premier usage peuvent être considérées comme choses non fongibles, et devenir l'objet d'un prêt à usage.

Un double exemple va le prouver.

Les chevaux ne se consomment point par le premier usage, et cependant un marchand peut prêter à un autre un certain nombre de chevaux de tel âge et de telle race, à la condition que l'emprunteur lui restituera, non les mêmes chevaux, mais un nombre égal de chevaux de même âge et de même race.

D'un autre côté, le vin se consomme par le premier usage, et cependant un marchand peut prêter à un autre un certain nombre de bouteilles de vin, par exemple, pour être exposées sur le devant d'une boutique, à la condition que

l'emprunteur lui restituera, non un nombre égal de bouteilles de vin de même cru et de même année, mais identiquement les mêmes bouteilles.

Dans la première hypothèse, des choses qui ne se consomment pas ordinairement par le premier usage auront donc néanmoins été l'objet d'un prêt de consommation; et, dans la seconde, des choses qui se consomment ordinairement par le premier usage auront néanmoins été l'objet d'un commodat. De là il résulte que, pour connaître le véritable caractère d'un objet et du contrat qui s'est formé, il faut examiner non la nature des choses, mais la volonté des parties.

CHAPITRE PREMIER

DU PRÊT A USAGE, OU COMMODAT.

PREMIÈRE SECTION

DE LA NATURE DU PRET A USAGE.

ART. 1875. Le prêt à usage ou commodat est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi.

1876. Ce prêt est essentiellement gratuit.

1877. Le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée. 1878. Tout ce qui est dans le commerce, et qui ne se consomme pas par l'usage, peut être l'objet de cette convention.

1879. Les engagements qui se forment par le commodat passent aux héritiers de celui qui prête, et aux héritiers de celui qui emprunte. - Mais si l'on n'a prêté qu'en considération de l'emprunteur, et à lui personnellement, alors ses héritiers ne peuvent continuer à jouir de la chose prêtée.

Du COMMODAT OU PRÊT A USAGE. Le commodat ou prêt à usage ne se forme, comme nous l'avons dit, qu'au moment même de la livraison. La seule convention de prêter produit

obligation de faire le prêt, sans le constituer véritablement : en effet, celui-là n'est pas emprunteur qui n'a pas encore reçu la chose dont il devra se servir avec obligation de la restituer. En droit romain, la simple convention de prêter ne produisait qu'une obligation naturelle; elle suffit chez nous, dans tous les cas, pour produire une obligation civile, et par suite une action.

Le commodat est essentiellement gratuit, et il profite exclusivement à l'emprunteur qui se sert de la chose prêtée sans payer aucun salaire.

Il peut avoir pour objet toute chose qui est dans le commerce, pourvu que les parties l'aient envisagée comme corps certain.

Les obligations qui naissent du commodat passent en principe aux héritiers. Mais souvent le commodat prendra fin par la mort de l'emprunteur, parce que le prêt lui aura été fait intuitu pesonæ, et avec l'intention de ne pas laisser ses héritiers en profiter.

Il ne faut pas confondre le prêt à usage avec l'usage et l'habitation, car, dans le premier cas, il n'y a qu'un droit personnel, et, dans le second, il y a un droit réel; ni avec le louage, car le prêteur n'a jamais droit à un salaire, et puis, il n'est pas tenu de faire jouir, mais seulement de laisser jouir l'emprunteur. Les incapables ne peuvent ni prêter ni emprunter. Si, en fait, le contrat a eu lieu, ils auront, comme prêteurs, action immédiate pour recouvrer la chose par eux livrée, et, comme emprunteurs, ils seront simplement tenus jusqu'à concurrence du profit qu'ils auront retiré du contrat. Il faudrait cependant apporter quelques tempéraments à ces règles, s'il s'agissait d'incapables ayant l'administration de leur fortune; et, en effet, tous les prêts ou emprunts qui auraient le caractère d'actes d'administration seraient valables. Ainsi le mineur émancipé, ou la femme séparée de biens qui prêtent ou empruntent des ustensiles aratoires destinés à la culture de leurs fermes, font des contrats parfaitement réguliers et valables.

