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un autre monde à la domination du roi et de la reine. Je dois être jugé comme un capitaine qui, depuis tant d'années, porte les armes sans les quitter un seul instant; je dois l'être par des chevaliers de conquêtes, par des chevaliers de fait, et non par des gens de robe, à moins qu'ils ne fussent Grecs ou Romains, ou quelques-uns de ces modernes dont il existe tant et de si nobles en Espagne. En attendant, Dieu reste avec sa puissance et châtie l'ingratitude.

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Le retour inattendu de Colomb dans l'humiliation du vil criminel causa. une profonde sensation. L'indignation de la reine fut au comble; elle était partagée par tout ce qui avait un cœur. Elle ordonna immédiatement que l'amiral fût délivré de ses liens, et rendu à la liberté. Elle l'invita à la cour pour y être publiquement honoré, réhabilité et vengé, si c'était possible, de ses tribulations.

Colomb s'y rendit en grande pompe, et, en paraissant devant Isabelle, il se prosterna à ses pieds, sans proférer un mot, et les yeux humides de larmes.

La reine pleurait aussi, en le relevant avec un empressement plein d'effusion.

Elle prononça,

là même, la destitution de Bobadilla.

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CHAPITRE X

(1500-1503)

Caractère de Bobadilla.

-

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Le

Etat de la colonie, sous son administration. Détresse des Indiens. Ovando succède à Bobadilla. Caractère et portrait de ce nouveau gouverneur. Son arrivée dans l'île. Ses instructions. Retour de Bobadilla en Espagne. Il croise avec C. Colomb, en vue d'Haïti. Colomb prévoyant une tempête, sollicite d'Ovando la permisssion d'atterir à Santo-Domingo Ovando lui intime l'ordre de s'éloigner. - La tempête prévue éclate. L'amiral s'abrite dans une petite anse près de Jacmel. mème coup de temps surprend Bobadilla dans les parages de l'île. Le navire sur lequel il est monté fait naufrage, et il périt. Ovando administre avec succès la colonie, et ne fait rien pour l'amélioration du sort des Indiens. Las Casas lui fait une vive opposition. Voyage d'Ovando dans le Xaragua, sous prétexte d'exiger le paiement d'un arréage de tribut. - Il y est accueilli pompeusement. La reine Anacaona est accusée de conspirer contre les Massacre des Indiens du Xaragua. Espagnols. entière de cette province.

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Soumission

Débâcle et émigration des Indiens. Episode du cacique Hatuey, réfugié à Cuba.

Le rappel de Bobadilla n'eut pas lieu immédiatement. Il s'écoula bien deux ans avant qu'il fût remplacé par Nicolas Ovando. Bobadilla était violent et emporté, sans véritable énergie; son administration de la colonie fut faible, désordonnée, licencieuse.

Tout le poids de cette anarchie pesa sur les malheureux Indiens. Il était, en effet, devenu extrêmement facile d'obtenir des concessions de terre; et, quant aux

lots d'esclaves, le premier venu se les arrogeait. Il n'y avait qu'à en prendre autant que l'on en voulait dans la foule misérable du peuple conquis. A ce prix, tout petit colon s'érigeait en maître et grand seigneur. C'était une féodalité båtarde, grossière, sans frein, une parodie, qui est devenue sérieuse, de la féodalité européenne. Les esclaves étaient réunis et fixés sur le territoire du maître. Soumis à des travaux forcés de défrichement et de culture, sans aucun ménagement pour la faiblesse de leur complexion, ils y succombaient en peu de temps. Il n'y avait pas de bête de somme dans l'île; ils en tenaient lieu. Ils faisaient toute espèce de transports, expirant le plus souvent sous les fardeaux. Les maîtres ne marchaient plus à pied, pour peu que le but d'une course ou d'une promenade fût éloigné. Ils ne voyageaient plus à cheval, les chevaux étant rares; ils se faisaient porter en litière par leurs esclaves. C'était pour eux un luxe d'avoir toujours plus de porteurs qu'il n'en était besoin, et de se faire éventer, tout en cheminant, avec de larges feuilles de palmier que les esclaves agitaient au-dessus de leur couche. Comme s'il n'y avait pas assez de ces labeurs sans relâche, des guerres, des travaux publics, de l'exploitation des mines, et du seul chagrin d'être devenus esclaves pour moissonner les pauvres Indiens, les maîtres, exerçant sur eux sans pitié droit de vie et de mort, les faisaient périr journellement pour le cruel plaisir de les immoler. C'était à qui se surpasserait en atrocité. Ils les pendaient, mutilaient de toute façon, les brûlaient, les battaient de verges jusqu'à la mort, les écartelaient, les sciaient entre deux planches, et leur faisaient subir mille tortures plus horribles les unes que les autres. A voir cet acharnement de supplices, on

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