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LIVRE III. TITRE XVII.

(Décrété le 19 mars 1804. Promulgué le 29 du même mois.)

Du Nantissement.

ART. 2071. Le nantissement est un contrat par lequel un débiteur remet une chose à son créancier pour sûreté de la dette.

2072. Le nantissement d'une chose mobilière s'appelle gage. Celui d'une chose immobilière s'appelle antichrèse.

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Observation. Le nantissement désigne à la fois le gage et l'antichrèse il prend tantôt la forme de l'un et tantôt la forme de l'autre.

Le gage peut être défini : un contrat par lequel le débiteur ou un autre pour lui remet au créancier une chose mobilière, corporelle ou incorporelle, pour sûreté de la dette. Lorsque la chose remise est immobilière, le contrat prend le nom d'antichrèse.

Qualités COMMUNES au GAGE et à l'ANTICHRÈSE. 1° Ces deux contrats ont une origine commune dans les lois romaines, et ils présentent de grandes analogies dans l'ancienne et la nouvelle législation.

2o Le droit qui résulte du gage ou de l'antichrèse est indivisible, c'est-à-dire qu'il porte tout entier sur toute la chose et sur chaque partie de la chose.

Par exemple, si quatre diamants ont été donnés en gage par le débiteur et que celui-ci meure laissant quatre héritiers, l'un d'eux ne pourrait pas reprendre un des diamants, lors même qu'il aurait payé sa part dans la dette. Pareillement, si la créance garantie par le gage se divisait entre les héritiers du créancier, celui d'entre eux qui serait désintéressé ne pourrait pas restituer au débiteur un des diamants, au préjudice de ses cohéritiers.

L'indivisibilité n'est pas essentielle, mais seulement natu

relle au gage et à l'antichrèse. Elle est admise comme étant dans l'intention présumée des parties, et celles-ci pourraient convenir qu'elle n'existerait pas.

3o Le gage et l'antichrèse engendrent un droit réel, c'està-dire opposable aux tiers. Cet effet, non contesté pour le gage, l'a été longtemps pour l'antichrèse. La difficulté venait de l'article 2091, aux termes duquel l'antichrèse ne préjudicie pas aux droits que des tiers pourraient avoir sur l'immeuble donné en nantissement.

Selon les uns, le verbe pourraient se référait à un événement futur et avait pour but d'empêcher que l'antichrèse, qui n'est pas opposable aux créanciers hypothécaires dont le titre est antérieur à sa constitution, ne le devînt aux créanciers hypothécaires dont le titre serait postérieur.

Les autres répondaient que ce verbe, au lieu de se référer à un événement futur, indiquait seulement un événement supposé, et voulait dire que l'antichrèse n'est pas opposable aux créanciers qui se trouveraient avoir une hypothèque sur l'immeuble lors de sa constitution. Dans ce sens, on ajoutait, avec raison, que l'antichrèse serait inutile, si le débiteur pouvait, en conférant une hypothèque sur l'immeuble donné en nantissement, la rendre, à son gré, illusoire. Cette dernière opinion a été consacrée par plusieurs textes législatifs et elle est aujourd'hui indiscutable.

Ainsi, le nouvel art. 446 in fine du Code de commerce, en annulant les antichrèses constituées par le failli depuis la cessation des payements, ou dans les dix jours qui l'ont précédée, montre que l'antichrèse est de sa nature opposable aux tiers, puisque, si elle n'était pas annulée, la masse des créanciers de la faillite devrait en subir les effets.

On peut encore citer dans le même sens l'art. 21° de la loi du 23 mars 1855, qui soumet à la transcription tout acte constitutif d'antichrèse, par la raison évidemment que l'antichrèse est opposable aux tiers, et qu'ils ont tout intérêt à la connaître.

4o Le gage et l'antichrèse s'établissent de la même manière. Il faut le consentement des parties et la remise de la chose. Sans cette remise, le droit réel ne prendrait pas naissance, et il n'y aurait qu'une obligation de constituer le gage ou l'antichrèse, sans qu'il y eût, à proprement parler, gage ou antichrèse (art. 2071, 2076).

Suivant quelques auteurs, l'écrit exigé dans tous les cas pour l'antichrèse, et au-dessus de 150 francs pour le gage, l'est non pour la preuve, mais pour l'existence même du contrat. Cette opinion n'est pas généralement admise; en effet, dans les donations où l'écrit est nécessaire pour l'existence du contrat, le législateur l'a exigé dans tous les cas, et sans distinction. Pourquoi donc, si sa théorie était ici la même, aurait-il distingué, pour le gage, le cas où la chose vaut plus de 150 francs de celui où elle ne vaut que cette

somme?

