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la cause de la dette est illicite. Et, en effet, elle ne pouvait accorder à celui qui demande la fortune à des spéculations de cette nature, les avantages qu'elle accorde à celui qui la demande à son travail personnel. Mais comme, avant tout, les lois doivent être appliquées, et qu'elles ne le sont jamais si elles font violence aux habitudes sociales, le Code ne permet pas au joueur qui a volontairement payé sa dette, ni à ses héritiers, d'en réclamer la restitution, d'autant plus que le fait même du payement semble prouver que les joueurs n'avaient pas été entraînés dans des pertes excessives.

Tel est le véritable motif de l'art. 1967. Il ne faut pas y voir l'application de la maxime : « In pari turpitudinis « causâ melior est causa possidentis. » Cette maxime comportait, en droit romain, une distinction importante entre la cause illicite et la cause honteuse chez nous, tout ce qui est illieite est honteux. En outre, cette maxime a pour résultat bizarre d'enrichir l'un des coupables aux dépens de l'autre.

Il ne faut pas considérer non plus la dette de jeu comme une dette naturelle ordinaire. Un fait réprouvé par la loi ne saurait être la source d'engagements valables même naturellement. De là il résulte que la dette de jeu ne peut être ni confirmée, ni cautionnée, ni garantie par gage, ni novée soit par billets à ordre, soit autrement 1. En un mot, la dette de jeu n'est susceptible que d'un seul effet, qui est la validité de son payement. A ce point de vue, on est bien obligé de reconnaître en elle une dette naturelle, car autrement elle ne pourrait même pas comporter un payement. Mais cette dette naturelle est très-imparfaite, et elle ne saurait être mise sur la même ligne que les dettes naturelles ordinaires, lesquelles peuvent non-seulement être valablement payées, mais encore être confirmées, cautionnées et novées ainsi que nous l'avons expliqué (t. II, p. 504).

Les dettes de jeu sont fréquentes et la justice est souvent

1 Massé et Vergé, t. V, p. 23. Cass., 1er et 2 août 1859.

appelée à les annuler. Presque toutes celles qui sont ainsi déférées aux tribunaux proviennent d'opérations fictives, faites sur le cours des effets publics ou de certaines marchandises, telles que les farines, les huiles, les alcools. Un exemple montrera en quoi elles consistent. Supposons une opération faite sur la rente française 3 p. 100, et prenons pour point de départ le cours de 60 francs. Le spéculateur qui croit à la hausse achète une certaine quantité de rentes à 60 francs payables à la fin du mois où il espère que le cours sera à 61 ou 62. Le spéculateur qui croit à la baisse vend la même quantité de rentes à 60 francs payables à la même époque. Si, à la fin du mois, il n'y a ni hausse ni baisse, les deux joueurs ne gagnent ni ne perdent, et l'opération reste sans résultat. Mais si la rente vaut 61 francs, l'acheteur gagne 1 franc que lui paye le vendeur; et si elle ne vaut que 59 francs, le vendeur gagne 1 franc que lui paye l'acheteur.

Quand ce payement de différences est effectué, tout est fini, puisque la répétition n'est pas admise 1. Mais quand la différence est due et réclamée, le perdant peut opposer l'exception de l'art. 1965 et dire que la dette est une dette de jeu, entachée à ce titre de nullité. S'il est prouvé que les parties ont effectivement voulu faire une opération aléatoire et non un marché sérieux, la justice en prononce la nullité et déclare le demandeur mal fondé dans son action. La jurisprudence déclare également nuls les billets que le perdant aurait souscrits au profit du gagnant, et elle l'autorise à les répéter. Enfin le Code pénal édicte contre les joueurs sur effets publics la peine de l'emprisonnement d'un mois à un an, et une amende de 500 à 10,000 francs. Mais, malgré cette nullité civile et ces prohibitions pénales, les opérations aléatoires sur les effets publics et sur le cours de certaines marchandises forment toujours le fond de la plupart des spéculations.

1 Aubry et Rau, t. III, § 386.

Pont, no 650. Cass., 19 juin 1855.

La loi donne action pour les dettes de jeu ou de pari, lorsqu'elles ont pour cause des exercices corporels qu'il est bon de favoriser, et encore, dans ce cas, le juge a-t-il la faculté de les réduire comme excessives.

CHAPITRE II

DU CONTRAT DE RENTE VIAGÈRE.

PREMIÈRE SECTION

DES CONDITIONS REQUISES POUR LA VALIDITÉ DU CONTRAT.

ART. 1968. La rente viagère peut être constituée à titre onéreux, moyennant une somme d'argent, ou pour une chose mobilière appréciable, ou pour un immeuble.

1969. Elle peut être aussi constituée, à titre purement gratuit, par donation entre-vifs ou par testament. Elle doit être alors revêtue des formes requises par la loi.