DEUXIÈME SECTION

ENGAGEMENTS DE L'EMPRUNTEUR.

ART. 1880. L'emprunteur est tenu de veiller en bon père de famille à la garde et à la conservation de la chose prêtée. Il ne peut s'en servir qu'à l'usage déterminé par sa nature ou par la convention; le tout à peine des dommages-intérêts, s'il y a lieu.

1881. Si l'emprunteur emploie la chose à un autre usage, ou pour un temps plus long qu'il ne le devait, il sera tenu de la perte arrivée, même par cas fortuit.

1882. Si la chose prêtée périt par cas fortuit dont l'emprunteur aurait pu la garantir en employant la sienne propre, ou si, ne pouvant conserver que l'une des deux, il a préféré la sienne, il est tenu de la perte de l'autre.

1883. Si la chose a été estimée en la prêtant, la perte qui arrive," même par cas fortuit, est pour l'emprunteur, s'il n'y a convention contraire.

1884. Si la chose se détériore par le seul effet de l'usage pour lequel elle a été empruntée, et sans aucune faute de la part de l'emprunteur, il n'est pas tenu de la détérioration.

1885. L'emprunteur ne peut pas retenir la chose par compensation de ce que le prêteur lui doit.

1886. Si, pour user de la chose, l'emprunteur a fait quelque dépense, il ne peut pas la répéter.

1887. Si plusieurs ont conjointement emprunté la même chose, ils en sont solidairement responsables envers le prêteur.

DROITS et OBLIGATIONS de l'emprunteur. Le prêt est un contrat synallagmatique imparfait, c'est-à-dire qu'il engendre nécessairement une obligation au moment où il se forme, et qu'il peut engendrer une obligation adverse pendant le cours de son exécution. La partie nécessairement obligée est l'emprunteur; car, ayant reçu la chose d'autrui, il doit toujours la conserver et la restituer. Les soins qu'il doit à la chose sont ceux d'un bon père de famille, et il serait responsable de la faute légère in abstracto, par la double raison que c'est là le droit commun, et que lui seul ici profite du contrat. Cependant il eût été injuste que l'emprunteur fût

tenu des cas fortuits. La loi ne l'en rend responsable que

la chose a été employée à un usage autre, ou pour un temps plus long que ceux convenus, et en outre dans le cas où la chose avait été prêtée sur estimation (art. 1883).

On justifie ces dispositions en disant que l'emprunteur qui use autrement ou plus longtemps de la chose est en faute, et que le cas fortuit est présumé provenir de cette faute. Aussi cesserait-il d'être responsable, s'il prouvait que la chose eût également péri, dans le cas où il en eût strictement usé, suivant le mode et pendant le temps conve

nus.

Dans l'hypothèse d'un usage trop prolongé, faudra-t-il que l'emprunteur soit mis en demeure, ou la seule expiration du terme sera-t-elle suffisante pour mettre à sa charge les cas fortuits? Les uns soutiennent la première opinion, comme étant conforme au droit commun (art. 1139); mais il est difficile de l'admettre en présence de l'article 1881, d'après lequel il semble que, par la seule échéance du terme, l'emprunteur devient responsable des cas fortuits. L'emprunteur est donc plus sévèrement traité qu'un débiteur ordinaire, qui doit toujours être averti par une sommation ou une demande en justice: cela se comprend, puisqu'il profite seul du contrat; mais il est traité moins sévèrement que le voleur, qui est responsable du cas fortuit, lors même qu'il eût dù arriver, si le vol n'avait pas été commis; et cela se comprend aussi, car l'emprunteur ne pouvait, malgré sa faute, être assimilé à un voleur.

Lorsque la chose a été estimée au moment du contrat, la loi interprète ce fait en ce sens que le prêteur a voulu s'assurer à tout événement la valeur de la chose, faute de la chose elle-même. Ceci est rigoureux; car on eût pu interpréter l'estimation en ce sens qu'elle devait servir de base au montant des dommages-intérêts qui pourraient être dus par l'emprunteur; mais la loi a voulu favoriser le prêteur, qui ne retire du contrat aucun avantage.

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