Dans un seul cas, le gage s'établit tacitement : c'est le cas où, ayant été constitué pour une première dette, le débiteur en contracte une nouvelle, exigible aussitôt que la précédente. La loi présume, avec raison, que le créancier qui n'avait pas voulu suivre la foi de son débiteur lors de la première obligation, l'a moins que jamais suivie lors de la seconde. Dès lors, le même gage garantira les deux dettes (art. 2082 2o).

5o Le gage et l'antichrèse se conservent tous les deux par la demeure de la chose entre les mains du créancier ou d'un tiers convenu entre les parties. Mais il faut entendre par là une demeure de droit plutôt qu'une demeure de fait, et il n'est pas douteux qu'en dehors de toute fraude, le créancier nanti d'une chose ne pût la prêter ou la louer à son débiteur, et que ce titre de détention de la part du dernier ne fût pour le premier un mode légal de conserver son droit. Le créancier nanti possédera son gage par les mains du débiteur devenu détenteur précaire, tout comme si un tiers était à la place de ce débiteur.

6o La preuve du gage et de l'antichrèse se fait par écrit ayant date certaine 1, puisque le droit est opposable aux tiers; mais, à côté de cette analogie, se trouve une différence, car la loi déroge au principe pour le gage dont la valeur est inférieure à 150 francs, en permettant de le prouver par témoins.

L'écrit doit contenir l'indication précise, et du montant de la créance garantie, et de l'importance de la chose qui la garantit, pour que les tiers ne puissent jamais être victimes d'une exagération relative soit à la première, soit à la seconde.

Nous avons établi qu'en matière de nantissement l'écrit n'est que probatoire; par suite, il faut admettre que, dans le cas où il y a un commencement de preuve par écrit, la preuve testimoniale est recevable.

7° Le gage et l'antichrèse s'éteignent par l'extinction même de la dette, car l'accessoire ne peut subsister sans le principal; et par la perte de la possession de la part du créancier, car cette possession est, comme nous l'avons vu, un des éléments essentiels du jus pignoris. Entre les parties, le gage et l'antichrèse, constitués avec ou sans les formalités voulues, donnent lieu aux actions pignératitiennes directe et contraire. Le but de ces actions est, en droit français comme en droit romain, l'exécution des obligations personnelles aux parties contractantes.

Par l'action directe, celui qui a remis l'objet du nantissement le réclamera du créancier et se fera indemniser de toutes les détériorations qui n'auraient point pour cause un cas fortuit. La faute du créancier s'appréciera de la manière la plus rigoureuse, car le contrat lui profite comme au débiteur. Il sera donc responsable non-seulement de la faute grave, mais encore de la faute légère, appréciée in abstracto. S'il a retiré de l'objet donné en nantissement quelques bénéfices en

1 Troplong, no 199. Cass., 17 février 1858.

dehors de sa créance, il sera encore passible de l'action directe.

la

Par l'action contraire, le créancier poursuivra la restitution des impenses nécessaires ou utiles qu'il a faites pour conservation ou l'amélioration de l'objet donné en nantisse

ment.

En ce qui touche les impenses utiles, le juge ne devra écouter ni un débiteur trop récalcitrant ni un créancier trop exigeant, et il condamnera le premier à restituer au second toutes les impenses qu'il eût probablement faites lui-même. L'action contraire servirait aussi au créancier, s'il venait à perdre la possession du gage, afin que le débiteur la lui restituât après l'avoir recouvrée. Enfin, s'il avait été trompé lors de la constitution du gage, par exemple, en ce qu'il aurait reçu la chose d'autrui, il pourrait intenter la même action.

Arrivons aux caractères spéciaux du gage et de l'antichrèse.

CHAPITRE PREMIER

DU GAGE.

ART. 2073. Le gage confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose qui en est l'objet, par privilége et préférence aux autres créanciers.

2074. Ce privilége n'a lieu qu'autant qu'il y a un acte public ou sous seing privé, dûment enregistré, contenant la déclaration de la somme due, ainsi que l'espèce et la nature des choses remises en gage, ou un état annexé de leur qualité, poids et mesure. - La rédaction de l'acte par écrit et son enregistrement ne sont néanmoins prescrits qu'en matière excédant la valeur de cent cinquante francs.

2075. Le privilége énoncé en l'article précédent ne s'établit sur les meubles incorporels, tels que les créances mobilières, que par acte public ou sous seing privé, aussi enregistré, et signifié au débiteur de la créance donnée en gage.

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