1970. Dans le cas de l'article précédent, la rente viagère est réductible, si elle excède ce dont il est permis de disposer; elle est nulle, si elle est au profit d'une personne incapable de recevoir.

1971. La rente viagère peut être constituée soit sur la tête de celui qui en fournit le prix, soit sur la tête d'un tiers, qui n'a aucun droit d'en jouir.

1972. Elle peut être constituée sur une ou plusieurs têtes.

1973. Elle peut être constituée au profit d'un tiers, quoique le prix en soit fourni par une autre personne. Dans ce dernier cas, quoiqu'elle ait les caractères d'une libéralité, elle n'est point assujettie aux formes requises pour les donations; sauf les cas de réduction et de nullité énoncés dans l'article 1970.

1974. Tout contrat de rente viagère créée sur la tête d'une personne qui était morte au jour du contrat ne produit aucun effet.

1975. Il en est de même du contrat par lequel la rente a été créée sur la tête d'une personne atteinte de la maladie dont elle est décédée dans les vingt jours de la date du contrat.

1976. La rente viagère peut être constituée au taux qu'il plaît aux parties contractantes de fixer.

Observation.

Nous savons que la rente viagère est celle qui doit être servie pendant un certain temps, limité tantôt à la vie du créancier, tantôt à celle d'une autre personne.

La rente viagère est, comme les autres, essentiellement mobilière. Elle en diffère au point de vue de la durée, et, de plus, elle n'est pas rachetable. Nous allons examiner successivement comment elle peut être constituée, quelle est sa durée, quels effets elle produit, et comment elle s'éteint.

CONSTITUTION de la rente viagère. -Elle peut avoir lieu soit à titre onéreux, soit à titre gratuit: on appliquera à cette double hypothèse les principes de l'une et de l'autre. espèce de contrat.

Ainsi, lorsque la constitution est faite à titre onéreux, aucune formalité n'est exigée pour l'existence du contrat, et le seul consentement des parties suffit, d'une part pour transférer la propriété de la chose qui sert de prix à la rente, et d'autre part pour engendrer l'obligation de servir les arrérages. Au contraire, lorsque la constitution est faite à titre gratuit, les parties doivent se conformer aux formalités exigées pour les donations.

Il est nécessaire d'examiner les principales conséquences de l'une et de l'autre constitution.

Constitution A TITRE ONÉREUX. La rente viagère est un contrat aléatoire, dans lequel les obligations que contracte le débiteur sont plus ou moins étendues, suivant que le créancier a chance de mourir dans un délai plus ou moins rapproché. Or, un contrat de cette nature n'admet pas de lésion, de telle sorte que, si un immeuble servait de prix à la rente, l'action en rescision pour vilité de prix ne pourrait être intentée par le créancier ou ses héritiers, lors même que la somme des arrérages servis n'égalerait pas les 5/12 de la valeur de l'immeuble.

D'un autre côté, le débiteur ne pourrait se faire décharger

de son obligation, quoique la vie du créancier fût beaucoup plus longue qu'il ne l'avait d'abord supposé et que le payement des arrérages lui devînt très-onéreux.

Au surplus, pour connaître le véritable caractère du contrat, il faudra s'en référer non à la dénomination que lui auront donnée les parties, mais à la nature intrinsèque de leurs conventions. Ainsi l'aliénation d'un immeuble de 100 moyennant une rente viagière de 3 ou 4, ne serait qu'une donation déguisée de l'immeuble lui-même, puisqu'à la mort du rentier, le débiteur le conserverait sans jamais avoir payé plus que

ses revenus.

Cependant, si cet immeuble était exposé à un prompt dépérissement, les juges auraient la faculté de voir un véritable contrat aléatoire dans la constitution d'une semblable rente viagère, puisque le débiteur serait exposé à servir les arrérages, même après la perte du capital.

Constitution à TITRE GRATUIT. Lorsque la rente est constituée à titre gratuit, elle reste sujette au rapport et à la réduction: comment se fera la réduction? car, pour connaître la valeur de la rente, il faudrait savoir sa durée. Afin d'éviter cette opération difficile, la loi met les héritiers à réserve dans l'alternative ou d'abandonner toute la quotité disponible, ou de servir la rente viagère telle qu'elle a été constituée (art. 917). Mais cette disposition est quelquefois inapplicable. Ainsi, lorsqu'il y a lieu de réduire en même temps et ce legs de rente viagère et d'autres legs, la réduction devant être proportionnelle, il devient indispensable de fixer approximativement la valeur de la rente viagère. Cette fixation se fait alors d'après la durée probable de la vie du rentier.

Dans l'hypothèse de l'art. 1973, la rente est à la fois un acte à titre onéreux quant à la forme, et un acte à titre gratuit quant au fond. Cela tient à ce qu'elle est l'accessoire d'un contrat principal, et que ce dernier étant par sa nature dispensé des formes exigées pour la donation, la rente elle-même devait en être dispensée.

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